Prolongation des ouvertures des magasins : Une illusion nuisible
Le 30 avril, la majorité de droite du Grand Conseil genevois a successivement refusé d'accorder une prime au personnel infirmier et une prime au personnel des EMS pour les remercier de leur engagement pendant le pic de la pandémie, puis, dans un vote droite contre gauche, autorisé trois ouvertures dominicales des magasins de plus, et une heure d'ouverture en plus le samedi, ce qui profitera essentiellement aux grands magasins et aux chaînes, à commencer par Migros et Coop (les petits magasins pouvaient déjà, à quelques conditions, ouvrir le dimanche et rester ouvert plus longtemps les autres jours, ce qui leur offrait l'un des rares avantages concurrentiels face aux grandes surfaces). Et tout cela sans maintenir la condition, posée en 2016 par le peuple, de la conclusion d'une convention collective de travail garantissant les droits des salariées et des salariés du commerce de détail. Le prétexte de cette rupture du "partenariat social" ? l'entrée en vigueur du salaire minimum. Lui aussi accepté par le peuple. Le parlement genevois a choisi son camp -et ce n'est évidemment pas celui du personnel de la vente. Ce n'est même pas celui de la clientèle. Ni celui du respect d'un vote populaire. Ce n'est même pas celui de la raison : c'est aussi cultiver l'illusion, ou la nourrir intentionnellement, que si les consommateurs genevois s'en vont consommer en France, c'est parce que les magasins de Genève ferment plus tôt que ceux de France, alors que c'est seulement parce que les prix y sont plus bas.D'ailleurs, le même Grand Conseil qui a prolongé l'opuverture des magasins le samedi et l'a autorisée trois dimanches de lus par a abandonné l'ouverture prolongée (jusqu'à 21 heures) du jeudi soir, parce que seuls trois pelés et deux tondus en profitaient, qui ne faisaient-ils d'ailleurs que se rendre plus tard dans un magasin où ils se seraient rendus plus tôt s'il avait fermé plus tôt. Avec la prolongation des ouvertures des magasins la droite cultive une illusion, sans même y croire, juste pour que sa clientèle la partage. Une illusion politiquement utile, économique absurde, et socialement nuisible. Peut-on conclure un partenariat social avec des algorithmes ?
Le travail dans la vente est
          pénible et mal payé, il convenait donc d'en accroître la
          durée. De faire travailler les vendeuses et les vendeurs plus
          longtemps le samedi, et plus souvent le dimanche. Pour que
          cela profite aux consommateurs ? Non : pour que cela profite
          aux grands magasins et aux chaînes. Et pour que reprenne la
          frénésie consumériste que la pandémie avant calmée -le
          coronavirus doit être manipulé par les syndicats. Et peu
          importe, au fond, que l'on consomme à Genève ou à Annemasse,
          pourvu que l'on consomme. Sans doute les tenants des
          ouvertures prolongées clament-ils qu'ils veulent défendre le
          commerce genevois contre la concurrence déloyale du commerce
          français,  en faisant mine de croire, et en tentant de faire
          accroire, que les boutdulacustres s'en vont faire leurs
          courses en Haute-Savoie ou dans l'Ain, c'est à cause des
          horaires plus étendus côté français, alors que toutes les
          enquêtes faites sur les motivations de ce tourisme d'achat
          signalent que les prix plus bas en France sont la principale
          raison de ce saut de frontière. Ce n'est évidemment pas parce
          qu'un magasin genevois sera ouvert une heure de plus le
          samedi, ou trois dimanches de plus par an, que les
          consommateurs auront plus de ressources à y dépenser. Et ce
          sera au personnel de la vente, qui a été de ceux qui ont eu  à
          faire front à la pandémie, de payer le coût de la crise
          qu'elle a provoquée, notamment  en travaillant  le jour,
          samedi, le plus pénible pour lui. C'est-à-dire pour ELLES,
          puisque ce personnel est majoritairement féminin. 
        
Les grands, moyens et quelques petits magasins
        genevois avaient déjà ouvert deux dimanches, puisque le peuple
        des consommateurs leur en avait donné le droit.  Et lorsque
        cette autorisation leur en avait été donnée, en 2016, cela
        faisait déjà plus d'un an que la Coop et la Migros avaient
        ouvert des magasins ouverts sept jours sur sept. Ils s'étaient
        seulement gardés de le faire sous leur enseigne : ils l'avaient
        fait en franchise (VOi pour Migros, Pronto pour Coop). La
        condition : aucun salarié ne devait travailler, seuls les
        gérants et leur famille. D'ailleurs, à Genève, des dizaines de
        "dépanneurs" font épicerie (voire plus) tous les jours, et le
        soir, et la nuit. En outre, les magasins situés dans des lieux
        touristiques, les gares et les aéroports pouvaient déjà ouvrir
        le dimanche -Migros, Coop, Aldi ne s'en étaient pas privés. Mais
        ça ne leur suffisait pas, il fallait plus que les 70 heures
        d'ouverture hebdomadaire dont ils disposent déjà... Pourquoi ?
        Parce que : on n'est pas dans le calcul rationnel, on est dans
        l'idéologie.  On a aussi invoqué le
        développement du commerce en ligne comme justification de la
        prolongation des heures d'ouverture des magasins... mais en quoi
        l'ouverture prolongée de magasins réels est-elle une réponse au
        développement du commerce en ligne ? En rien : on ne commande
        pas sur Amazon ce qu'on pourrait trouver dans un magasin de la
        ville ou de la banlieue parce que celui-ci ferme trop tôt (ou
        alors il faudrait qu'il ne ferme jamais, comme internet), mais
        parce qu'on n'a pas besoin de se déplacer et que ce qu'on
        commande vous arrive sans que vous ayez eu à faire d'autre
        effort que cinq minutes de tapotage sur un clavier d'ordinateur
        ou de glissement sur un écran de portable...
        
Ainsi nous assure-t-on, l'avenir est aux
        supermarchés sans personnel. Totalement automatisés. Ouverts 24
        heures sur 24, sept jours sur sept. On paiera ses achats avec
        son smartphone. Et on célébrera le partenariat social -mais pas
        avec les syndicats : avec des algorithmes. Qui ne revendiquent
        jamais, ne se mettent jamais en grève, ne s'organisent pas. 
      
Et ne lancent ni ne signent de référendum, contrairement à celui qui pend au nez des lumineux auteurs et soutiens de la loi prolongeant les ouvertures des magasins genevois.



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