8 mars, journée internationale des droits des femmes :

 

Du mouron pour le patriarcat

Demain, 8 mars, ne se célèbrera pas plus la "journée des femmes" que le 1er mai ne se célèbre "la fête du travail" : demain, 8 mars, c'est la journée internationale des droits des femmes, comme le 1er mai est la fête des travailleuses et des travailleurs. Dans le calendrier républicain, le 8 mars, c'est le 18 ventôse. Et le 18 ventôse, c'est le jour du mouron. Si le vieux patriarcat pouvait s'en faire un peu, demain, ce serait un bon jour. Un bon jour aussi pour emprunter la Via Feminista qu'ouvre, de 16 heures à la Place Bel-Air à 19 heures à la Place des Volontaires, en passant par celles de l'Ile et des Lavandières, la Grève Féministe : elle reliera les combats pour le droit d'asile, contre le report de l'âge de la retraite des femmes, contre le racisme et les discriminations, pour l'urgence climatique et la justice sociale.

Révéler la persistance de l'inégalité, et de son déni

L'acceptation par le Conseil municipal de la Ville de Genève d'une motion proposant d'accorder aux femmes un rabais de 20 % sur les tarifs d'entrée dans les lieux culturels et sportifs de la Ville, puisque les femmes touchent en moyenne des salaires inférieurs de 20 % à ceux des hommes, a provoqué une surprenante levée de boucliers. Et même une pétition assez ridicule demandant son retrait alors qu'il était devenu impossible puisque la motion a été acceptée. Brisait-elle un tabou, cette proposition ? Menaçait-elle les finances de la Ville ? Rien de tout cela. Alors quoi ?

Disons que, plus que la motion elle-même, les rognes qu'elle a suscitée disent éloquemment la longueur du chemin à parcourir encore pour faire seulement admettre la réalité des inégalités dont les femmes sont victimes, la négation opiniâtre de ces inégalités et de leur résistance depuis un quart de siècle à la loi sur l'égalité, et la nécessité non seulement de les combattre, mais aussi d'adopter des mesures qui les compensent par des prestations spécifiques, comme l'autorise la Convention (ratifiée par la Suisse il y a 25 ans...) pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et comme on l'a fait pour bien d'autres groupes de population : les retraités, les jeunes, les enfants, les étudiants, les familles à faible revenu, les rentiers AI : dit-on alors que c'est mépriser les personnes faisant partie de ces groupes de population, mépriser les retraités, les jeunes, les enfants, les pauvres, les handicapés que leur accorder des rabais, des gratuités, des prestations spécifiques ? Que les tarifs réduits pour les rentiers AVS sont une discrimination envers les moins de 65 ans ? les tarifs réduits pour les jeunes une discrimination envers les adultes ? Les tarifs réduits et les gratuités pour les membres du Conseil municipal une manifestation de mépris envers le reste de la population ? Sans doute accorder aux femmes un rabais de 20  % à l'entrée dans les installations sportives et les lieux culturels de la Ville, c'est le leur accorder sans savoir si elles en ont besoin ou pas. Des femmes millionnaires en bénéficieront peut-être ? Des retraités millionnaires bénéficient des rabais AVS, des étudiants fils de millionnaires des rabais étudiants, des enfants de millionnaires des gratuités accordées aux enfants. Et des conseillers municipaux friqués d'abonnements gratuits TPG et de billets gratuits pour le Grand Théâtre et le Victoria Hall.

La loi fédérale sur l'égalité date de 1981. Quarante ans plus tard, l'égalité salariale n'est toujours pas acquise : "Je crois qu'il faudra passer par une initiative populaire pour l'obtenir (...) décrire concrètement les mesures à mettre en place, créer une obligation et des moyens de contrôle", soupire Christiane Brunner. Car non seulement les discriminations salariales dont les femmes sont victimes en Suisse n'ont pas reculé, mais elles ont même augmenté lors de la dernière années (2018) ou elles ont été mesurées à 19 %  (soit 1512 francs par mois, 6456 francs de salaire mensuel moyen pour un plein temps effectué par une femme, 7968 francs s'il est effectué par un homme), contre 18,3 % en 2016, 18.1 % en 2014) par la dernière enquête suisse sur la structure des salaires. La part de cette inégalité (que l'on constate et qui s'accroît même dans le secteur public) qui ne peut être attribuée à autre chose qu'à une discrimination de genre a elle aussi augmenté : une femme gagne 8,6 % de moins qu'un homme, soit en moyenne 690 francs par mois, pour la seule déraison qu'elle est une femme.  En 2020, les femmes salariées cessent en moyenne d'être payée à 15h19... De plus, 60 % des personnes qui gagnent moins de 4000 francs par mois (soit moins de la moitié de la moyenne nationale) pour un plein temps sont des femmes, alors que 80 % des personnes qui gagnent plus de 16'000 francs par mois (le double de la moyenne) sont des hommes.

Malgré la loi sur l'égalité, des femmes sont toujours licenciées alors qu'elles sont enceintes ou à la fin de leur congé-maternité. Certes, la la loi les protèges d'un licenciement pendant leur grossesse et les seize semaines qui suivent l'accouchement, mais pas au-delà. Et une femme sur sept arrêt de travailler après son congé-maternité, sans l'avoir souhaité. Et dans 3 % des cas, elle est purement et simplement licenciée au terme du délai de protection légale. Le Tribunal fédéral a bien confirmé qu'un tel licenciement était discriminatoire selon la loi sur l'égalité, et que les licenciées peuvent donc obtenir une réparation financière (quelques mois de salaire), mais pas une réintégration dans leur poste. Et comme les employeurs prennent généralement garde à ne pas donner la maternité comme motif de licenciement, l'employée a tout de même perdu son emploi.

Des tarifs réduits de 20 % pour les femmes à l'entrée des lieux sportifs et culturels de la Ville de Genève, cela ne compense pas les inégalités, les discriminations, les vexations infligées aux femmes -et à elles infligées parce que ce sont des femmes, et pour aucune autre raison. La motion acceptée par le Conseil municipal n'en avait d'ailleurs pas l'ambition. Elle avait en revanche, en limitant ses effets au temps qu'il faudra à corriger les inégalités de salaire et de revenu des femmes par rapport aux hommes, l'ambition d'en révéler la persistance, et celle de leur déni.

Et à en juger par les réactions qu'elle a suscitées, non seulement cette ambition était légitime, mais elle a été réalisée.

Commentaires

Articles les plus consultés