Genève : durcir les critères d'accès aux logements sociaux ?

Victimes de la crise, victimes de la loi

Dans le copieux menu des votations du 13 février, un objet cantonal risque fort d'échapper à la sagacité du Souverain de la Parvulissime République : une modification de la loi générale sur le logement et la protection des locataires, modification imposée par la droite (PLR, PDC, UDC, MCG), sur proposition du MCG, et combattue par l'ASLOCA, le Rassemblement pour une politique sociale du logement, Caritas, le Centre Social protestant, les syndicats et les partis de gauche, et même le Conseil d'Etat, parce que son objectif est inacceptable : réduire les possibilités d'accéder à un logement subventionné en doublant le temps de résidence à Genève exigible pour pouvoir s'inscrire sur la (longue) liste de demande d'un tel logement : ce délai passerait de deux ans continus pendant les cinq dernières années à quatre ans sur les huit dernières années. Une idée digne de son auteur (le MCG), et une mesure qui frapperait à la fois les nouvelles habitantes et les nouveaux habitants de Genève, venu.e.s de Suisse ou de l'étranger, mais aussi les Genevoises et les Genevois qui, partis vivre un temps hors du canton, voudraient y revenir et n'attendent pour le faire que d'y trouver un logement, et celles qui ceux qui ne sont pas considérés comme des "résidents" dans le canton où ils vivent depuis des années... mais sans logement et donc sans résidence... Victimes de la crise du logement, elles le seraient désormais aussi de la loi sur le logement...

Mettre le thermomètre au frigo pour ne plus mesurer la fièvre ?

C'est la loi cantonale sur le logement et la protection des locataires qui fixe les conditions que les locataires doivent remplir pour obtenir un logement subventionné. C'est donc à cette loi que s'attaque, à l'initiative du MCG la droite genevoise, en proposant de pénaliser les personnes qui ont le plus besoin d'un tel logement en doublant le délai de résidence à Genève exigible pour pouvoir s'inscrire sur la longue liste de demande d'un tel logement (au passage, on rappellera que les logements subventionnés sont accessibles à la fameuse "classe moyenne", pour autant que cette dénomination ait un sens)

Que cherche la droite avec sa proposition de doubler les délais d'attente pour l'obtention d'un HBM, d'un HLM ou d'un HM  alors que les habitant.e.s du canton sont déjà prioritaire dans l'accès à de tels logements et que 80% des inscrit·es qui en attendent un remplissent déjà les critères que pose cette proposition de la droite ? Désigner comme coupables de la crise du logement les personnes qui en sont les premières victimes?

Il y a pénurie de logements à Genève. Cette pénurie frappe surtout les couches les moins fortunées de la population, et ne peut être réellement combattue qu'en accroissant la part de logements d'utilité publique sur l'ensemble des logements mis sur le marché plutôt que celle des propriétés par étage; or sur 2211 logements neufs mis "sur le marché" en 2020, seuls 712 étaient des LUP, en majorité construits hors de la Ville de Genève, et ils ne représentent que 11,27 % des logements locatifs alors que l'objectif de la loi est de 20 % , objectif qui qui n'est évidemment pas là celui de la droite genevoise, dont le mantra est "l'accession à la propriété" et le dogme la"loi du marché", et qui, par le projet de modification de la loi sur le logement, joue à dresser les unes contre les autres les personnes en attente de logements subventionnés. Et elles sont nombreuses : il y a à Genève près de 7000 personnes sur les listes d'attente pour l'obtention d'un logement subventionné. Aucune d'entre elle n'obtiendra plus vite un tel logement (il s'écoule souvent des années avant que leur demande soit satisfaite) si la loi voulue par la droite entrait en vigueur : pour que soit réduit le délai d'attente avant d'accéder à un logement qui corresponde à la fois aux moyens et aux besoins de la majorité de la population, il faut d'abord que de tel logements existent en nombre suffisant -or on en est encore loin. Et une part considérable de la population la plus modeste doit se contenter de logements trop petits, ou se ruiner pour payer des logements trop chers -et on ne parle même pas des personnes logées dans des hôtels ou des foyers. Or plus se durcissent les conditions, en l'occurrence les délais de résidence, pour accéder à un logement "social", plus nombreuses sont les personnes enfermées dans le cercle vicieux de la précarité, et plus elles ont de difficultés à en sortir.

En somme, ce que la droite genevoise propose face à la crise du logement, c'est de mettre au frigo le thermomètre qui la mesure (les listes d'attente de logements sociaux) pour ne plus en voir la gravité. Même le gouvernement cantonal est opposé à loi votée par la majorité  de droite du parlement, et soumise au peuple : "le Conseil d'Etat estime que cette loi n'aura pas pour effet de favoriser les habitants de Genève (et) ne résoudra pas le problème du déséquilibre entre les besoins sociaux et l'offre actuelle de logement". Et il ajoute que "seule une politique sociale du logement (...) permettant d'édifier des logements de toute catégorie répondant aux besoins de l'ensemble de la population de notre canton dans les années à venir est à même d'améliorer la situation". Diable ! On n'aurait (presque) pas dit mieux ! Nous voilà soutenir la position du gouvernement; certes, il est présentement de gauche, mais tout de même,  il fallait bien qu'une proposition absurde le pousse à critiquer le choix du parlement de la soutenir pour nous pousser à être gouvernementaux...

Mais c'est promis, on essaiera de récidiver le moins souvent possible. 

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