Genève : le Conseil d'Etat de gauche refuse une initiative de gauche
Contorsions
Comment un gouvernement à majorité de gauche
peut-il se débrouiller pour refuser une initiative de gauche
sans s'y opposer clairement tout en s'y opposant quand même ? En
disant qu'il en partage les objectifs mais qu'il en craint le
coût. En la rejetant tout en y suggérant un contre-projet, mais
en le suggérant à un parlement à majorité (encore) de droite.
C'est ce que vient de faire le gouvernement genevois en
confirmant la validité de l'initiative populaire "1000 emplois"
lancée par les syndicats et la gauche, qui propose non seulement
la création d'emplois "sociaux et écologiques", mais aussi la
réduction de la durée du travail, précisément pour pouvoir créer
des emplois (en partageant le travail) et "vivre mieux". L'initiative est une initiative
législative, qui n'est soumise au peuple que si le Grand
Conseil la refuse ou si un contre-projet lui est opposé. Les
syndicats font mine d'être "satisfaits" de la position du
Conseil d'Etat d'"ouvrir
des discussions en vue d’un possible contreprojet" et y voient
"une reconnaissance de la légitimité des préoccupations des
travailleurs-euses et des objectifs de création d’emplois
sociaux et écologiques" de l'initiative, mais, prudents,
espèrent que la position du gouvernement "soit sincère et ne se
fasse pas conditionner par la guérilla budgétaire menée par
la droite". Or c'est précisément à y conditionner que cette
position aboutit...sans le dire, tout en le disant...
"Nous finirons toutes et tous dans
le décor, faute d’avoir réussi le virage de l’urgence
climatique et sociale".
Lancée en avril dernier par les
syndicats et la gauche, l'initiative "1000 emplois" a abouti
en septembre, alors qu'à droite, le PLR et le PDC concoctaient
une initiative en sens exactement contraire, pour geler les
engagements à l'Etat lorsque son budget de fonctionnement est
déficitaire, alors que l'initiative syndicale propose la
création de mille emplois par
an dans les domaines sanitaires,
sociaux, du care et
de la transition écologique,
dans les collectivités publiques cantonales et municipales
ainsi que les institutions à but non lucratif poursuivant
des buts d'intérêt public.
Elle propose en outre d'encourager la réduction de la
durée du travail de
41 à 32 heures hebdomadaires
d'ici à 2030 sans
réduction de salaire . Nous voilà donc avec
deux projets fondamentalement contradictoires, un bon gros,
vieux, clivage gauche-droite des familles politiques à la
clef. Une clarification, en somme, dont le gouvernement
genevois ne semble pas vouloir. Que nous dit le Conseil d'Etat
dans sa prise de position sur l'initiative "1000 Emplois" ?
Qu'il "partage les préoccupations et les objectifs poursuivis
par les initiants", que comme eux (comme nous...), il admet la
gravité de la crise climatique" et la nécessité d'"une
accélération de la transition vers une société durable et des
modes de production et de consommation respectueux du climat",
qu'il veut "favoriser la création d'emploi
dans le but d'améliorer la cohésion sociale, de renforcer
la lutte contre le changement climatique, d'accentuer la
promotion de la santé et la prévention des maladies et de
promouvoir les modes de production et de consommation
durables". C'est bien, on aurait été
inquiets que le gouvernement genevois nie la crise climatique
et soit favorable à des pertes d'emplois, à la promotion des
maladies et au gaspillage des ressources". Et on n'attend pas
d'un gouvernement qu'il soutienne le désordre social (c'est un
privilège qu'on se réserve, au cas où ce désordre nous
paraîtrait être le signe, voire le moyen, d'un changement
social légitime). Mais une fois ces truismes exprimés, il nous
dit autre chose, le gouvernement genevois : que l'initiative
de la gauche "ne lui semble toutefois pas permettre
d'atteindre les objectifs visés" (la politique du gouvernement
le permet-elle donc ?), que les emplois qu'elle veut créer ne
seront pas forcément "occupés par des personnes aujourd'hui à
la recherche d'un emploi" (ce n'est le cas d'aucune création
d'emploi, sinon il n'y aurait plus aucun chômeur à Genève
depuis le temps qu'on y créée plus d'emplois que la population
active, chômeurs compris, peut occuper), que lui, le
gouvernement, doit "assurer son équilibre financier" (on
n'est pas dans le "quoi qu'il en coûte" macronien) et que la
réduction de la durée du travail doit se faire dans le cadre
de la loi fédérale. Comme si un employeur (l'Etat, les
communes, les institutions publiques n'avaient pas le droit et
le pouvoir de réduire le temps de travail de leur personnel,
comme nous le proposons à la Ville de Genève)...
Les syndicats, principaux initiants de "1000
Emplois", regrettent que le Conseil d'Etat ne soutienne pas
l'initiative. S'y attendaient-ils donc ? Ils saluent en même
temps "l’ouverture du gouvernement à
contribuer à l’élaboration d’un contre-projet" à l'initiative et
se disent prêts à y contribuer en attendant " l’ouverture rapide
de ces discussions par le Conseil d’État". Ils ne pouvaient en effet pas refuser a priori de
discuter, mais qu'attendre de discussions dont le but pour la
droite majoritaire au parlement sera d'opposer à leur initiative
un projet plein de bonnes intentions mais vide de contenu
concret pour un changement de politique ? Les syndicats
préviennent d'ailleurs eux-mêmes que "sans une intervention
résolue et significative en termes de création d’emplois, l’État
prendrait le risque de rater le virage de la transition
écologique et économique, avec des conséquences dramatiques pour
les travailleuses et les travailleurs, et plus largement
l’ensemble de la population".
Les syndicats considèrent que la décision du Conseil d’État d'ouvrir des discussions sur un contre-projet "va dans le bon sens" ? On y verra une formule de politesse à l'égard de la majorité de gauche du gouvernement... mais ils ont raison d'ajouter que cette ouverture de discussion n'ira dans "le bon sens" qu'à la "condition qu’elle soit sincère et ne se fasse pas conditionner par la guérilla budgétaire menée par la droite. On ne fera pas l'injure aux syndicats genevois d'être de gentils naïfs, ni au gouvernement d'être un gros menteur, mais on rappelle qu'un contre-projet à l'initiative de la gauche devra être adopté par un parlement à majorité de droite, foncièrement opposé à "doter les pouvoirs publics des forces de travail nécessaires" à la transition écologique, économique et sociale... alors que, comme préviennent les syndicats eux mêmes, "nous finirons toutes et tous dans le décor" si nous ne réussissons pas "le virage de l’urgence climatique et sociale"...
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