A propos des salaires des directeurs artistiques des grandes institutions culturelles

Mercato sans transparence

Une petite polémique comme on les aime à Genève égaie les media locaux, à propos du salaire et des revenus annexes du directeur artistique de l'Orchestre de la Suisse romande, Jonathan Nott, qui gagnerait en en tout quelque chose comme un demi-million de francs par année. Le double du salaire des magistrats chargés de la politique culturelle et donc du subventionnement de l'orchestre. Le PLR trouve cela tout à fait normal : il y a un mercato des chefs d'orchestre comme il y en a un des joueurs de foot, un mercato est un  marché, les chefs d'orchestre, et les orchestres eux-mêmes, sont donc une marchandise, fermez le ban et payez ! La même question qui s'est posée à propos du salaire du directeur artistique se posant à propos de celui du directeur général du Grand Théâtre, tous deux étant par ailleurs, tous critères marchands oubliés, d'excellents directeurs artistiques  (si vous le pouvez, allez voir "Atys" de Lully au GTG...), on attend aussi de connaître le salaire du directeur du Grand Théâtre : quand on a demandé au Conseil administratif de nous le communiquer, il nous a répondu que ça relevait du domaine privé. Privé de transparence, surtout. Du coup, dans un rapport de minorité rendu sur le budget du Grand Théâtre soumis au Conseil municipal, et dans une intervention pour soutenir les conclusions de ce rapport, on a appelé à l'abstention sur ce budget. On n'a pas été suivi par la majorité du Conseil mais, histoire de se faire un peu mousser, on vous rappelle ici les raisons de cet appel à l'abstention. On trouvera notre rapport de minorité (PR-1461) sur https://conseil-municipal.geneve.ch/conseil-municipal/objets-interventions/detail-objet/objet-cm/1461-178e/

Quand le refus de répondre à une question mal posée est une réponse plus éloquente que celle qui consiste à y répondre par "oui" ou "non"

Au vote de la commission des arts et de la Culture du Conseil municipal, la proposition d'approuver deux budgets de saisons passées et trépassées du Grand Théâtre avait été largement acceptée, contre une seule opposition, la mienne. Logiquement, j'aurais dû rejoindre le rang des abstentionnistes puisque c'est à s'abstenir dans le vote final que j'appelais le Conseil municipal, mais  pour pouvoir produire un rapport de minorité, il faut, toujours logiquement, être dans la minorité. Et là, j'y étais, j'y suis resté.

Nous, rapporteuse de majorité et rapporteur de minorité, ne différons cependant pas fondamentalement dans nos analyses respectives de la situation du Grand Théâtre, de la Ville à l'égard du Grand Théâtre, et de la Ville et du Grand Théâtre à l'égard du canton, mais nous divergeons sur la conclusion que nous avons à tirer de ces analyses, s'agissant du prononcement du Conseil municipal sur les budgets du Grand Théâtre : le rapport de majorité vous recommande de voter"oui",  le rapport de minorité de vous abstenir. Parce qu'un vote "oui"et un vote "non" sont d'une égale insignifiance s'agissant de l'objet soumis au vote.

Même si c'est prescrit par les statuts du Grand Théâtre, soumettre les budgets du Gd Théâtre au vote du Conseil municipal n'a en effet aucun sens, surtout quand il s'agit de budgets déjà consommé et consumé. Qu'on approuve ou non les budgets qui nous sont soumis n'a aucun effet, aucune pertinence, dès lors que ces budgets ont été accepté par le Conseil administratif. Ce qui a une importance, un effet, une pertinence, pour le budget du Grand Théâtre c'est le vote du budget annuel de la Ville, et donc des lignes qui financent l'institution, dont la subvention annuelle. Nous pouvons nous prononcer sur la subvention d'exploitation, parce que nous savons à quoi elle sert, mais nous nous prononçons sur elle lors du vote du budget de la Ville, pas lors d'un vote sans enjeu sur le budget de la fondation. Surtout quand pour nous prononcer sur ce budget, des informations importantes nous manquent : les salaires de la direction. Nous avons bien demandé au Conseil administratif, dans une question écrite, le 20 septembre dernier, de nous les transmettre, mais le Conseil administratif nous a répondu qu'il ne pouvait pas nous répondre parce que le salaire des membres de la direction relève de leur sphère privée. En revanche, les salaires du personnel municipal affecté au Grand Théâtre, on peut les connaître, puisqu'ils ne relève pas de la sphère privée. On ne mélange pas les torchons publics du personnel de la Ville et les serviettes privées du personnel de direction de la fondation.
Comment, dès lors, nous prononcer sur un budget dont des lignes doivent nous rester opaques ? Le règlement de la Ville de Genève régissant l'octroi des subventions municipales impose pourtant un "devoir d'information" des bénéficiaires de ses subventions...

Mais ce débat sur un objet sans enjeu a tout de même une utilité, si le vote qui va le clore n'en a aucune. Cette utilité, c'est de rappeler le contexte de ces budgets, et ce qu'ils signalent de l'état de la politique culturelle cantonale.
Tout, en effet, est affaire de choix politique -et le Grand Théâtre lui-même est le produit d'une succession de choix politiques : celui de Genève de se doter d'un opéra, celui de se doter d'un opéra public et non privé, celui de faire de cet opéra une institution municipale, celui de le doter d'une fondation publique, celui de la doter des moyens financiers nécessaires. La Ville est au coeur de ces choix : c'est elle qui assure l'existence du Grand Théâtre, sans elle Genève n'a pas d'opéra.

La question  à laquelle nous avons à répondre est donc celle qui clôt mon rapport de minorité très minoritaire : la Ville peut-elle continuer à financer presque seule la principale institution culturelle de la région ? Et à combler une partie de son déficit structurel, comme lorsque nous avons voté un crédit extraordinaire de 1,8 million pour éponger le déficit de la saison 2018-19 ? La fondation du Grand Théâtre est pourtant tenue, par la convention de subventionnement passée avec la Ville (art. 7), de solliciter elle-même "tout appui financier public et privé auquel elle pourrait prétendre"...

L'abstention que je vous propose n'est qu'une manière de poser à nouveau des questions auxquelles ni l'acceptation par ce Conseil des budgets de la fondation du Grand Théâtre, ni leur refus, ne donne le moindre début de commencement d'amorce de réponse. Cette abstention, en somme, est un rappel que la question du financement public du Grand Théâtre se pose toujours -et qu'elle est posée,  d'abord, au canton, à l'heure où le Conseil d'Etat est précisément saisi d'une proposition de subventionner le Grand Théâtre, et que le Grand Conseil pourrait à nouveau la refuser.
Ici,  l'abstention ne consiste pas à garder le silence, elle consiste à dire qu'à une question mal posée, il n'y a que des réponses fausses, et que le refus de répondre à une question mal posée est une réponse plus éloquente que celle qui consiste à y répondre par "oui" ou "non"...

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