Elire les juges ou les tirer (au sort) ?
Une question de transparence...
Dimanche, on saura si la Suisse a décidé d'élire
les juges de son tribunal suprême par un simulacre de tirage au
sort comme le propose une initiative lancée par un milliardaire
ou continuer de les faire élire par le parlement fédéral. Il ne
s'agit pas de tirer un juge comme le fit à Brive-la-Gaillarde le
Gorille de Brassens, mais de tirer au sort les 38 juges fédéraux
(et seulement eux). On pourrait se dire qu'après tout, pourquoi
ne pas essayer ? Pourquoi pas, en effet... mais pas comme
l'initiative le propose. Pas avec un tirage au sort entre des
candidats et des candidates sélectionnés par une commission
nommée par le Conseil fédéral. Pas avec des juges restant en
place jusqu'à l'âge de 70 ans (au moins) sans avoir à être
réélus. Pas avec une procédure de nomination où les jeux
d'influence ne seraient pas moins déterminant, juste plus
opaques, qu'ils peuvent l'être dans une élection parlementaire.
Certes, des candidatures
hors-parti au Tribunal fédéral n'ont actuellement aucune
chance (ce que regrette l'association suisse des magistrats) ,
puisque les juges sont élus par le parlement. Mais c'est
précisément cette élection par le parlement qui rend publique
les affinités politiques des juges : la transparence y gagne,
on sait à qui on a affaire.
Le droit, c'est de la politique, et le nier, c'est la camoufler.
Elire les juges fédéraux par un
tirage au sort ? L'initiant du texte soumis au
peuple, qui propose un tirage au sort sous influence
au prétexte de dépolitisation de la justice a sans
doute des comptes à régler avec la politique et avec
le Tribunal fédéral, mais sa proposition tient de
l'arnaque :
on ne dépolitise pas une nomination au Tribunal
fédéral en confiant au gouvernement fédéral
le choix des candidats (tout en continuant de confier
l'éventuelle révocation des juges au Parlement...)
Certes, les juges reversent une (petite) partie de
leur haute rémunération de 385'000 francs par an à
leur parti, ce que critique le Groupe d'Etats du
Conseil de l'Europe contre la corruption, mais ce
qui les libère de toute autre allégeance à ces
partis -pour lesquels ces contributions ne sont
d'ailleurs pas vitales : selon une
enquête de "La Liberté" et du "Courrier", les
Verts ont encaissé 100'000 francs de leurs juges
fédéraux, qui lui versent entre 3 et 6 % de leur
revenu, le PS 200'000 francs (ils lui versent 4
% de leur revenu), les Verts libéraux 30'000
francs. le Centre (ex-PDC) 65'000 francs, le PLR
35'000 francs. Pour l'UDC, on ne sait pas, elle
n'a pas communiqué les chiffres. On notera
toutefois que l'initiative pour nommer les juges
par tirage au sort n'exclut nullement que les
juges nommés soient membres d'un parti, et y
cotisent, voire lui accordent des dons... On
peut même être certains qu'ils ont à tout le
moins (espérons-le) des convictions, voire des
adhésions, politiques.
Sans
doute l'élection des juges fédéraux par le parlement n'est
elle qu'un pis-aller, rien qu'un pis-aller. Un moindre
mal. Comme le parlementarisme lui-même, c'est-à-dire la
démocratie représentative, l'est par rapport à la
démocratie directe. Le Tribunal fédéral est
la plus haute instance judiciaire de ce pays. C'est elle qui
dit le droit supérieur (hors le droit international), celui
qui s'impose aux droits cantonaux et aux règlements
municipaux. Il en découle que sa représentativité politique
est essentielle, puisque le droit positif, c'est le résultat
de la politique passée, la traduction en normes des rapports
de force politique. Dans l'idéal, ce devrait être le peuple qui devrait
élire les juges fédéraux (ou devrait pouvoir les élire). Ou
alors, c'est au sein du peuple qu'on devrait les tirer au
sort, certainement pas au sein du petit monde judiciaire,
filtré de surcroît par une commission nommée par le
gouvernement.
Le droit, c'est de la politique, le milieu judiciaire est un milieu politique. Le nier, c'est tenter de camoufler une évidence -que l'instauration d'un tirage au sort corporatiste n'abolira pas. Le passage par les partis politiques et la répartition entre eux des sièges de la plus haute instance judiciaire (ou des instances inférieures), qu'ils soient élus par le parlement ou, au moins potentiellement, par le peuple, comme à Genève, donne au moins une garantie de pluralisme. Et nous savons encore gré au Tribunal fédéral (qu'il nous souvient d'avoir saisi pour empêcher la démolition du cinéma Le Plaza...) d'avoir, avec ses juges élus par le Parlement, imposé à Appenzell (Rhodes intérieures) l'octroi des droits politiques aux femmes ...
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