Troisième grève féministe et des femmes

A 15 heures 19, la colère...

Ce lundi 14 juin (ou 26 Prairial, jour du jasmin) fut en Suisse jour de grève. De Grève Féministe, 30 ans après la première Grève des Femmes, qu'un demi-million de Suissesses avaient suivie. Et le 14 juin 2019, elles furent à nouveau de centaines de milliers à manifester pour que soit tenue la promesse constitutionnelle et légale de l'égalité. Ce 14 juin fut jour de grève "contre le système capitaliste et patriarcal", contre la retraite à 65 ans, contre la violence faite aux femmes, pour la reconnaissance du travail domestique et de soins, pour la solidarité avec les luttes des paysannes, pour l'écoféminisme. Vastes enjeux, et autant d'urgences, mais d'urgences qui l'étaient déjà lors de la dernière Grève des Femmes, celle de 2019.  A commencer par celle de combattre le relèvement à 65 ans de l'âge de la retraite des femmes, adopté il y a quelques jours par les Chambres fédérales. Le 14 juin, la Grande Grève a fait la Grande Genève. Et la Cité des musiques féministes.

Faire tomber toutes les discriminations

"J'attends que (les femmes) fassent la révolution. Je n'arrive pas à comprendre, en fait, qu'elle n'ait pas déjà eu lieu" : ce sont les derniers mots écrits de Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet dernier. On les retrouve dans son témoignage posthume, "Une farouche liberté" (Grasset). Que "n'arriv(ait) pas à comprendre" l'avocate et militante de 93 ans ? Que trop de femmes "consentent à leur oppression" -un consentement "mué en complicité" que "religion et culture se liguent depuis des siècles pour fonder". Comme disait Balzac, "la femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône". Et Gisèle Halimi, pour qui "on ne naît pas féministe, on le devient", de rappeler La Boétie et "la règle qui perpétue les grandes oppressions de l'histoire : sans le consentement de l'opprimé (individu, peuple ou moitié de l'humanité), ces oppressions ne pourraient durer". On imagine alors le plaisir que Gisèle Halimi aurait pris à la mobilisation féministe de ce jour...

Le capitalisme a construit, comme avant lui le féodalisme, un modèle social dans lequel une place et un rôle sont assignés à chacun.e, à chaque groupe social, à chaque composante de la société. Dans ce modèle, la place de la femme est au foyer familial et son rôle est de le "gérer", de le garantir. Et lorsque l'évolution sociale et économique a fait croître l'importance des services à la personne, presque mécaniquement ce sont les femmes qui en ont été professionnellement chargées, contre rémunération (modeste) pour la société puisque c'était déjà elles qui s'en chargeaient (gratuitement) pour la famille. Mais on était toujours dans la reproduction -de l'espèce, de la tribu, de la famille, de la société -la production, elle, restait le domaine privilégié des hommes. La reproduction aux femmes, la production aux hommes, cela signifie aussi la croissance aux hommes, la stagnation aux femmes. Et la décroissance aux pauvres. Le système se maintient grâce à elles, à leur travail salarié et à leur travail non-salarié, domestique. Et le refus de s'en accommoder ne date pas d'hier, s'il se manifeste aujourd'hui  : Lors de la Commune de Paris, au printemps 1871, l'Union des femmes pour la défense de Paris proclama que "le travail de la femme étant le plus exploité, sa réorganisation immédiate est donc l'urgence". La pandémie a d'ailleurs rendu évident le caractère essentiel, indispensable à la société toute entière, du travail des femmes -qu'il s'agisse du travail professionnel , rémunéré, ou du travail interpersonnel, non-rémunéré. Elle a du même coup rendu évidente la non-reconnaissance, matérielle et symbolique (au-delà des applaudissements du printemps dernier) de ce double travail.

La Suisse fut le dernier Etat européen, le Liechtenstein et le Vatican mis à part, à accorder les droits politiques aux femmes : ce fut en 1971. Ni ma mère, ni ma grand-mère n'avaient le droit de vote quand je suis né, et à  un an près, j'avais le droit fédéral de voter et de me faire élire avant elles... et même alors, les femmes n'avaient pas encore partout le droit de vote et d'élection cantonal et municipal : il faudra  que le Tribunal fédéral l'impose en 1990 aux Rhode intérieures d'Appenzell, qui refusaient obstinément de l'accorder. Le principe de l'égalité des sexes attendra 1981 pour être inscrit dans la constitution (il attend toujours de l'être dans la réalité), l'égalité de l'époux et de l'épouse au sein du couple ne sera proclamée qu'en 1988 (une femme pouvait enfin ouvrir un compte un banque sans avoir à demander l'autorisation de son mari...), la reconnaissance du viol conjugal attendra 1992,  la dépénalisation de l'avortement 2002, le congé-maternité 2004, le congé paternité sous une forme étique septembre dernier... "On ne peut pas dire que rien n'a changé. Mais tout va trop lentement" soupirait en 2019 Christiane Brunner. L'égalité n'est certes plus contestée comme principe, mais elle n'est toujours pas réalisée. Les mobilisations féministes ont pourtant fait bouger les choses, mais il reste bien du chemin à parcourir, non seulement vers l'égalité, mais plus crûment, vers le respect. Même à gauche : une députée verte genevoise a démissionné du Grand Conseil pour dénoncer le sexisme qui sévit au sein du parlement, mais même de son propre parti : "Nous devons travailler plus pour prouver notre valeur. On nous explique des projets que nous avons-nous même écrits, on va remettre en question le sérieux de notre travail en commission, voire notre légitimité", explique une autre députée verte. Une autre encore raconte que "des collègues masculins nous ont même expliqué comment nous habiller lorsqu'on siège au Grand Conseil, on répète ce que je viens d'expliquer, on m'explique des dossiers qui sont les miens". Ces députées parlent du Grand Conseil. Pouvons-nous jurer que ces comportements soient totalement étrangers au Conseil municipal ?

Le champ des luttes féministe est vaste. Il est même universel. La Grève féministe veut ainsi promouvoir un écoféminisme : "Les systèmes de domination patriarcale, capitaliste, écocide et colonialistes sont interconnectés. Ils sont conçus pour contrôler la terre, soumettre les gens, leurs libertés et leurs identités afin de maintenir le pouvoir en place et le profit d'une petite minorité privilégiée. Nous voulons une justice sociale et écologique", proclame le collectif genevois. "Le combat féministe peut entraîner avec lui tous les autres combats, car son essence est la revendication qu'aucune différence de traitement n'est acceptable sur la simple base d'une différence physique ou de choix de vie. Si nous nous accordons sur cette valeur de base, alors tous les autres types de discrimination tomberont" (Christiane Taubira). 

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