Paris, Cronstadt, la Catalogne...

Les trois Communes

Vendredi, cela faisait 150 ans que la Commune de Paris était écrasée et que ses derniers combattants étaient abattus; la répression ne cessa pas avec les combats, et les massacres continuèrent -mais ce fut alors ceux des prisonniers et des prisonnières : la Semaine Sanglante et les semaines qui suivirent (il y eut 38'0000 arrestations, 10'000 condamnations) firent 20'000 morts, dont on retrouvait encore des ossements dans les sous-sol de Paris, hors des cimetières, 5000 exilés et, dit Victor Hugo dans son discours pour l'amnistie des Communards (elle prendra neuf ans), 100'000 disparus.  La Commune de Paris  fut une expérience révolutionnaire sans précédent, mais pas sans héritiers, et elle n'est pas morte dans son écrasement il y a 150 ans : 50 ans après elle, il y eut celle de Cronstadt, et encore 15 ans après,  la Catalogne libertaire.  Trois révoltes populaires écrasées : la Commune de Paris par l'armée de la future République bourgeoise, Cronstadt par l'Armée Rouge, la Catalogne étranglée par le double garrot des staliniens et des franquistes. Avec l'écrasement de l'Ukraine anarchiste de Makhno, celui de Cronstadt scelle la fin de la révolution russe, et le début, Lénine encore vivant, de la contre-révolution bolchévik. Et c'est encore une parenté avec la Commune de Paris, que cet écrasement d'une espérance de révolution et de République, "démocratique et sociale" -à ceci près que la Commune de Paris fut écrasée par les ennemis de cette République, quand Cronstadt, la Makhnovtschina et la Catalogne par ses faux-frères. 

Nos morts, nos tueurs, nos célébrations

La gauche a le culte des morts -de ses morts. Religieusement, nous sommes plus Egyptiens que chrétiens : nos livres d'histoire sont autant de livres des morts. Nous aident-ils à nous souvenir que des morts de nos insurrections, nombreux sont ceux dont les meurtriers sont sortis de nos propres rangs ? De la Commune de Paris, au moins, les massacreurs versaillais n'étaient pas des nôtres, et sa célébration peut nous rassembler tous -socialistes, communistes, anarchistes, républicains radicaux... mais que faisons-nous alors de Cronstadt, de l'Uktaine de Makhno et de la Catalogne libertaire ? Toutes, après tout, avaient en commun une solide méfiance, pour le moins, à l'égard de tout pouvoir central que ce soit, autant celui réactionnaire de Versailles que celui républicain de Madrid ou bolchévik de Petrograd et Moscou, et de tout Etat, auquel la commune sera toujours préférée, comme la libre association des travailleurs à la collectivisation étatique, les coopératives aux entreprises d'Etat, la démocratie directe (ou à tout le moins participative) à la démocratie représentative...

Cronstadt, en 1921, c'est une révolte contre la monopolisation, par les bolchéviks,  du pouvoir issu de la révolution russe. Une révolte, aussi, contre le communisme de guerre. Et une révolte contre la Tcheka, contre l'embrigadement de la classe ouvrière et la militarisation de la production, contre la réduction des Soviets nés de la révolution à des coquilles vides, des façades à la Potemkine. Ce ne fut pas la seule révolte de ce genre dans la Russie soviétique, en passe de devenir l'Union Soviétique : en Sibérie et en Ukraine aussi, ce sont des masses populaires qui se dressent contre le nouveau pouvoir. Et ce sont des forces révolutionnaires (socialistes-révolutionnaires, anarchistes) qui dénoncent la trahison de la révolution : "Notre cause est juste. Face aux partis, nous défendons le pouvoir des soviets. Nous voulons que soient librement élus les représentants du peuple"... Mais les soviets sont "pervertis, confisqués par le parti communiste".

A Cronstadt, la révolte, qui commence le 26 février 1921 en solidarité avec des manifestations d'opposition ouvrière à Petrograd, violemment réprimées (arrestations massives, lock out) est portée par les marins de la flotte de guerre, les artilleurs, les ouvriers et les dockers : tous étaient à l'avant-garde du mouvement révolutionnaire, et tous reprirent le slogan de 1917 : "tout le pouvoir aux soviets" -en y ajoutant : "pas au parti". Une assemblée de marins et de soldat adopte une résolution en quinze poins, exigeant notamment la "liberté de parole et de presse aux ouvriers, aux paysans, aux anarchistes et aux socialistes de gauche", la libération des prisonniers politiques socialistes, l'abolition des "gardes communistes" dans les usines et la fin du communisme de guerre. Venus de Petrograd, les représentants du parti bolchévik menacent les marins, les soldats et les ouvriers d'une intervention militaire, et repoussent les tentatives de médiation (notamment celle de l'anarchiste américaine Emma Goldman). Zinoviev exige la reddition des insurgés de Cronstadt, Trotsky leur capitulation, et envoie le 7 mars 50'000 hommes de l'Armée Rouge (avec la Tcheka sur leurs talons, pour les contraindre à avancer) contre les 15'000 défenseurs de Cronstadt. Ils sont repoussés. L'Armée Rouge repart à l'offensive contre Cronstadt, qui tombe le 18 mars. Ce jour là, la presse communiste de Petrograd célèbre le 50ème anniversaire de la Commune de Paris, dont les 79 élus étaient de toutes les tendances du mouvement ouvrier, du socialisme, du républicanisme radical : jacobins, socialistes, communistes, proudhoniens. Et à côté d'eux, des femmes lumineuses, telles Elisabeth Dmitrieff et Louise Michel). Les anarchistes célébreront d'ailleurs Cronstadt comme la "seconde Commune de Paris" et affuble Trotski du nom du général massacreur de la "semaine sanglante" parisienne : Galliffet. Cinquante ans après celle de Paris la "semaine sanglante" de Cronstadt fera plus de 5000 morts,  : tués au combat, exécutés sur place ou des jours, des semaines, des mois après les derniers affrontements.

Il y a à Paris, au cimetière du Père Lachaise, un Mur des Fédérés, pour se souvenir de la Commune, sur le lieu de l'ultime combat de ses ultimes défenseurs. Il n'y a pas à Cronstadt de Mur du Soviet, ni en Ukraine de Mur des anarchistes de Makhno, ni à Barcelone de Mur de la CNT-FAI. 

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