Soins infirmiers : "Les applaudissements ne suffisent pas"


Des actes, des moyens

Les initiatives populaires passent difficilement l’épreuve des urnes, et l'exigence d'une double majorité du peuple et des cantons (autrement dit : une majorité au plan national et une majorité dans une majorité des cantons) n'y est pas pour rien : au cours des 130 dernières années, seules 23 initiatives ont été adoptées par cette double majorité. Néanmoins, selon les sondages, on pourrait célébrer  l’adoption le 28 novembre, par une grande majorité des votantes et des votants (77 % selon le dernier sondage Tamedia), de l’initiative pour des soins infirmiers forts. Sans doute est-il plus facile d'être soutenu par une majorité quand on propose d'améliorer la formation, les conditions de travail, les salaires de celles et ceux qui prennent soin de nous quand nous sommes malade, accidentés -ou simplement, inéluctablement, vieux- que lorsqu'on propose d'accorder des droits politiques aux étrangers ou de surtaxer les plus grosses fortunes, mais peu importe : l'adoption de l'initiative "pour des soins infirmiers forts" serait, sera, un acte politique fort.

"La société doit enfin prendre soin des personnes qui prennent soin de nous"

La pandémie a eu un effet de révélateur : certaines professions, sont essentielles. Et celles et ceux qui exercent ces professions sont indispensables. Or leurs conditions de travail  sont telles que, s'agissant du personnel infirmier, un tiers d'entre elles et eux sont affectés d'épuisement, de dépression, d’anxiété. Et 40 % des personnes formées aux soins quittent prématurément  leur emploi (et le secteur infirmier), parce que les conditions dans lesquelles ils l'exercent leur deviennent insupportables. On manque, en Suisse, d'infirmiers et d'infirmières. Le contre-projet indirect du Conseil fédéral à l'initiative "pour des soins infirmiers forts" met l'accent sur la formation sur la formation du personnel nécessaire; c'est bien, mais insuffisant : l'initiative, elle, va plus loin : elle obligerait à des mesures plus concrètes, plus liées à a réalité du terrain. A-t-on pris conscience qu'à faire travailler les infirmières et es infirmiers dans les conditions qui leur sont faites aujourd'hui, et à les payer au niveau où on les paie aujourd'hui, on a peu de chances d'arriver à former ici toutes celles et ceux dont on a besoin, et qu'on devra continuer à importer des pays voisins (ou plus lointain) un personnel qui va manquer à ces pays, qui les ont pourtant formé ? La Suisse ne forme que 43 % de son personnel soignant, et dans dix ans, il lui manquera près de 65'000 infirmières et infirmiers...

"La société doit enfin prendre soin des personnes qui prennent soin de nous", résume la Conseillère nationale tessinoise (et socialiste) Marina Carobbio. L'initiative pour des soins infirmiers forts ne demande rien d'autre : elle veut répondre à la pénurie de personnel soignant, non seulement en renforçant la formation d'un tel personnel en Suisse même, mais aussi, et peut-être surtout, en améliorant les conditions matérielles de l'exercice des professions de soin -ce dont les personnes qui les reçoivent bénéficieront directement. C'est d'ailleurs ce qui distingue l'initiative du contre-projet indirect adopté par le parlement : s'il prend en compte les exigences de formation, il se refuse, au nom de la compétence des cantons, à intervenir réellement, et fortement, sur les salaires, et l'organisation du travail du personnel soignant. Et il est rejoint dans ce refus par la faîtière des hôpitaux suisses, qui appelle à refuser l'initiative, en agitant le chiffon rouge de la hausse des coûts que représenterait une amélioration des conditions de travail et de salaire du personnel soignant. Or la masse salariale totale de ce personnel dans les hôpitaux et les cliniques ne  représente que 17 % de leur coût de fonctionnement.

La reconnaissance de l'importance d'une profession, et donc de celles et ceux qui l'exercent, ne peut pas se contenter d'être manifestée par des applaudissement en temps de pandémie. Cela vaut pour les infirmières et les infirmiers, cela vaut pour les nettoyeuses et les nettoyeurs, cela vaut pour le personnel du secteur de la petite enfance... Les applaudissements ne suffisent pas : il faut des actes, et des moyens. L'initiative seule les propose -que le peuple, dès lors, en dispose...


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