L'aide aux media en danger de refus populaire
Laisser régner le marché ?
La loi sur l'aide aux media, soumise en votation
        le 13 février, fait face à une opposition féroce, et le premier
        sondage sur les intentions de vote laisse planer sur elle une
        lourde menace de refus (les partisans et les opposants sont à
        égalité, à 48 %). Que
                  reprochent les référendaires à la loi sur les media et
                  l'aide à leur apporter ? Beaucoup de choses. D'abord,
                  et surtout, d'être porteuse d'une aide de l'Etat, ce
                  qui les insupporte, par principe : la liberté de la
                  presse, de la radio, de la télévision, doit être
                  soumise aux lois du marché, et une aide publique
                  fausse ces lois-là. Et peu importe que de riches investisseurs (et, plus
                      rarement, de riches mécènes) acquièrent une
                      influence déterminante  sur les media dans
                      lesquels ils investissent ou qu'ils soutiennent :
                      cette influence-là sied aux référendaires (les complotistes des "Amis
                                  de la Constitution" leur ont donné un
                                  bon coup de main pour récolter des
                                  signatures, et ils ont aussi reçu le
                                  soutien d'EconomieSuisse),
                      c'est la leur, le référendum  a été lancé par
                  un comité dont font partie des gens comme Peter
                  Weigelt et Konrad Hummler, partisans d'un paysage
                  médiatique entièrement soumis aux lois du marché, et
                  constants adversaires de la SSR en tant que radiotélé
                  publique. 
                
 Laisser
          crever les petits journaux, les petites radios, les télé
          locales, les media indépendants ?
    
Les recettes publicitaires de la presse suisse sont passées de deux milliards en 2010 à un milliard dix ans plus tard : les annonceurs préfèrent financer les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) que contribuer au travail journalistique -rendu plus difficile par les suppressions d'emplois dans les rédactions. Parallèlement, le processus de concentration se poursuit comme l'illustrent en Suisse les cas de TX-Group (Tamedia) et de Ringier, pour le plus grand profit des actionnaires -et l'appauvrissement de la diversité médiatique, chaque titre reprenant une part croissante du contenu d'autres titres du même groupe. Et les plans de "rationalisation" se succèdent, avec à la clef des fusions rédactionnelles partielles (comme entre "24 Heures"et la "Tribune de Genève") ou totales (comme entre le "Bund" et "Berner Zeitung"). Ces fusions rédactionnelles sont évidemment un appauvrissement du pluralisme et de la couverture de l'actualité des zones rurales. De plus, elle entraînent la suppression d'emplois. Entre les grands groupes, d'autres, moins goinfres, subsistent (CH Media, NZZ), et des journaux locaux ou régionaux indépendants (la "Liberté" et "Le Courrier", le "Quotidien Jurassien", "Le Temps", racheté par la fondation Aventinus), mais ce sont bien eux qui sont les plus menacés par les logiques de marché.
Les
                          mesures d'aide à la presse proposées au peuple
                          le 13 février sont concrètes (et c'est bien ce
                          que leur reprochent ceux qui s'y opposent :
                          une déclaration éthérée de soutien de principe
                          à la liberté des media ne leur poserait aucun
                          problème). Ces mesures concrètes sont de
                          soutien aux conditions préalables au travail
                          journalistique (ATS, Conseil de la presse,
                          formation continue) et aux abonnements en
                          ligne, réduction de la taxe postale, aide aux
                          éditeurs (hélas sans en exclure les grands
                          groupes, mais en favorisant tout de même les
                          titres indépendants et les petits titres
                          régionaux, et en excluant les gratuits qui ne
                          vivent que de la pub). En tout, l'aide
                          proposée atteint 178 millions par année, soit,
                          en gros, deux pour mille du budget fédéral.
                          C'est peu pour protéger le pluralisme des
                          media. C'est trop pour ceux qui ne conçoivent
                          ce "pluralisme" que comme le leur. Et de
                          sonner le tocsin : un soutien public aux media
                          menacerait  la séparation démocratique des
                          pouvoirs et le rôle de contre-pouvoir que
                          doivent jouer les media. Mais sont-ils un
                          pouvoir ou un contre-pouvoir ? il faudrait
                          choisir -en tous cas, ils ne sont pas l'un des
                          pouvoirs dont le libéralisme politique prône
                          avec Montesquieu la séparation, et qui sont
                          les pouvoirs exécutif, législatif et
                          judiciaire. En revanche, ils sont,
                          aujourd'hui, soumis à un pouvoir qui n'est pas
                          de ces trois là : le pouvoir de l'argent.
                        
Il y a donc une alternative aux mesures proposées
        par la loi (qu'on vous invite à soutenir, malgré leurs défauts
        -aucune loi n'en exempte) : laisser faire et laisser crever les petits journaux,
          les petites radios, les télé locale, les media indépendants
          des pouvoirs d'argent : le marché reconnaîtra ceux qui peuvent
          survivre. Ceux qui lui conviennent. Ceux qui n'ont rien à
          redire à son pouvoir à lui. Quant aux autres, vae victis !
        
        


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