Ni le droit à la paresse, ni travailler deux heures par jour : Négocier les 32 heures

Nous nous sommes, hier, au Conseil municipal de Genève, prononcés sur la proposition d'introduire la semaine de 32 heures dans le statut de la fonction publique municipale -ou plutôt, dans la formulation d'un amendement à cette proposition, de demander à l'exécutif municipal, le Conseil administratif, d'engager des négociations avec les syndicats sur cette réduction du temps de travail, sans aller plus en détail  dans sa concrétisation, la laissant précisément cette concrétisation à la négociation avec les syndicats et la commission du personnel de la Ville. Au fond, notre proposition était plus plus modérée, réformiste, pragmatique, empirique... bref, modeste et frustrante que celles du "droit à la paresse" de Paul Lafargue ou du "travailler deux heures par jours" du collectif Adret, proche du syndicat CFDT, dans les années septante du siècle dernier. Il est vrai que nous ne sommes que la Commune de Genève de 2022, pas la Commune de Paris de 1871 : nous ne proposions de faire qu'un petit pas que nous pouvons faire. Une majorité de droite et des Verts a refusé de faire ce pas.


Un siècle et demi de luttes pour une revendication encore urgente

On peut résumer en trois affirmations les "considérants", les motivations, de la proposition faite au Conseil municipal de Genève :

– la légitimité sociale de la revendication de réduction du temps de travail et du partage des postes de travail; et l’évidence que l’évolution technologique donne, grâce à l’augmentation de la productivité du travail, de nouvelles possibilités de réduire le temps de travail nécessaire pour assurer à la population les services et les prestations dont la Ville a la charge, y compris des services nouveaux et des prestations nouvelles;
– la fonction de référence, pour le secteur privé, des statuts des fonctions publiques;
- la nécessité de négocier toute modification du statuts de la fonction publique municipale avec les organisations syndicales et les représentations du personnel municipal, ainsi que de les entendre lors des travaux en commission -la commission des finances l'ayant stupidement refusé lors de l'examen du PRD.

C'est une vieille revendication de gauche que le Projet initial portait, que l'initiative "1000 emplois" porte, que la Grève du Climat porte, que la Grève féministe porte également, et que nous proposons à un Conseil municipal à majorité de gauche de demander à un Conseil administratif à majorité de gauche de continuer à porter. Une vieille revendication, et l'une de celles sur lesquelles se sont constituées les organisations ouvrières, les syndicats, puis les partis politiques -bref, ce qui, historiquement, est défini comme le "mouvement ouvrier", toutes tendances, non pas confondues, mais additionnées, des sociaux-démocrates aux anarchistes. Les Verts ne sont pas issus de ce mouvement, mais sur ce thème comme sur d'autres, ils partagent, au moins rhétoriquement,  cette revendication fondatrice du mouvement ouvrier, pour des raisons qui leurs sont spécifiques, mais qui aboutissent à la même conclusion : il faut réduire le temps de travail lié, c'est-à-dire celui dont le travailleur et la travailleuse n'est pas maître ou maîtresse, le temps pendant lequel il et elle sont à la disposition de leur employeur. Et c'est une revendication à laquelle la droite s'est toujours opposée, et dont la concrétisation a toujours dû lui être imposée. Comme, d'ailleurs, celle d'un salaire minimum.

Nous sommes, à gauche, à la fois héritiers d'un siècle et demi de luttes, et porteurs d'une revendication encore urgente. Cela fait 150 ans que le mouvement ouvrier, dont nous sommes issus puisque les partis socialistes ont généralement été créés par les syndicats comme leur courroie de transmission dans les institutions politiques, se bat pour réduire le temps de travail. A 60 heures par semaine. Puis à 48 heures. Puis à 40 heures -on n'y est même pas encore au plan légal en Suisse. Et aujourd'hui, à 32 heures, peut-être quatre jours par semaine. Mais on avance. Ailleurs : En Espagne, la semaine de 4 jours est dans le programme du gouvernement et en Allemagne une grande partie de la population travaille en moyenne 34 heures et demie par semaine.

Nous proposons la semaine de 32 heures, mais nous ne pouvons agir que sur la fonction publique municipale, et sur la part de cette fonction publique qui dépend du statut du personnel (1). Quelque regret que nous en cultivions, nous ne pouvons régir le temps de travail de toute la population active de la Ville, mais seulement de la part que la Ville emploie, soit tout de même plus de 4000 personnes, ce qui fait de la Ville de Genève l'un des principaux employeurs du canton... c'est d'ailleurs toujours ainsi que le processus historique de réduction du temps de travail, des 72 heures des débuts de la révolution industrielle aux 32 heures que nous revendiquons aujourd'hui, s'est déroulé : secteur après secteur, catégorie de la population après catégorie de la population, entreprises ou branches après entreprises ou branches, voire classes d'âge et sexes après classes d'âge et sexes. Aucune mesure de réduction du temps de travail, aucune règlementation, n'a jamais concerné l'ensemble de la population active : aujourd'hui, les 43 heures de la loi fédérale ne concernent encore que les salariés -les indépendants, les petits commerçants, les petits commerçants, les paysans, ne sont pas concernés.

Enfin, quand on parle du temps de travail, on parle du temps de travail qui donne droit à un salaire entier, pas du temps de travail réel : les 43 heures de la loi fédérale, les 39 heures du statut du personnel de la Ville, les 32 heures de nos propositions, notamment de celle de l'initiative 1000 emplois, correspondent au plein temps de travail, à partir duquel on détermine les temps partiels et les heures supplémentaires, et leur rémunération. Et il ne s'agit toujours là que du temps de travail salarié, du temps de travail lié : tout le travail effectif assumé sans rémunération fait aussi l'objet de revendications fondamentales, notamment par le mouvement féministe, puisque ce travail-là est très majoritairement assumé par des femmes.

Il y a des propositions qui sont politiquement distinctives avant même que de pouvoir être acceptée, et la réduction du temps de travail en est une, depuis un siècle et demi. Au modeste niveau d'un Conseil municipal , ce débat ne fait que commencer : la proposition qui est soumise au parlement de la Ville de Genève ne sera vraisemblablement soutenue que par une partie de la gauche (celle qui se souvient d'où elle vient et de ce qui la distingue de la droite) et on se prépare à entendre à propos des 32 heures les mêmes chipotages comptables ou procéduriers, et les mêmes arguments, à peine rafraichis, que ceux qui étaient déjà assénés à propos des 60, des 48 heures, des 43 heures, des 40 heures, des 35 heures. Mais c'est cela, le paradoxe du débat sur la réduction du temps de travail : il nécessite un temps bien plus considérable que celui qu'on veut réduire...

Un temps pendant lequel on aura largement celui de mesurer ce qui reste de gauche à gauche... ne serait-ce que pour nous éviter de nous mélenchoniser en proclamant "la gauche, c'est nous !"


(1) Actuellement, la durée normale du travail en Ville de Genève est de 39 heures par semaine en moyenne, soit 2036 heures par année. Le personnel continue à travailler 40 heures par semaine et bénéficie d’un congé compensatoire annuel de 6,5 jours pour la 40e heure travaillée. Dans le canton de Genève, en 2018, la durée moyenne hebdomadaire du travail à plein temps dans le secteur privé était de 41 heures (heures supplémentaires non comprises), 40 heures dans la santé, le social, l'administration et l'enseignement -mais 42 heures dans l'hôtellerie et la restauration.

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