De quoi Zemmour est-il le nom ?


Droitisations

On s'est trompé en comparant Zemmour à Doriot : il n'en a pas le format. Zemmour, c'est plutôt un Drumont qui aurait réécrit sa "France juive" en "France musulmane". Son discours paranoïaque, à grand renfort d'exorcisme du "grand remplacement", de dénonciation de l'"immigration de masse" et de l'"islamisation de la France", ses projets de Guantanamo à la française, d'abolition du droit du sol (une vieille conquête républicaine), de privation des immigrants non-européens de toute aide sociale, ont déteint sur la droite démocratique (il n'avait pas besoin de déteindre sur celui de Marine Le Pen), qui a désigné comme candidate une Valérie Pécresse, initialement estampillée libérale, et qui a été intronisée, contre encore plus à droite qu'elle, au terme d'une campagne interne qu'elle a placée sous le double signe de l'immigration et de l'insécurité". pour pouvoir récupérer une partie de l'électorat de Le Pen et de Zemmour. On connaît la tripartition de la  droite traditionnelle selon l'analyse qu'en fit René Rémond : une droite légitimiste, une droite orléaniste, une droite bonapartiste. Mais il n'y a pas de place dans cette tripartition pour l'extrême-droite. Or elle est là, et bien là, et depuis longtemps -depuis qu'il y a une gauche et une droite, et peut-être même avant, et on voit mal (même en tordant les références historiques) qui  pourrait aujourd'hui représenter chacune des trois droites de Rémond  : Macron pour la droite orléaniste, cela peut encore s'admettre, mais qui pour la droite légitimiste ? Pécresse ? Et pour la droite bonapartiste, Le Pen, Zemmour ? La seule figure bonapartiste qui puisse nous dire de quoi Zemmour est le nom est sans doute celle de la princesse Marie...

La gauche en France n'est pas à rénover, ou à reconstruire, ou à repenser, ou à recomposer, mais à inventer. Radicalement et de zéro.

Pour la première fois depuis au moins quatre-vingt, sinon 150 ans, ce qu'on peut qualifier d'"extrême-droite" pèserait plus lourd en France que la gauche toute entière, de la social-démocratie au marxisme révolutionnaire. Et pour la première fois depuis au moins autant de temps, cette extrême-droite pèserait autant que toute la droite républicaine, même si on y met Macron. C'est dire si le champ politique français s'est "droitisé". La faute à qui ? A la gauche, au moins autant, et sans doute plus, qu'à la droite traditionnelle. La responsabilité, pour ne pas écrire la culpabilité, de la gauche est de deux ordres : tactique et stratégique d'abord, programmatique et idéologique ensuite. Tactique et stratégique : avec un potentiel électoral à peu près comparable, la gauche l'éparpille façon puzzle en six candidat.e-s, l'extrême-droite en deux (si on ne tient pas compte de Philippot et de Ducon-Aignant). La première se condamne à ne faire que de la figuration, même pas intelligente, dans une élection à deux tours où elle ne sera présente qu'au premier., quand la seconde se donne les moyens d'être présente aux deux tours, et d'en imposer le ton. Programmatique et idéologique, ensuite : la gauche paie le juste prix de l'abandon de la justice sociale comme critère premier d'un programme politique, et de la question de la propriété des moyens de production comme question fondamentale.

On peut ici reprendre à la fois la citation que nous avions posée en exergue à notre opuscule d'il y a trois ans, "Le socialisme, ou comment ne pas s'en débarrasser" (éditions de l'Aire), en l'empruntant à l'intellectuel italien Paolo Flores d'Arcais : "La sinistra in Europa non è da rinnovare, o da ricostruire, o da ripensare, o da ricomporre, ma da inventare. Radicalmente et dacapo". On remplacera seulement "in Europa" par "in Francia" : La gauche en France n'est pas à rénover, ou à reconstruire, ou à repenser, ou à recomposer, mais à inventer. Radicalement et de zéro.
Nous usons du mot « gauche » comme d’un synonyme de « mouvement socialiste », au sens le plus large du qualificatif, de la social-démocratie au socialisme libertaire, la question de la propriété étant finalement celle sur laquelle se joue le clivage entre ce mouvement et ses adversaires : tout le reste est accessoire, et plus accessoires encore que toutes autres les références au « progrès » et à la « modernité », formes creuses qu’on peut remplir avec n’importe quoi…
Si le problème est toujours celui du capitalisme, et si nous persistons à penser sa solution par le socialisme, nous devons aussi admettre que la gauche telle qu’elle est fait désormais partie du problème, non plus de la solution. Sans doute a-t-elle gagné au XXe siècle la bataille de la « modernité », mais pour quoi faire de cette victoire, sinon de réussir à « moderniser » ce dont elle voulait se défaire : l’exploitation de l’homme par l’homme, l’inégalité sociale, les privilèges de naissance ? Il nous faut  faire ressurgir une gauche qui, pour être porteuse d’une réponse au capitalisme, soit aussi radicalement socialiste que radicalement anticapitaliste. Or nous savons que ces deux radicalités ne se confondent pas, qu'il y a de l'anticapitalisme dans le fascisme et la théocratie, et que quand   le projet socialiste se dissout dans la quotidienneté des pratiques institutionnelles, l’anticapitalisme se dissout dans la démagogie des populismes réactionnaires.

Et on y est, en France. Et rien ne nous préserve de nous y retrouver aussi.

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