Initiative populaire "pour des soins infirmiers forts" : Un "oui" d'évidence
Au menu (copieux) des votations du 28 novembre prochain, on trouve une initiative populaire lancée par l'Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), déposée en 2017 avec 120'000 signatures, soutenue par la gauche, des personnalités du "centre" et de la droite, la Fédération des médecins suisses, les organisations de patients et les syndicats : l'initiative "pour des soins infirmiers forts". Elle réclame davantage de places de formation, une formation mieux indemnisée, des horaires stables, de meilleures possibilité de progression dans une carrière, une revalorisation salariale, un nombre suffisant de soignantes et de soignants -toutes revendications dont la pandémie a confirmé plus encore que révélé la pertinence. Le parlement fédéral a concocté un contre-projet indirect(une loi entrant en vigueur si l'initiative est rejetée) qui reprend partiellement quelques unes de ces revendications, mais pas toutes, et n'accorde à leur concrétisation qu'un milliard de francs sur huit ans. Bien moins que ce qui a été mobilisé en moins de deux ans pour tenter de maîtriser une pandémie face à laquelle les infirmières et les infirmiers ont été en première ligne, jusqu'à épuisement. On soutiendra donc l'initiative, parce que ses revendications sont d'évidence.
"Applaudir ne suffit pas", il faut aussi décider
      
Aucun hôpital, aucune structure hospitalière, ne
        peut fonctionner sans infirmières et sans infirmiers : ce n'est
        pas depuis l'apparition du coronavirus qui nous tient compagnie
        depuis bientôt deux ans qu'elles et ils sont en première ligne,
        c'est depuis qu'il y a des hôpitaux. Et ce n'est pas seulement
        en première ligne des soins qu'elles et ils sont, c'est aussi en
        première ligne (ou en première cible) des coupes budgétaires,
        des restrictions de personnel, du renforcement des contrôles et
        des pressions, de la bureaucratie "gestionnaire".  Selon une
        étude de 2018 de l'Observatoire de la Santé (OBSAN), près de 2400
            personnes quittent le métier chaque année,  50 % des soignantes et des soignants
        (hors médecins) renoncent à l'être avant même que l'âge de la
        retraite cesse d'être un horizon lointains, un tiers abandonnent
        avant 35 ans. On en est au point où des cantons doivent mettre
        en place des programmes pour réinsérer le personnel infirmier
        qui a cessé de l'être.
      
L'évolution démographique, et
          plus précisément le vieillissement de la population (le nombre
          de personnes âgées de plus de 65 ans sera en 2030 le double de
          ce qu'il était en 2014), la croissance de la proportion de
          personnes souffrant de maladies chroniques et multiples, sont
          telles que le besoin d'un personnel infirmier qualifié, bien
          payé, bien traité, va s'accroître. Or on manque déjà  en Suisse de
            personnel infirmier (la Suisse ne forme que 43 % de son
            personnel soignant), dont il faudra d'ici dix ans 65'000
            praticiens nouveaux -et du coup, on va en chercher hors des
            frontières, quitte à affaiblir les structures hospitalières
            des pays où on va faire notre marché transfrontalier de
            personnel infirmier formé dans les pays où on va chercher
            celui qui nous manque: il faut entendre ce qu'en disent les
            hôpitaux de Haute-Savoie, siphonnés par les HUG d'un
            personnel formé en France, aux frais de la France, mais
            recruté à Genève sans que la Suisse ait rien investi pour le
            former... 
          
La pénurie de personnel formé en Suisse n'est
                cependant que l'un des problèmes que le secteur
                hospitalier a à affronter. Le contre-projet indirect
                adopté par le parlement ne répond qu'à ce seul problème,
                usant de la compétence cantonale sur les politiques de
                santé (comme si, face à la pandémie, la Confédération
                s'y était tenue, à cette compétence cantonale) pour ne
                rien proposer qui puisse contribuer à résoudre tous les
                autres problèmes posés : les conditions de travail, les
                salaires, la formation continue... L'initiative a des
                défauts ? sans doute, comme toute initiative, mais elle
                est constitutionnelle, rédigée en termes généraux, et
                son application relèvera d'une loi qui pourra remédier à
                ces défauts -le contre-projet, lui, est une loi, qui ne
                résout rien, et ne répond à pas grand chose. C'est donc
                bien l'initiative qu'il faut soutenir : elle seule en
                vaut la peine.
              
On a beaucoup applaudi les infirmiers et les
                infirmières, l'année dernière, lors de la "première
                vague" de la Covid. On a cessé de les applaudir, comme
                si leur engagement était devenu naturel, routinier,
                qu'il n'y avait plus à le saluer. Comme si la pression
                qui s'exerce sur ces travailleuses et ces travailleuses
                indispensables s'était relâchée, comme si leur stress et
                leur épuisement n'étaient plus que de mauvais souvenirs,
                qu'on pouvait tourner la page et que tout, désormais,
                était pour le mieux dans le meilleur des mondes
                hospitaliers. La pandémie a sans nul doute aggravé la
                situation du personnel infirmier -mais au sens où elle a
                accru sa gravité, pas au sens où elle en aurait seule
                été la cause.
              
La campagne pour l'initiative a été lancée la semaine dernière, avec pour slogan "applaudir ne suffit pas" (d'autant moins quand on a cessé d'applaudir). Il faut aussi décider, donner des moyens, garantir des droits. L'initiative ne propose rien d'autre, et elle mérite notre soutien.



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