Elargir la démocratie à celles ceux qu'elle ignore

Question de citoyenneté

Un peu partout, dans nos vieilles démocraties plus ou moins représentatives, des nouveaux modes de participation directe des habitants (en sus du droit de pétition et, là où ils existent, de référendum, et d'initiative) sont instaurés : budgets participatifs comme à Lausanne, ateliers citoyens, groupes d'habitants tirés au sort qui planchent sur des projets comme en Allemagne, démocratie délibérative comme dans l'Oregon ou bientôt en Valais, à Sion. Ces procédures fonctionnent : elles ont fait la preuve de leur efficacité et de leur légitimité. Or Cette pratique de démocratie directe, non contradictoire mais complémentaire de celles, institutionnelles, dont nous disposons en Suisse, mais qui ne s'adressent qu'à la part de la population qui dispose des droits politiques, n'a jamais été instituée à Genève comme une pratique structurée et pérenne. En outre, il n'y a pas à Genève d'espace de quartier politiquement constitué : la démocratie représentative et semi-directe ne connaît que la Ville entière : le Conseil municipal est le parlement de la Ville, pas celui des quartiers. Et, élu à la proportionnelle, il est formé de représentants non de la population dans son ensemble, mais de l'électorat des différents partis et des candidates et candidats élus. La démocratie participative fait des citoyens réels de  ceux qui ne le sont pas au sens légal : elle élargit donc la citoyenneté en même temps que la démocratie.

La démocratie est une conquête, son élargissement aussi.

Depuis 2018, en Ville de Genève, le département de la cohésion sociale (celui d'Esther Alder) a mené sept consultations publiques permettant d'élaborer, par quartier, des plans d'action à partir des propositions des habitants, recueillies dans des forums sociaux de quartier. Si l'isolement des personnes âgées, l'intégration des jeunes, des nouvelles familles et des migrants sont des problématiques générales, qui se posent sur l'ensemble du territoire urbain, "les réponses sont spécifiques et adaptées à chaque quartier". Les adapter, c'est précisément l'une des fonctions de la démocratie participative -dont les budgets participatifs sont l'un des moyens. Nous avons donc proposé au Conseil municipal, qui a décidera aujourd'hui, d'adapter et de renforcer le dispositif existant.

Nous voulons d'abord élargir la démocratie. Car nous considérons qu'elle en a besoin. 40 % de la population de la Ville n'a pas le droite de vote, les deux tiers de celles et ceux qui l'ont ne l'utilisent pas. Les budgets participatifs permettent à celles et ceux qui ne peuvent ni voter, ni élire, de prendre part à un processus de décision ayant des effets concrets dans leur quartier, sur leur cadre de vie et leurs relations sociales : des projets d'aménagement de l'espace public,  des projets environnementaux, dans le champ, restreint, des compétences municipales...

Notre proposition ne vise pas, quelque regret que nous puissions en concevoir, à soumettre le budget de la Ville à des "Soviets de quartier", mais à permettre à la population, sans exclusive d'âge, de statut légal, de nationalité, de proposer directement et de réaliser elle-même des projets de quartier, en disposant pour cela d'un budget spécifique, mais modeste (25'000 francs au maximum). La plupart des propositions qui seront émises par les habitants concerneront vraisemblablement l'aménagement de leur quartier, ou sa vie culturelle -l'impact sur le quartier étant une condition de l'acceptation de la proposition.

On élargit ainsi la démocratie, non dans le discours mais dans une pratique ancrée dans les quartiers. On l'élargit à une population qui ne peut prendre part au processus d'élection et de décision institutionnel, parce qu'elle n'a pas le droit de vote. Et on donne à la population qui a le droit de vote d'autres moyens d'agir que ceux qui passent par le vote. La droite s'y oppose ? c'est logique : elle s'est toujours opposée à l'élargissement de la démocratie, et ne s'y est résignée que contrainte. La gauche le propose ? c'est tout aussi logique : la démocratie est une conquête, son élargissement aussi.

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