Pour que la capitale mondiale des droits humains les respecte chez elle
A Genève, la chasse aux mendiants a été rouverte par le Grand Conseil, alors que la Cour Européenne des Droits de l'Homme, saisie par une mendiante que Genève avait condamnée, avait à son tour condamné la Suisse (et donc Genève) en considérant que la mendiante avait "le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité". Et que condamner quelqu'un pour mendicité exprimait par conséquent un déni de la dignité humaine en général, et de celle de la mendiante condamnée en particulier. Le Ministère public avait donc suspendu toute répression de la mendicité, mais la droite cantonale n'en avait pas pour autant démordu de ses pulsions purificatrices, et comme Genève ne pouvait plus interdire la mendicité en tant que telle, la droite en a imposé l'interdiction de la pratique partout où elle peut se pratiquer : dans les zones commerciales ou touristiques, aux abords des magasins, des hôtels, des cafés, des restaurants, des bars, des discothèques, des immeubles d'habitation, des hôpitaux, des théâtres, des cinémas, des musées, des banques, des postes, des distributeurs d'argent, des caisses de parking, des crèches, des écoles, des marchés, des parcs, des jardins, des gares, des arrêts TPG, de l'aéroport, des ports, des cimetières et des églises. Et sans doute devant les sièges de l'UDC, du MCG, du PLR et du PDC , au cas où il viendrait à des mendiant.e.s l'idée masochiste d'y aller quémander quoi que ce soit. La nouvelle loi "antimendicité", qui ne dit pas son nom ni qu'elle est en réalité une loi antiroms -en d'autres termes, une loi raciste, fait déjà l'objet d'un recours, et pourrait finir à sa première application devant la Cour européenne des droits de l'Homme à la loi précédente, pour y subir le même sort que la précédente : le rappel qu'interdire la mendicité, amender les mendiantes et les mendiants, voire les emprisonner, est contraire aux droits humains fondamentaux proclamés par une convention signée et ratifiée par la Suisse (ce qui engage Genève," capitale des droits humains"). "On considère ces gens comme des chiens", s'est insurgé le socialiste Alberto Velasco. Il a tort : aucune loi n'interdit les chiens là où les mendiants le seraient.
Cachez cette pauvreté qu'on ne saurait voir...
Depuis un an, la mendicité
n'est plus réprimée à Genève, la loi qui la réprimait
ayant été poubellisée après un arrêt de la Cour
européenne des droits de l'Homme. Les épurateurs des
rues étaient frustrés. Ils ont soigné leur frustration
en pondant une nouvelle loi antimendiants, qui devait
entrer en force le 14 décembre dernier mais est
l'objet d'un recours à la Cour cantonale de Justice.
Ce qui laisse un peu de temps pour faire le point de
la situation : les mendiants et les mendiants
se sont fait plus visibles (mais pas forcément plus
nombreux), et la trêve de la répression a eu des
effets positifs sur leur situation : non seulement
elles et ils ne risquaient plus de se retrouver en
prison pour n'avoir pas payé les amendes qu'on leur
infligeait, mais nombre d'entre elles et eux ont pu
améliorer leur situation, trouver un lieu
d'hébergement, parfois un travail et donc une
autorisation de séjour, et cesser de mendier : Caritas
observe "une grande augmentation de demande pour la
rédaction de C.V. et d'aide à la recherche d'emploi".
Quant au fantasme des "réseaux", aucun cas de trait
d'être humains n'a été découvert, aucune arrestation
de mendiants en lieu avec de la prostitution, de
l’escroquerie, du vol ou du brigandage n'a été
effectuée. En fait de "réseaux", il ne s'agit que de
familles qui s'organisent pour que l'argent récolté
(moins de dix francs par jour) par l'un.e de ses
membres ne soit pas volé ou saisi... Pourquoi y
aurait-il d'ailleurs des réseaux pour contrôler une
activité qui rapporte si peu ?
En revanche, il s'avère que
l'interdiction de la mendicité avait des effets
particulièrement pervers, que sa suspension a
considérablement réduits, voir annihilés : endettement
pour payer des amendes, incarcérations coûteuses pour
la collectivité, recours à des usuriers pour payer les
amendes, précarisation toujours plus grande de
personnes déjà précarisées au départ. Et cela sans
évidemment faire disparaître la mendicité, sinon du
regard de qui ne supporte pas de la voir et, Tartuffe,
exige que l'on "cache cette pauvreté qu'on ne saurait
voir". Bref, comme toujours, la prohibition ne fait
pas disparaître ce qu'elle prohibe, mais en renchérit
le coût, en aggrave les conséquences et nourrit qui en
profite.
Nous avons (le PS) déposé au Conseil municipal une
motion demandant au Conseil administratif (l'exécutif communal)
d'exclure du mandat donné à la police municipale, de son cahier
des charges, de son règlement et de son statut, toute mention
d'un engagement des APM contre la mendicité et les mendiants, et
d'accorder à l'association Mesemrom le soutien, politique et
matériel, nécessaire pour la poursuite de son engagement aux
côtés des Rroms, mendiants ou non. Auparavant, il y a un peu
plus de trois ans, à l'initiative d'"Ensemble à Gauche", la
proposition d'exclure du règlement de la police municipale toute
action spécifique en matière de mendicité" avait été déposée
-mais n'a jamais été traitée, et sommeille toujours dans les
tréfonds d'un ordre du jour gargantuesque.
Ré-interdire la mendicité ne fait pas disparaître la pauvreté que la suspension de sa répression pendant une année avait rendue à nouveau visible. La tentative de l'interdire à nouveau la remet en débat ? Elle aura au moins servi à quelque chose. Que se fasse alors ce débat -mais qu'il se fasse sans répression, sans tentative d'épuration sociale.
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