La gauche, le budget, l'impôt : Le prix de la cohérence

C'est la rentrée. Le Cirque Knie est sur la Plaine, les tartes aux pruneaux dans les fours, les chtis nenfants ont pris le chemin de l'école, les ados celui du Cycle et du Collège, les enseignants ont retrouvé leur classe. Et les Conseillères municipales et les Conseillers municipaux vont recevoir leur cadeau de rentrée : le projet de budget du Conseil administratif. A l'heure aurorale où on écrit, on ne l'a pas encore reçu ce cadeau. On patiente. On ne s'attend pas au pire, le Conseil administratif est de gauche, quand même. On ne s'attend pas non plus au meilleur, vu que même de gauche, le Conseil administratif reste corseté par un cadre légal cantonal que le canton prend bien garde à ne pas se l'appliquer à lui-même. Bref, on s'attend à du médiocre. C'est reposant, le médiocre. Habituel, même. On s'en accommodera. Reste à bien clarifier les rôles des uns et des autres. Le rôle du Conseil administratif, le rôle des Conseillères municipales et des Conseillers municipaux, le rôle des partis, le rôle du peuple. Et à mesurer la capacité d'une gauche majoritaire à défendre son propre programme -et la politique fiscale le finançant. A mesurer notre cohérence politique, en somme.  Et un peu aussi notre courage. Et leur prix.

Quelques "fondamentaux" à défendre et à respecter

En gardien des limites posées à l'élaboration d'un budget, un gouvernement (fédéral, cantonal) et un Exécutif municipal sont dans leur rôle. Les Conseillers administratifs de Genève, à commencer par celui chargé des Finances, Alfonso Gomez, sont donc dans le leur quand ils présentent un projet de budget. Mais ce rôle n'est pas ceux du Conseil municipal et des partis qui y sont représentés, fussent-ils les partis dont ces magistrats sont membres. On attend d'un parti politique qu'il ait une ligne politique, des projets politiques, quelques principes, quelques "fondamentaux" à défendre et à respecter. Tenez, au hasard, ceux-ci, pour les socialistes de la Ville de Genève, et dont ils ont même fait une pétition :

"Alors que de très nombreux habitant·es ont énormément souffert de la pandémie de Covid-19, et que celle-ci a très lourdement précarisé de nombreux ménages ; devant la menace que représente la RFFA sur les recettes fiscales, avec un taux inique de 13,99 % alors même que les ministres des Finances des 7 plus grandes puissances mondiales (G7) se sont mis d’accord sur un impôt mondial minimum pour les entreprises d'au moins 15% ; rappelant que la population de la Ville de Genève a refusé à 6 reprises les coupes budgétaires linéaires et spécifiques dans les budgets sociaux et culturels, les pétitionnaires demandent :
- le maintien des subventions culturelles et sociales ;
- le maintien des mécanismes salariaux des collaboratrices et collaborateurs de la Ville de Genève et de la petite enfance ;
- l'absence de coupes budgétaires et le maintien des prestations municipales."

Tout cela, et ce qu'on y a ajouté et pourrait encore y ajouter (la réintégration dans la fonction publique des nettoyeuses et nettoyeurs des locaux et installations de la Ville, la réduction du temps de travail et des inégalités salariales, la municipalisation des structures d'accueil de la petite enfance, la gratuité des transports publics...) suppose des moyens. Et on a là en réserve une bonne, vieille, solide position de gauche : le financement par l'impôt direct des engagements sociaux, environnementaux, culturels des collectivités publiques. Au Grand Conseil, la gauche genevoise propose de renforcer l'imposition directe et progressive sur les revenus. Au parlement fédéral, la gauche propose de renforcer l'imposition directe sur les hauts revenus, les grosses fortunes et les bénéfices des grandes entreprises. La gauche cantonale et la gauche fédérale soutiennent en ce sens l'initiative "99 %" de la Jeunesse socialiste. A contrario, dans tous les parlements et tous les media possibles et imaginables (et même inimaginables), la droite hurle sa douleur de la dureté de l'impôt, alors que Genève est de toutes les villes romandes celle où le total des impôts communaux, cantonaux et fédéraux sur le revenu brut est le plus bas pour la grande majorité de la population , c'est-à-dire les revenus bruts inférieurs à 60'000 francs pour toutes les catégories de contribuables sauf les célibataires sans enfants, les revenus bruts de moins de 90'000 francs pour les couples mariés avec deux enfants ou les couples de rentiers). Il faut avoir un revenu brut dépassant le million pour payer plus d'impôts à Genève qu'ailleurs. Vous pouvez vous autoriser un léger sourire quand vous entendrez geindre sur la "classe moyenne" écrasée par l'impôt : à plus d'un million de francs de revenu annuel, même brut, on est bien loin, bien au-dessus, de la classe "moyenne"...

En Ville, on devrait donc parler de l'impôt direct municipal, le "centime additionnel". C'est quoi, un centime additionnel ? c'est un centime supplémentaire par franc d'impôt cantonal. Un centime qui va revenir à la commune, et va lui permettre de financer ses engagements.  C'est un impôt progressif : plus on gagne, plus on paie. Et quand on est trop pauvre, on ne paie rien, parce qu'essayer de faire payer un impôt à ceux qui n'ont pas un rond coûte bien plus cher que ce que ça rapporte, puisque ça ne rapporte rien. Faut être logique, des fois, quand on cause fiscalité. Et qu'on a à répondre à la proclamation par la droite qu'il est scandaleux qu'un tiers des contribuables genevois ne paient pas d'impôt. D'autant que c'est complètement faux et plus d'être complètement idiot : même quand on est pauvre, on paie un  impôt, indirect : la TVA. dont le taux, bête et obstiné, est le même pour le millionnaire et le miséreux.

La gauche tient, sur l'impôt direct (celui sur le revenu),  et donc sur les budgets publics qu'il finance, un discours constant depuis, disons un bon siècle (depuis la création, précisément, des premiers impôts directs modernes) : il est à la fois le moyen de financer des prestations publiques et le moyen de réduire les inégalités de ressources. Cette double fonction qu'on lui assigne, celle de financement et celle de redistribution a pour corollaire que le niveau de l'impôt est déterminé par la réalité sociale : quand la population a besoin de prestations supplémentaires, ou d'un renforcement des prestations existantes, et nous sommes précisément dans une telle situation, une augmentation de l'impôt direct se justifie par le besoin de financement supplémentaire. Et quand les inégalités sociales se renforcent, et on y est aussi, une augmentation de l'impôt se justifie par le besoin de réduire ces inégalités.. Voter OUI à l'initiative "99 %", comme les socialistes, les Verts,"Ensemble à Gauche" et les syndicats y invitent , et accepter, en nos temps de crise, d'augmenter un peu la pression fiscale directe, cela procède de la même démarche et de la même intention: réaffirmer les deux fonctions de l'impôt : celle qui finance les prestations à la population, celle qui réduit les inégalités sociales. Une augmentation de l'impôt direct se justifie donc aujourd'hui, là où elle est concevable (et elle l'est en Ville de Genève). D'ailleurs, elle est constamment proposée au canton par le parti socialiste et ses députés au Grand Conseil -avouez qu'il serait assez farce que le parti socialiste municipal et ses élus au Conseil municipal n'osent pas en faire autant... Une hausse de l'impôt direct cantonal serait bienvenue, et une hausse de l'impôt direct communal serait taboue ?

Cette hausse serait sans doute combattue par un référendum lancé par la droite -comme nous avions nous-mêmes combattu par référendums  les modifications budgétaires imposées par la droite. Fort bien, ce serait donc aux habitants (du moins celles et ceux qui, disposant du droit de vote, consentent à en user) de choisir entre une (modeste) hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations. Laisser les habitants de la Ville choisir entre une prudente hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations, c'est une démarche claire, cohérente, dont on n'a pas à avoir peur. On pourra alors expliquer à quoi sert l'impôt. Expliquer que l'impôt communal finance les crèches, les allocations de rentrée scolaire, les rabais sur les abonnements TPG, la rénovation des cinémas indépendants, la création d'entreprises de proximité, la construction de logements sociaux, la plantation d'arbres et la végétalisation de la ville, l'indemnisation des pertes de revenu provoquées par une pandémie. Et le peuple municipal, alors décidera. Démocratique, non ?

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