Une "Cité de l'immigration" à Genève : Mise en abyme ?
Une "Cité de l'immigration" à Genève : Mise en abyme ?
Nous (la gauche : PS, Verts, Ensemble à Gauche) avons proposé et fait accepter hier par le Conseil municipal de Genève d'étudier la possibilité d'ouvrir dans la ville un lieu permanent, et central, mettant en perspective, en débat, en visibilité, l'apport pour le moins décisif de l'immigration dans l'histoire genevoise, et, au-delà, dans celles de toutes les villes et toutes les sociétés modernes. Ce lieu, nous l'avons appelé une "Cité de l'immigration", ce qui pourrait paraître un truisme, ou une mise en abyme, puisque Genève EST elle-même une Cité de l'Immigration. Car si nous avons usé du mot "migration" dans le texte de la proposition, c'est bien de l'immigration dont il s'agit, parce que c'est bien l'immigration qui, aujourd'hui comme hier, ici comme chez nos voisins fait débat. Certes, des centaines de milliers de Suisses ont émigré, jusque dans les années vingt et trente du siècle dernier, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, en Afrique du nord (notamment en Algérie) -mais même alors, ce n'est pas d'eux qui partaient dont ont faisait polémique, mais des immigrants qui arrivaient. Notamment, à l'époque, des immigrants juifs d'Europe centrale et orientale. On a eu beau remplacer ces dernières années le juif par le musulman comme bouc émissaire, le shtetl par le douar comme lieu d'origine de la menace, on est bien resté dans la même paranoïa raciste. Et que tout ce qui peut en réduire l'emprise doit être tenté, même si on peut douter de son éradication définitive. A chaque pays son Zemmour, en somme.
A Genève, elle commence tôt, l'immigration: il y
a plus de 2000 ans. Et elle continue depuis plus de 2000 ans.
Avec une période particulièrement exemplaire et glorieuse, celle
de la Cité du Refuge. Rendez-vous devant
le Mur des réformateur : Vous y voyez la représentation de qui ?
Evidemment, d'aucune femme. Quant aux hommes, d'abord, au
centre, de trois Français (Calvin, Farel, Bèze) et d'un Ecossais
(Knox). Encadrés, sur la gauche d'un Français, d'un Hollandais
et d'un Allemand (Coligny, Guillaume le Taciturne et Guillaume
de Brandebourg) et sur la droite d'un Américain, d'un Anglais et
d'un Hongrois (Williams, Cromwell et Bocsay). Aucun Genevois,
aucun Suisse -le seul Suisse, Zwingli, n'est pas statufié, mais
a juste l'honneur d'une stèle, à l'extrémité du monument...
Et puis, une migration intérieure reste une
migration, une immigration de Bernois à Genève reste une
immigration. Comme l'arrivée en Suisse des Suisses d'Argentine
chassés par la crise de leur pays : un immigré, une immigrée, ce
n'est pas forcément un étranger au sens légal du terme, c'est
quelqu'un qui vient d'ailleurs -d'où que soit cet ailleurs,
qu'il soit l'Oberaargau ou la Pampa. Et un étranger, une
étrangère, né ici n'est pas un immigrant ou une immigrante,
c'est un indigène, une indigène. Un autochtone, une autochtone.
Un Genevois, une Genevoise -et même : de souche... Cité de migration, nous sommes. Et la motion que nous
avons proposée, et fait adopter, propose de le reconnaître, non
par un musée, mais par un lieu qui soit un lieu de rencontre
entre les populations de Genève. Un lieu
vivant, pas une vitrine. Un lieu qui
travaillera en collaboration avec les acteurs culturels, les
associations, les institutions, y compris les organisations
internationales gouvernementales et non gouvernementales, et les
musées. On propose un lieu central
permanent, ouvert à tous les publics, adoptant une démarche
participative, interdisciplinaire, diversifiée, voué à
accueillir des débats, des expositions, des concerts; un lieu
ouvert à la recherche scientifique, proposant un accès aux
archives, mettant en valeur et en débat tous les apports et tous
les éléments de l'histoire de l'immigration à Genève. Toute
l'histoire, pas seulement celle du XXe siècle. Un lieu complet,
pas un cabinet de curiosités. Nous voulons
faire réseau, pas ghetto.
En soutenant la motion sortie de commission, le Conseil municipal a rappelé cette évidence que s'il est une ville où un lieu permanent consacré à la migration devrait s'imposer naturellement, c'est bien Genève, parce que son histoire même le justifie, et que c'est reconnaître son enracinement que célébrer sa multiplicité, et ses changements, et les mettre en perspective en les confrontant au présent, en confrontant les Helvètes à Frontex, Cesar à Orban, la frontière des Allobroges et de la Gaule cisalpine à celle de la Pologne et de la Biélorussie, puisqu'à plus de 2000 ans d'écart, comme disait Marx, l'histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. C'est aussi de cette répétition que la Cité ou l'Espace de l'immigration proposé à Genève devra faire prendre conscience.
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