Contre-réforme de l'AVS : Le référendum est lancé

Voilà, c'est fait : la majorité de droite des Chambres fédérales a adopté le projet de contre-réforme de l'AVS contenant le report d'un an de l'âge de la retraite des femmes, et les syndicats (l'Union syndicale et Travail Suisse) ont annoncé le lancement d'un référendum contre cette navrance. Le référendum sera soutenu par le PS, les Verts et la gauche de la gauche. Des dizaines de milliers de femmes sont descendues dans les rues de nos villes au printemps dernier, en dénonçant (entre autres) les baisses de rentes de retraite et le report de l'âge de la retraite des femmes, au début de l'année plus de 300'000 personnes avaient signé l'appel de l'Union Syndicale contre ce report, et il y a trois mois 15'000 personnes manifestaient devant le Palais fédéral contre le démantèlement du système public de retraites (pour le plus grand profit du "*troisième pilier" individuel et privé)  mais il n'est pire sourds, aveugles et imbéciles que ceux (surtout) et celles (parfois) qui ne veulent rien entendre, rien voir et rien comprendre : le projet AVS-21, que les Chambres fédérales viennent d'adopter,  fait reposer sur les femmes des économies de dix milliards en dix ans sur les rentes à verser, alors que celles qu'elles touchent, que ce soit du premier ou du second pilier, sont inférieures à celles de hommes. Mais c'est à elles qu'on demande de travailler un an de plus pour pouvoir continuer à recevoir des rentes trop basses...

Atteindre l'égalité salariale, c'est renforcer le financement de l'AVS

L'espérance de vie augmente, les retraités vivent donc de plus en plus longtemps et sont de plus en plus nombreux, le système de retraite coûte donc de plus en plus cher (il lui manquait un milliard en 2019, mais la fortune de l'AVS dépassait les trente milliards), la droite en tire la conclusion qu'il faut relever l'âge de la retraite, à commencer par celui des femmes, la gauche qu'il faut renforcer le financement de l'AVS. Le Conseil fédéral estime à 26 milliards de francs le besoin de financement du fonds AVS dans les dix ans à venir, et à dix milliards les économies de rentes provoquées par le relèvement de l'âge de la retraite des femmes. Or il y a bien d'autres moyens de renflouer les caisses de l'AVS dans un pays aussi riche que le nôtre que celui de repousser d'un an l'âge de référence de la retraite des femmes; pourquoi serait-ce à elles de renforcer le financement de l'AVS, alors qu'elles reçoivent des rentes plus basses que celles des hommes -autrement dit, qu'elles coûtent moins que les hommes à l'AVS ? : il y a d'abord l'égalité des salaires et la hausse globale de la masse salariale des femmes, qui  produirait des cotisations plus importantes. Il y a ensuite une hausse des cotisations, proportionnelles au salaire et payées paritairement par employeurs et employés.  Il y a  également la fiscalité :  taxation des transactions financières, utilisation des bénéfices de la Banque nationale, taxation des GAFA, imposition des successions et des fortunes. Nous n'avons pas cité la TVA ? C'est que c'est un impôt injuste, qui pèse plus lourdement sur les revenus les plus bas. Il y a enfin le basculement de la LPP dans l'AVS.

Les femmes ont actuellement, et en moyenne, des rentes de vieillesse, tous "piliers" confondus, inférieures de plus d'un tiers à celles des hommes. Cette inégalité s'explique par plusieurs facteurs : l'inégalité des salaires, puisque les cotisations perçues pour financer les rentes sont fonction du salaire; la répartition inégale entre femmes et hommes du travail rémunéré et non rémunéré; la plus forte proportion de femmes travaillant à temps partiel; la plus forte proportion de femmes ne touchant que des salaires inférieurs au seuil d'accès au "deuxième pilier"  la plus faible proportion de femmes capables financièrement de se doter d'un "troisième pilier" (l'épargne vieillesse volontaire) . Quant aux femmes qui touchent une rente LPP, elles touchent des rentes deux fois plus faibles (toujours en moyenne) que les hommes.

Tout cela renvoie à l'inégalité, entre femmes et hommes, du revenu disponible (et donc de la capacité d'épargne-vieillesse). C'est cette inégalité-là, sous toutes ses mesures (le salaire, le revenu, la rente AVS, la rente de deuxième pilier...), à laquelle il faut mettre fin. Parce que s'il est vrai que les femmes vivent plus longtemps et donc touchent des rentes plus longtemps, que les hommes, ces rentes sont plus basses que celles des hommes et ne tiennent qu'à la marge compte du travail non rémunéré que les femmes ont accompli avant l'âge de la retraite et continuent d'accomplir après, toujours sans être rémunérées : travail ménager, travail familial, travail bénévole.  En outre, des centaines de milliers de femmes, dont 30'000 paysannes, travaillent sans statut, sans rémunération et souvent sans accès à une protection sociale digne de ce nom, sans congé-maternité, sans assurance-chômage, sans prévoyance professionnelle, alors qu'elles travaillent jusqu'à 63 heures par semaine et effectuent un tiers du travail agricole total.

Les inégalités entre femmes et hommes marquent le parcours entier de la vie des femmes, non seulement de leur parcours professionnel mais aussi pendant toute leur retraite. Les femmes interrompent plus souvent leur activité professionnelle que les hommes, travaillent plus souvent à temps (et salaire) partiel (c'est le cas de 60 % d'entre elles en 2019), leurs salaires restent en moyenne inférieurs de 19 % à ceux des hommes (d'autant qu'elles accèdent plus difficilement qu'eux aux postes de responsabilité les mieux rémunérés), leurs rentes AVS sont plus basses de 10 %, un tiers d'entre elles ne disposent pas de 2e pilier, et celles qui en disposent touchent des rentes inférieures, en moyenne, de moitié à celle des hommes. Premier et deuxième, voire troisième, piliers additionnés, leurs rentes sont inférieures de 37 % à celles des hommes. 140'000 retraitées ont dû demander des prestations complémentaires à l'AVS pour pouvoir vivre -les veuves et les divorcées  y sont plus souvent contraintes que les femmes vivant en couple ou célibataires.

Tant que les femmes ne toucheront pas une rente totale (tous piliers confondus) égale à celle des hommes, l'argument de l'égalité de l'âge de la retraite avec celui des hommes n'aura aucune légitimité. Nous n'aurions d'ailleurs aucune objection à cette égalisation, si elle se faisait sans reporter l'âge du droit à la retraite pour les femmes, mais en l'avançant pour les hommes. Atteindre l'égalité salariale, c'est-à-dire hausser les salaires des femmes au niveau de celui des hommes, c'est renforcer le financement de l'AVS par les cotisations perçues sur le salaire, et cela rapporterait presque autant (8,5 milliards) que ce que la droite veut faire payer aux femmes en reportant d'un an l'âge de leur droit à la retraite.

Et on n'aura garde d'oublier qu'il y a dans le chaudron contre-réformiste de la droite quelques propositions encore pire qui mijotent : comme celle de l'initiative populaire lancée fin 2019 par les Jeunes PLR, c'est-à-dire la droite du parti, pour relever l'âge de la retraite à 66 ans pour les femmes comme pour les hommes, et qui a abouti. L'initiative propose le relèvement de l'âge de la retraite de deux mois par année jusqu'à ce qu'il atteigne cet âge de 66 ans. Mais les initiants ne s'arrêtent pas là : l'âge de la retraite serait ensuite adapté tout les ans, toujours par tranches de deux mois, en fonction de l'évolution de l'espérance de vie. En clair : plus on vit, en moyenne, vieux, plus on devrait prendre tard sa retraite. Etrange demie-mesure, pourtant, que celle-là ... Parce que franchement, un pas supplémentaire devrait pouvoir être fait : fixer l'âge de la retraite  à l'âge moyen du décès... Là, on garantirait le financement de l'AVS : une vie de cotisations jusqu'à la mort, ça résout le problème des rentes, non ?



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