Consultation sur la politique culturelle cantonale genevoise : Avant-projets ou brouillons ?
Deux avant-projets de textes sur la politique culturelle cantonale genevoise sont soumis à notre sagacité : celui de "lignes directrices" (un programme politique) et celui d'une loi. "Avant-projet", c'est un peu le nom officiel d'un brouillon qui, par ce nom, est inséré dans un processus institutionnel : on lance un texte, on le soumet à consultation, on analyse les résultats de la consultation, on reformule le projet, on le présente à une institution (ici, pour le projet de loi, le parlement), qui l''amende, l'accepte ou le refuse. Et le peuple peut avoir le dernier mot si un référendum est lancé. Au stade où on en est, celui de la consultation, les avant-projets sont donc encore des brouillons. Le projet de loi, en particulier, est lacunaire, ou ambigu, voire sur certains points contradictoire du mandat constitutionnel. Il ne préserve pas les communes, et en particulier la Ville, de transferts de charges sans transferts de compétence, ni n'assure à la consultation des milieux culturels que son résultat soit réellement pris en compte. Enfin, il ne tient pas compte des différences considérables d'engagements culturels des communes, et notamment de la Ville de Genève et de la plupart des autres communes. C'est en quoi nous nous autorisons à le considérer comme un brouillon -le terme n'est cependant pas si péjoratif qu'on pourrait croire : quelle grande oeuvre n'a pas fait l'objet d'un brouillon ? pas même le Grand Oeuvre.... Et nul ne demande à Thierry Apothéloz d'être un nouveau Nicolas Flamel et de concevoir la pierre philosophale capable changer en or le plomb de la politique culturelle cantonale genevoise.
Des
cimes de la création culturelle à la glèbe des budgets
Les "Lignes directrices de la politique culturelle cantonale" genevoise, proposées par le Département de la cohésion sociale et soumises à consultation, avec le projet de loi supposé en découler, sont les premières que le Conseil d'Etat présente depuis l'entrée en vigueur de la Loi cantonale sur la culture, en 2013. Et elles suivent de quelques mois la "feuille de route" que le Département municipal (de la Ville de Genève) de la culture avait présentée. Mais si la "feuille de route" municipale poursuit sur une voie qui est celle de la Ville depuis des années, les "lignes directrices" cantonales impliquent une profonde révision de la loi cantonale , et rendraient en outre caduque la répartition des tâches culturelles entre les communes et le canton, telle que posée par une autre loi cantonale, celle de 2015, qui faisait du soutien à la création et aux institutions culturelles une compétence exclusive des communes. Le projet de loi fondé sur les "lignes directrices", pourrait être soumis au Grand Conseil en septembre, mais d'ores et déjà l'avant-projet soumis à consultation en même temps que les "lignes directrices" digère à la fois la loi sur la culture et la loi sur la répartition des tâches en matière culturelle. Une fois la consultation close, un comité de pilotage gérera la suite de la procédure. La consultation court jusqu'à dimanche prochain, 22 mai. On ne saurait trop vivement vous inciter à y prendre part. Elle se fait exclusivement sur internet, et c'est par là que ça se passe : https://app2.ge.ch/sondage/126139
Les "lignes directrices de la politique culturelle
cantonale" soumises à consultation se veulent "fédératrices et
inclusives" (on voit d'ailleurs mal le DCS ou le Conseil d'Etat
proposer des lignes sectaires et exclusives) et sont
elles-mêmes issues d'un "large processus participatif",
impliquant le Conseil consultatif de la culture, la Commission
d'accès à la culture, trois départements cantonaux (celui de
l'Instruction publique, celui de l'économie et celui du
territoire, l'Association des communes genevoises, les
délégué.e.s culturel.le.s des communes, l'office cantonal de la
culture et du sport, les organisations professionnelles
genevoises des différents domaines culturels, les faîtières
culturelles romandes et fédérales. Des ateliers ouverts à tout
le milieu culturel se sont tenus en juin 2021 -mais seules 250
personnes y ont participé (400 lors de la séance de
restitution), ce qui est fort peu compte tenu de l'importance du
secteur.
L'ambition exprimée par ces lignes directrices
découle bien de l'art. 216 de la Constitution, mais elle reste
largement exorbitante des moyens financiers et humains dont
dispose actuellement l'office cantonal de la culture... et même
de ceux dont il espère pouvoir être doté, d'autant que le canton
doit en outre assumer le rôle que la Constitution cantonale lui
assigne désormais : coordonner la politique culturelle, assurer
"une approche cohérente du "faire ensemble" afin de favoriser
l'excellence tout en veillant au maintien de la diversité
artistique". La question des moyens, au-delà des bonnes
intentions politiques, reste donc centrale. Et donc, centrale
aussi, la question du soutien politique, celui du Grand Conseil
en particulier, à l'octroi de ces moyens -qui doivent s'ajouter
à ceux déjà accordés par les communes, à commencer par la Ville
de Genève, à leur politique culturelle -qui, dans le cas de la
Ville, est déjà une politique d'impact cantonal, voire régional.
La"feuille de route" de la Ville est celle d'une
municipalité qui donne le ton de la politique culturelle
genevoise, par les moyens qu'elle y consacre, les instruments
dont elle dispose et les ambitions qu'elle exprime. Le département municipal de la Culture (et de la
transition numérique) de la Ville, c'est 1282 collaboratrices et
collaborateurs, un budget de plus de 282 millions (en 2020), et
aussi, en gestion directe 5
musées, 7 bibliothèques municipales, la Bibliothèque de
Genève, ainsi que, généralement en gestion autonome, 13
théâtres et un opéra. La Ville a donc les moyens de
concrétiser la politique culturelle qu'exprime la "feuille de
route" du Département municipal de la culture. A côté de quoi,
le canton
ne s'est jamais engagé, ou à tout le moins n'avait jamais
dit le vouloir avant les "lignes directrices" aujourd'hui
proposées (et qu'il faut saluer pour cela), dans une
politique culturelle, voire dans une pratique culturelle,
que contraint par les milieux culturels, quand ce n'est pas
par le peuple. Et même dans ce cas, il ne s'y est le plus
souvent engagé qu'à reculons. D'autant qu'à toute politique
culturelle il faut des moyens, humains et financiers. Que
pèse le budget culturel du canton ? et quels sont les moyens
de son service culturel ? Si le canton de Genève consacrait 1 % de son budget à
la culture, il y consacrerait 93 millions de francs. Ce ne
serait encore que le tiers de ce que la seule Ville de Genève y
consacre, et en réalité le Conseil d'Etat annonce uniquement 11mio
par année pendant 10 ans, le reste étant à la charge des
communes via des transferts de charges... à leur charge.., ou
des économies sur d'autres lignes budgétaires que celles de la
culture.
Une ligne politique (Thierry Apothéloz en exprime une dans les "lignes directrices" qu'il propose pour la politique cantonale, comme Sami Kanaan en a fait ratifier une par l'exécutif municipal dans la "feuille de route" du Conseil administratif) ) ne vaut que par la capacité et la volonté de celles et ceux (le magistrat, le Conseil administratif et le Conseil d'Etat, dans leur ensemble, le Conseil municipal et le Grand Conseil, dans leur majorité) de lui donner réalité.
Entrons donc dans le détail (et qu'on nous pardonne la longueur de ce billet, qui tient carrément du rapport...) : Les "lignes directrices" se déclinent autour de quatre "missions". La première est de mettre en œuvre "une politique culturelle cohérente sur le territoire en favorisant la coopération". S'appuyant sur l'article 69 de la Constitution fédérale qui fait du canton le niveau institutionnel de référence en matière de politique culturelle (alors qu'en réalité, la politique culturelle est pour sa plus large part assumée par les communes, et en particulier les villes), celui de Genève affirme vouloir assurer une "vision d'ensemble" de la politique culturelle sur son territoire, "l’accessibilité pour toutes et tous à la culture", "le lien avec les autres cantons, notamment romands, ainsi qu'avec la Confédération (...) sans oublier l'espace transfrontalier" : une ambition largement exorbitante des moyens dont dispose actuellement l'office cantonal de la culture... d'autant que le canton doit en outre assumer le rôle que l'article 216 de la Constitution cantonale lui assigne désormais : coordonner la politique culturelle, assurer "une approche cohérente du "faire ensemble" afin de favoriser l'excellence tout en veillant au maintien de la diversité artistique". La "coordination" et la "concertation" entre le canton et les communes est défini comme un axe prioritaire : le canton veut instituer et piloter (mais en est-il capable ?) une "plate-forme de concertation culturelle réunissant les représentantes et les représentants des collectivités publiques genevoises". Consulter les milieux culturels sur la politique culturelle tient de l'évidence, au même titre qu'on consulte les milieux syndicaux et patronaux sur la politique du travail... mais cette consultation n'a de sens que si on tient compte de ses résultats, ce qui l'apparente à une concertation, à un "partenariat culturel" comme il y a un "partenariat social"... La distinction entre "concertation" (avec les communes) et "consultation" (des milieux culturels) paraît donc sans grand fondement.
Autre axe prioritaire : la "consultation des
milieux culturels", en élargissant le champ de la consultation
telle que prévue par la loi actuelle, qui a certes instauré un
Conseil consultatif de la culture mais l'a instauré comme une
commission officielle tenue en tant que telle au secret de
fonction. Un autre dispositif de consultation, par domaine
culturel, serait instauré. Et à chaque début de législature, le
canton organiserait avec les commune, le Conseil consultatif de
la culture et les milieux culturels des "états généraux de la
culture à Genève". C'est toujours bon à prendre, des états
généraux : parfois, il en sort une révolution. On hésitera
cependant à en attendre autant de ceux-là. Et puis, il manque un
"axe prioritaire" : la continuité des
engagements du canton et des communes dans la politique
culturelle. Cette continuité est pourtant essentielle à la
crédibilité de ces engagements et de cette politique.
Troisième mission : favoriser une "transition
durable et sociale dans le domaine de la culture". Le canton
veut "réduire la tendance à multiplier les événements dans le
domaine de la culture" et donc "la dispersion des moyens". Un
moyen de réduire les soutiens ? Non, affirme-t-il : il veut
renforcer le soutien "aux structures de production et de
diffusion". Et se donne cinq axes prioritaires : une culture
"plus respectueuse de l'environnement", plus "inclusive", avec
"davantage de protection des artistes, actrices culturelles et
acteurs culturels", une culture "plus innovante dans un rapport
conscient aux technologies", et un "encouragement à une culture
du bâti de qualité. Sous les beaux mots, derrières les belles
intentions, quoi ? c'est le troisième axe qui est le plus
concret : remédier à la "précarisation de nombreuses actrices et
nombreux acteurs de la culture et la fragilité de leurs
conditions de travail", agir pour améliorer leur statut, leur
rémunération, leur prévoyance professionnelle, renforcer l'accès
au statut d'indépendant, inciter les structures à rémunérer les
artistes "selon les tarifs recommandés par les faîtières
professionnelles", soutenir les initiatives en ce sens portées
par les actrices et acteurs des domaines artistiques, prendre en
compte le temps de la conception artistique et pas seulement
celui de sa représentation. Il manque toutefois une référence au
"portage salarial" (l'engagement formel des artistes par une
structure intermédiaire qui les salarie. Quant à
l'"encouragement à une culture du bâti de qualité", il devrait
se traduire par "la mise à disposition, dans les nouveaux
quartiers, d'espaces à prix accessibles pour la culture ou (par)
la reconversion, dans les quartiers en mutation, de bâtiments à
haute valeur patrimoniale en lieux de création ouverts au
public".
Quatrième et dernière mission : s'engager "pour un
accès et une participation à la culture pour le plus grand
nombre". Là, il s'agit de poursuivre sur une voie déjà tracée,
et de renforcer les moyens d'une politique déjà engagée : "le
canton poursuit son engagement dans l'éducation artistique et
culturelle", développe les pratiques collectives au sein de
l'école publique, "augmente le nombre d'enfants et de jeunes
ayant un accès à la formation artistique". Nouveauté : un
"chèque formation culture à destination des adultes âgés de plus
de 25 ans". Le canton devrait mettre en oeuvre "une politique
tarifaire favorisant l'accès de toutes et tous", mais il ne peut
guère le faire que dans les lieux qu'il contrôle directement )et
il en contrôle fort peu, surtout si on le compare à la Ville) :
les lieux et institutions autonomes le sont aussi dans leur
politique tarifaire... Il lui serait en revanche peut-être plus
facile de, comme il se le propose, mettre en oeuvre des "actions
ciblées dans les communes et les quartiers les plus
précarisés", mais on voit mal comment il pourrait le faire sans
se "concerter" avec les communes concernées... Enfin, il veut
encourager les projets artistiques et culturels intégrant "la
médiation culturelle sous toutes les formes possibles" et
favoriser "le développement des pratiques culturelles en milieu
scolaire", ce qui en effet relève, comme l'école elle-même, de
sa compétence. En revanche, la garantie
des droits sociaux des acteurs culturels n'est pas mentionnée
dans la liste des tâches du canton. Elle devrait l'être.
De ces "lignes directrices" découle, ou est
supposé découler, le projet de loi du Conseil d'Etat. L'exposé
des motifs du projet de loi l'assure : "Genève a besoin de se
doter d'un cadre législatif débarrassé des ambiguïtés
législatives, voire des contradictions, accumulées, au fil des
années". Le projet de loi y parvient-il ? L'exposé des motifs,
évidemment, le proclame : "le présent projet de loi donne à la
culture genevoise les moyens d'être l'un des ciments de la
cohésion sociale et de déployer son plein potentiel en matière
de recherche, de création, d'accès à la culture et de
rayonnement", et il "apporte une cohérence transversale à
l'action du canton". En réalité, le projet de loi donne des
compétences, mais pas vraiment de moyens, les moyens ne pouvant
être donnés (ou pas) que par le Grand Conseil, dans le cadre des
débats budgétaires -et donc des rapports de force politiques. Le
Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz évoque l'objectif d'accorder
1 % du budget cantonal à la politique culturelle, mais, à
supposer que cet objectif soit approuvé par le Grand Conseil,
l'idée dominante au Conseil d'Etat semble bien être de faire
financer en grande partie un effort accru du canton par un
transfert de charges sur les communes, sans transferts de
compétences.
L'avant-projet de loi définit quatre missions et
treize axes de la politique culturelle cantonale. Le canton
devrait coordonner les politiques culturelles (la sienne et
celles des communes), en concertation avec les communes et en
consultant les milieu culturels (on notera la différence des
démarches : concertation dans un cas, simple consultation dans
l'autre, sans garantie qu'il sera tenu compte du résultat de la
consultation). Dans ses "principes" (art. 4) le projet proclame
que "l’initiative en matière culturelle appartient en
priorité aux particuliers et aux organismes privés ou
publics" (autant dire qu'elle appartient à toutes et
tous...) et qu'"une transition durable dans le domaine de la
culture est encouragée" (il serait utile de préciser de
quoi vers quoi il s'agit de faire transition..). On note
également, dans plusieurs articles, qu'il est parfois fait
mention des communes en général, la Ville équivalant alors à
Céligny comme acteur de la politique culturelle, et que l'on
distingue ailleurs la Ville de Genève des autres communes alors
que nulle part dans la loi on ne distingue LES villes (et pas
seulement LA Ville) des autres communes. Il serait plus cohérent
dans le dispositif de la loi qu'une formulation unique ("les
communes" ou "la Ville de Genève et les autres communes") soit
utilisée, sachant que de toute façon, vu son poids dans la
politique culturelle, la Ville de Genève a de fait, sinon de
droit, un statut particulier. Le projet
de loi propose la création d'une commission cantonale
consultative d'accès à la culture pour "assurer la
coordination dans ce domaine", mais la Ville de Genève et
l'ACG ne sont pas représentées dans cette commission alors même
que le projet de loi ouvre la possibilité d'un retrait du canton
dans ce domaine, alors qu'il est posé comme une compétence
exclusive du canton. Le projet détermine donc des compétences
exclusives du canton, il est donc logique
d'en conclure que toutes les autres compétences sont partagées,
même les compétences "prioritaires", surtout si les communes
n'ont plus de compétences exclusives alors que le canton s'en
garde pour lui. D'entre les compétences prioritaires que le
projet de loi attribue (art. 10) au canton, il conviendrait d'ajouter, pour reconnaître leur statut
d'institutions d'intérêt stratégique, celles concernant la
Bibliothèque de Genève, le Musée d'Art et d'Histoire et le Grand
Théâtre, voire l'OSR. Pour la BGE et le MAH, actuellement en
gestion directe par la Ville, cela impliquerait leur
"autonomisation" sous la forme de fondations de droit public.
Pour l'OSR, fondation de droit privé, il deviendrait une
fondation de droit public. Pour le GTG, le subventionnement
cantonal ne devrait pas s'en tenir, s'il devait s'agir d'un
subventionnement prioritaire, à la reprise de l'actuelle
subvention d'exploitation versée par la Ville, qui ne
représente, hors investissements, qu'un quart du coût de
l'institution pour la Ville.
Le principe du cofinancement des institutions
culturelles par le canton et les communes est sans doute
l'élément central de l'avant-projet de loi. Il découle
directement de l'article constitutionnel issu de l'IN 167, mais
comment ce principe est-il traduit, avec quelles limites ?
D'abord, quand on parle
dans la loi de cofinancement d'une institution, on ne sait pas
si cela concerne le fonctionnement, les investissements ou les
deux. Ensuite, il est prévu à l'art. 16 de poser des
"critères indicatifs permettant de guider le canton et les
communes dans la détermination, pour chaque institution
culturelle, de l’opportunité d’un cofinancement et, le
cas échéant, de la mesure de celui-ci", mais le canton
s'attribue la compétence d'édicter ces critères sans obligation
de consultation des communes ou des milieux culturels, et
évidemment sans obligation de concertation. Cette délégation
législative (usage de la voie réglementaire pour les modalités
d'application de l'article) devrait au moins avoir pour
condition un accord de l'ACG sur son contenu.
L'avant-projet de loi affirme (art. 8) que "Les
communes peuvent prendre ou soutenir toute initiative en
matière culturelle", mais c'est pour ajouter que "les
compétences exclusives et les compétences prioritaires du
canton sont réservées", les communes n'ayant plus de
compétences exclusives, et pour imposer aux communes la
responsabilité "du
soutien à la création et du subventionnement des
institutions culturelles lorsqu’un cofinancement par le
canton n’a pas été jugé opportun", même dans
le cadre d'une "compétence conjointe"... Que reste-t-il d'une compétence "conjointe" du canton
et des communes si le canton peut de son propre chef décider
de se retirer d'un financement en imposant aux communes de le
reprendre ?
L'avant- projet de loi prévoit
(art. 6) que "le canton et les communes peuvent déléguer
tout ou partie de l'exécution de leurs tâches à une autre
collectivité publique ou à une organisation
publique ou privée ". Mais la délégation, sans
ratification par le Grand Conseil et/ou les conseils
municipaux des communes concernées, est un
affaiblissement de l'engagement public et peut menacer la
pluralité des sources de financement, et donc la diversité
culturelle, en faisant dépendre trop étroitement les acteurs
culturels d'une entité, qu'elle soit publique ou privée. Cet
alinéa devrait être supprimé, ou contenir une exigence de
ratification par le Grand Conseil et/ou les conseils
municipaux des communes concernées de toute délégation de
tâche culturelle.
Nul ne doutant que la question du
financement de la culture et en particulier des grandes
institutions culturelles sera celle qui fera le plus
polémique, le projet de loi pose plusieurs problèmes, en en
laisse plusieurs autres sans réponse. Ainsi prévoit-il (art.
15) la possibilité pour le canton d'"établir
un partenariat avec des organismes actifs dans (le)
domaine" du soutien aux infrastructures
culturelles, mais sans prévoir de concertation avec les
communes. Il ne prévoit pas non plus explicitement la
possibilité de créer des lignes générales par domaines
culturels, permettant au canton, en y puisant, d'attribuer des
subventions uniques, non reconductibles, à des projets
spécifiques.
Enfin, si certaines
institutions culturelles jugées "stratégiques"
bénéficieraient d'un cofinancement par le canton et la
commune ou les communes, au premier rang de celles
concernées, il est à craindre que n'en bénéficieraient,
en tout cas dans un premier temps, on ne trouve que des
institutions sises en Ville : le Grand Théâtre, la
Comédie, le MAH, la Bibliothèque de Genève, voire Am
Stram Gram et le Théâtre des Marionnettes.
Le projet de loi traite enfin (art. 21) de la situation des artistes, créateurs, acteurs culturels indépendants. Il est proposé que "lorsque le canton ou les communes accordent des aides individuelles aux actrices et acteurs du domaine de la culture, ils s’assurent du versement des cotisations sociales. Les montants des aides sont adaptés en conséquence". C'est une excellente proposition. Il conviendrait toutefois de préciser, comme cela est fait pour les aides individuelles, que les subventions doivent être adaptées à l'exigence du respect des droits sociaux des personnes engagées (salariées ou non) par les bénéficiaires des subventions. Il conviendrait également que le canton encourage le système du portage salarial, là où il est opportun : le système du portage salarial permet aux artistes et créateurs culturels indépendants de bénéficier des droits sociaux des salariés, sans l'être de l'entité culturelle qui les emploie mais d'une entité intermédiaire assumant formellement le rôle d'employeur (comme les entreprises de travail temporaire pour les travailleurs qu'elles missionnent dans leurs entreprises clientes). Il manque un article à ce sujet dans le projet de loi.
Etrangement, l'article 22 , qui autorise le canton à réduire, voire carrément supprimer, un financement qu'il accorde en imposant aux communes de le reprendre (ou de reprendre la charge concernée) lorsqu'il s'agit de l'accès à la culture des écoles, n'est pas soumis à consultation. De toute évidence, il s'agit d'un choix délibéré. Or ses alinéas 2 et 3 posent problème, et une évaluation du projet dans son ensemble ne peut se passer d'une évaluation de cet article. Le projet de loi n'a de sens que s'il permet un engagement renforcé du canton dans la politique culturelle. Cet engagement ne peut se traduire par le jeu à somme nulle à quoi aboutirait la reprise obligatoire par les communes des financements cantonaux supprimés, ou de la part de ces financements qui aurait été supprimée. Surtout s'il s'agit de financements qui correspondent à une compétence que le projet de loi accorde exclusivement au canton, comme les mesures d'accès à la culture pour les élèves de l'instruction publique. Si cette compétence est exclusive, sa charge financière doit l'être également. Et si cette charge est reportée sur les communes, cette compétences n'a plus lieu d'être exclusive. Ce à quoi il faut aboutir, c'est un renforcement de l'action culturelle de toutes les collectivités publiques, canton et communes. C'est d'ailleurs ce que demande une résolution que la commission des arts & de la culture du Conseil municipal propose à l'agrément de la plénière du parlement de la capitale culturelle du monde culturel genevois...
Reste donc, toujours, la fort triviale question des moyens, des finances, des budgets : "il s'agit d'assurer sur le long terme des budgets suffisants de soutien à la création", mais aussi aux "grandes institutions des arts vivants, dont la Ville assume la responsabilité", lit-on dans la "Feuille de route" de la politique culturelle de la Ville de Genève. Il s'agit aussi de "renforcer le statut professionnel des artistes, acteurs et actrices culturel-le-s", et cela aussi coûte : inscrire des rémunérations minimales des artistes dans les conventions de subventionnement passées par la Ville avec des institutions culturelles, ou de grands acteurs cultures collectifs, cela implique forcément une augmentation des subventions accordées à ces institutions et ces acteurs. Et c'est ainsi qu'après nous être gracieusement envolés vers les cimes éthérées de la création culturelle, on retombe lourdement dans la glèbeuse réalité budgétaire...
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