Une bonne question du "Monde Diplomatique" : "Pourquoi la gauche perd" ?
"La social-écologie est l'avenir de (la) social-démocratie", proclamait en 2018 le philosophe Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS aux Européennes de 2019. La "social-écologie", version Canada-Dry de l'écosocialisme ? "il faut des réponses de gauche aux problèmes engendrés par la crise"... certes, quelles réponses ? "il faut faire basculer les sociaux-démocrates traditionnels vers la défense du climat et de l'environnement"... oui, bien sûr, mais il faudrait surtout que ce "basculement" ne soit pas qu'une posture rhétorique, et qu'en basculant vers l'environnementalisme et l'urgence climatique, on ne laisse pas choir l'urgence sociale. Et qu'on n'oublie pas l'urgence démocratique. La dernière édition du "Monde Diplomatique" consacre un passionnant dossier à répondre à la question qui le taraude : "Pourquoi la gauche perd ?". Et si on n'est pas forcément convaincus par toutes les réponses données, on salue la question... ne serait-ce que parce qu'on se la pose aussi... même si en cet étrange pays, cet étrange canton, cette étrange ville qui sont les nôtres, la gauche ne perd pas...
Une alliance à construire, des bobos, des prolos et des péquenots
"Pour la gauche européenne, c'est l'hiver" : ainsi
        le dernier "Monde Diplomatique" introduit-il son dossier sur
        l'état de ladite gauche européenne. De toute la gauche
        européenne, y compris les formations situées, d'abord par
        elles-mêmes, sur la gauche de la social-démocratie (Podemos, Die
        Linke et les autres). Cet "hiver" de la gauche européenne, le
        Diplo n'en mesure pas les frimas à la seule aune de ses
        résultats électoraux (il leur arrive d'être bon, comme il y a
        peu en Allemagne, et comme un peu partout dans les villes), et
        on aurait tort de croire que cet hiver européen ne sévisse pas
        aussi en Suisse, même si, paradoxalement, la gauche s'y porte
        mieux que dans trois des quatre Etats voisins. Et le chapeau du
        dossier du Diplo continue, cruellement : "Incapable d'écouter
        les aspirations populaires et de tirer profit du mécontentement
        général, la gauche s'enferme souvent dans un discours où le
        pathos le dispute à la mièvrerie", espérant ainsi "rassembler
        grâce à une rhétorique consensuelle des groupes sociaux que tout
        sépare". Et comme souvent dans son
        histoire la France a été un laboratoire politique, elle l'est en
        ce moment de ce piteux état de la gauche. 
      
Le patron de ce qui reste du PS
          français, Olivier Faure, appelait à "créer les conditions d'un
          big bang de la gauche et de l'écologie", à "ouvrir un nouveau
          cycle", à "tout remettre à plat" pour construire "un grand
          parti réformiste pour changer le pays". Beau programme, mais à
          réaliser avec qui ? Et dans quel délai ? La renaissance d'un
          parti socialiste français, social-démocrate sans le dire,
          avait pris trois ans, de l'effondrement de la SFIO en1968 au
          congrès d'Epinay de 1971 : est-ce d'une réédition de cette
          mutation dont il s'agit ? et pour accoucher de quoi ?
          seulement d'une candidature commune de toute la gauche à la
          présidentielle de 2022, quand Jean-Luc Mélenchon a annoncé
          qu'il maintiendrait de toute façon la sienne (la troisième à
          la présidentielle), que le Parti communiste en a dit autant de
          la sienne, qu'Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg ne savent pas
          comment retirer la leur et que de vieux chevaux de retour
          socialistes (Hollande, Cambadélis, Royal) piaffent en se
          prenant pour des recours. 
        
Même dans l'hypothèse tellement improbable qu'elle en devient illusoire d'une candidature unique de toutes les forces de la gauche française, alors qu'elle ne sont plus guère unie que contre l'extrême-droite (dont l'ascension a commencé alors que la gauche était au pouvoir), elles se retrouveraient, toutes ensemble, à leur niveau le plus bas depuis la Libération... Les expériences de la gauche au pouvoir ne sont d'ailleurs pas pour rien dans la désaffection qui la frappe, quand elles ne sont pas nimbées d'une nostalgie qui en voile les contradictions, parfois les échecs ou les impasses : on peut célébrer le Front Populaire en oubliant qu'en tant que gouvernement il n'a mené une véritable politique de gauche que pendant moins d'un an et s'est refusé à soutenir franchement le Frente Popular espagnol... Mais quand la gauche au pouvoir ne fait pas qu'abandonner son propre programme mais qu'elle se met à appliquer celui de la droite, la gauche dans l'opposition aurait tort de s'étonner du manque d'enthousiasme qu'elle suscite.
Quant aux fondements théoriques, programmatiques, idéologiques d'une gauche à reconstruire (et pas seulement en France), Thomas Piketty recommande (dans "Le Monde" du 12 juillet) d'adopter "un nouveau modèle de développement fondé sur des principes explicites de justice économique et climatique", ce qui ne renouvèle pas grand chose du bagage de la gauche, mais ajoute que "ce modèle doit être internationaliste dans ses objectifs ultimes mais souverainiste dans ses modalités pratiques" : chaque pays (au sens de chaque Etat) doit pouvoir fixer des conditions à la poursuite des échanges avec le reste du monde, sans attendre l'accord unanime de ses partenaires. Ce qui sera facile aux plus grands pays, beaucoup moins aux pays moyens, et totalement impossible aux petits pays... à moins de se coaliser, ce qui les obligerait précisément à être en accord entre eux pour "un modèle de développement coopératif, fondé sur des valeurs universelle : justice sociale, réduction des inégalités, préservation de la planète". Un vrai programme de gauche, mais qu'aucune force politique n'est capable de porter en France. Parce qu'il faudrait, pour le porter, réconcilier des bases électorales et militantes dont les priorités divergent autant que possible.
"Pour battre ceux d'en haut, ceux d'en
                      bas et ceux du milieu doivent combattre ensemble"
                    écrit
                                Jean-Claude Rennwald ("Socialiste un
                                jour, socialiste toujours", Editions de
                                l'Aire).
                    Une alliance des bobos, des
                prolos et des péquenots, en somme. Une alliance à
                construire, ou à reconstruire... mais sous quelle forme
                ? celle d'un parti (on n'en manque pourtant pas) ou
                celle d'un mouvement plus large, moins structuré, moins
                obsédé par le jeu électoral, et sans chefs, capable de
                nouer des alliances avec des organisations plus
                traditionnelles comme les syndicats, d'éviter le sort du
                mouvement Occupy ou des "Gilets Jaunes", capables de
                mobiliser des centaines de milliers de personnes mais
                incapables de faire quoi que ce soit de durable de ces
                mobilisations et de se servir des partis encore
                existants comme d'une courroie de transmission ? Ce ne
                serait  qu'un retour aux origines des partis socialistes
                du nord et du centre de l'Europe, qui furent créés par
                les syndicats pour porter leurs revendications dans les
                institutions politiques "bourgeoises"...
              
    


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