Fin des négociations avec l'UE pour un accord-cadre
Helvexit ?
Selon un sondage Gfs de mai, 64 % des Suisses.ses
étaient plus ou moins favorables à la conclusion d'un
accord-cadre avec l'Union Européenne, mais une majorité à peine
moins importante (58 %) étaient plus ou moins favorables à des
accords bilatéraux de libre-échange -les deux hypothèses étant
contradictoires. Et à la fin du mois, le Conseil fédéral, sans
consulter ni le Parlement ni (et encore moins) le peuple,
décidait de mettre un terme aux négociations avec l'Union
Européenne sur un accord-cadre, qui n'avait
plus guère de défenseurs qu'une partie du PLR, une partie du
PDC, les Verts libéraux, Economie Suisse et (peut-être) le
Conseiller fédéral Ignazio Cassis. Le Conseil fédéral le savait:
son projet d' accord n'aurait eu aucune chance en votation
populaire, face à une coalition des "non" de droite, autour de
l'UDC, et des "non" de gauche, autour de l'USS. Il ne restait
dès lors plus que deux solutions : proposer une autre version
d'un accord-cadre, ce dont le ministre en charge du dossier,
Ignazio Cassis, semblait totalement incapable, ou renoncer à un
accord-cadre et se replier sur des accords bilatéraux (il y en a déjà 120, et tous devraient
être renégociés). Côté patronal, Economie Suisse
voulait un accord-cadre, n'importe quel accord-cadre qui
garantirait l'accès des exportateurs suisses au marché de
l'Union Européenne (principal partenaire commercial de la
Suisse, avec 55 % de ses exportations). Un accord de
libre-échange satisferait donc au moins cette organisation
patronale (celle du grand patronat), et une partie non
négligeable de la droite, s'appuyant sur l'exemple du Brexit et
de l'accord de sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Qui
est d'ailleurs un accord-cadre. Ressemblant comme un demi-frère
au vieil accord, aujourd'hui désuet, conclu entre la Suisse et
l'UE en 1992...
"Recopier le droit européen pour sauver la souveraineté, c'est grotesque"
La participation
de la Suisse au marché intérieur de l'Union Européenne et
aux programmes spécifiques de l'Union supposait que soit
réglée la question du cadre institutionnel des relations
entre la Confédération et l'Union, soit par un
d'accord-cadre , soit par un nombre considérable d'accords
bilatéraux, l'hypothèse d'une adhésion étant pour la Suisse
un tabou et le principe de la libre circulation pour l'UE un
totem. La
Suisse demandait à l'Union Européenne la renégociation de
l'accord de "libre circulation" en sachant pertinemment que
Bruxelles allait refuser de toucher à l'un des principes
fondamentaux de l'Union, et d'accepter par exemple une
discrimination entre les ressortissants de ses Etats membres.
Que pourrait d'ailleurs offrir la Suisse à l'Europe, en
contrepartie d'une renonciation européenne à la "libre
circulation" ? C'était un troc, que la Suisse proposait à
l'Europe : la reprise du droit communautaire européen contre
une exception au principe de la "libre circulation"...C'est ce
troc qui a fait flop.
La confrontation politique sur l'accord-cadre
institutionnel, ou tout autre accord ou ensemble d'accords
bilatéraux s'y substituant, n'est pas une contradiction entre
"ouverture" et "fermeture", mais entre les modalités de
l'ouverture -la fermeture relevant de l'illusion ou de
l'agoraphobie. Ce dont il s'agit pour nous, à gauche, c'est de
mesurer les effets de ces accords sur les droits des
travailleurs, les droits démocratiques, la capacité de la
Suisse, des cantons, des communes de mener une politique capable
de répondre aux défis environnementaux et sociaux. Et plus
précisément encore, ses effets sur la lutte contre la
sous-enchère salariale et sociale. Cette lutte a besoin de
moyens politiques : ce sont les mesures d'accompagnement à la
libre-circulation des personnes. Elles sont déjà insuffisantes
et si elles devaient être affaiblies par un accord avec l'Union
Européenne, cet accord devrait donc être refusé -et le Conseil
fédéral et le parlement devraient trouver la gauche sur leur
route s'ils le proposaient au peuple. Hypothèse cependant de
plus en plus invraisemblable. Pourtant, tout accord devrait finir devant le peuple. Parce
que l'enjeu est considérable : il touche l'économie, bien sûr,
et l'accès au marché européen, mais aussi la coopération
sanitaire et médicale, l'unicité des normes, les universités
et les échanges estudiantins, la recherche (les bourses
européennes pour les chercheurs se chiffrent en centaines de
millions d'euros ou de francs), les transports, les
migrations, les droits sociaux, les salaires, l'agriculture,
l'énergie... et la libre-circulation. C'est parce que nous
la revendiquons pour nous nous ne pouvons que la défendre
aussi pour les autres, que nous tenons à ce qu'elle soit
réellement accompagnée, par des mesures efficaces de
protection des salaires et des conditions de travail en
Suisse -ces mesures étant la condition incontournable d'une
acceptation populaire de tout accord. Ce qui prime, ce sont
les droits des personnes -et donc les droits des
travailleuses et des travailleurs, ceux de Suisse et ceux de
l'Union- pas les droits des marchandises. Qui n'étant pas
des personnes ne sont pas des sujets de droit, seulement des
objets. Sur ce point, les syndicats suisses sont en parfait
accord avec les syndicats européens -et réciproquement.
Bref, il n'y aura pas d'accord cadre, mais plus d'une centaine d'accords bilatéraux, tous spécifiques, et tous à (re)négocier. Et tout de même, forcément, une reprise par la Suisse des règles de l'Union Européenne, avec un vernis d'autonomie helvétique qui ne devrait tromper personne, sinon ceux qui veulent bien se tromper : "Recopier le droit européen pour sauver la souveraineté, c'est grotesque", résume le chef du groupe socialiste aux Chambres fédérales, Roger Nordmann : la Suisse aura fait mine de décider seule de rompre des négociations sur un accord pour s'engager dans au moins 120 négociations de marchands de tapis où elle finira par s'incliner devant l'Europe, en faisant mine de le faire souverainement. Après tout, n'est-ce pas ce qu'elle fait depuis deux siècles, depuis le Congrès de Vienne ?
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