Révolution en France : un parlement représentatif du paysage politique...

Tout ça pour ça ?

Si on voulait banaliser le résultat des législatives françaises, et on est assez tentés de le faire à la lecture des commentaires apocalyptiques qu'elles ont suscités, on userait benoîtement de la métaphore horlogère : elles ont "remis les pendules à l'heure", en donnant à chaque grande famille politique une représentation parlementaire illustrant sa force et sa place : pour la première fois peut-être sous la Ve République, les élections législatives ont accouché d'un parlement à peu près représentatif des choix politiques de l'électorat actif. C'est notable, mais y voir une rupture, un bouleversement, une révolution sortie des urnes, tient à la fois de l'amnésie et du francocentrisme. En 2017, au deuxième tour des législatives, les candidats macronistes avaient recueilli 49,2 % des suffrages exprimés, cinq ans plus tard, ils n'en recueillaient plus que 38,63 % : c'est un recul de près d'un million de voix. Pas le pire recul (les Républicains et l'UDI ont perdu trois millions de voix en passant de 25,17 à 7,27 % des suffrages), mais un recul tout de même. Pas une déroute, mais une défaite. En face, la NUPES rassemble 32,64 % des suffrages et progresse de plus de 4,6 millions de suffrages, et le Rassemblement national 17,3 % des suffrages, soit deux millions de plus en cinq ans. Et le résultat en termes de sièges, s'il n'est pas proportionnel au résultat en termes de suffrages, est tout de même moins éloigné de la réalité électorale qu'il est de coutume en France. Et si une élection a réellement été historique, dimanche soir, c'est en Colombie, le candidat de la gauche a été élu à la présidence de la République. C'est la première fois depuis 200 ans. Et la première fois aussi que la vice-présidence sera occupée par une femme, afro-américaine.


Dimanche, il n'a pas fait la révolution, le peuple français.

Ce fut une étrange campagne électorale, que celle qui vient d'accoucher de cet étrange résultat : une campagne qui a tourné en un affrontement entre deux personnages qui n'étaient ni l'un, ni l'autre candidat : Macron et Mélenchon. Le premier, réélu à la présidence de la République, avait dans un premier temps choisi d'anesthésier la campagne, avant que de s'en prendre au second, qui faisait croire que lui-même croyait pouvoir être élu Premier ministre, et s'en prenait au président dont il faisait mine de vouloir attendre qu'il le choisisse... Du coup, le président est redescendu de son Olympe et, sur le tarmac de l'aéroport où l'attendait l'avion qui devait le mener en Roumanie, a appelé les Français et les Françaises à lui donner une majorité "solide" (entendez : une majorité absolue) pour ne pas "ajouter un désordre français au désordre du monde"... C'est raté, la coalition présidentielle n'a plus la majorité absolue (mais elle garde la majorité relative) et il lui manque 44 député.e.s pour pouvoir faire passer la moindre proposition. En face, la NUPES est la première force d'opposition, mais fait un résultat inférieur à ses espérances. Et le seul parti qui peut crier victoire, c'est le Rassemblement National : jamais l'extrême-droite n'a été si forte dans un parlement démocratiquement élu en France...

La coalition présidentielle obtient donc 246 sièges sur 577 (plus cinq élus centristes), la coalition de gauche 142 sièges (plus 13 élus "divers gauche"), la coalition de droite (Républicains et UDI) 64 sièges (plus 9 élus "divers droite"), le Rassemblement national 89 sièges. Macron et son gouvernement vont dont se retrouver en face d'une Assemblée nationale très clivée entre la NUPES et "Ensemble", avec une représentation renforcée du Rassemblement National. Comment s'en accomoderont-ils ? en formant un gouvernement de coalition ? Après tout, c'est le cas en Espagne, en Italie, en Allemagne : ni le PSOE de Pedro Sanchez, ni le SPD d'Olaf Scholz ne disposent d'une majorité absolue, et gouvernent en coalition avec la gauche (Podemos )en Espagne, voire la gauche (les Verts) et la droite (les libéraux) en Allemagne, et même avec tout le monde, y compris l'extrême-droite (Lega) en Italie... Au fond, la France, en comparaison avec ses plus grands voisins (on peut oublier la Suisse, assez excentrique dans la formation de son gouvernement) se normalise, en se retrouvant dans la même situation que les trois autres plus grands Etats de l'Union Européenne : avec un parlement où le principal parti gouvernemental ne dispose pas d'une majorité absolue... Mais pour former une coalition avec qui que ce soit, il faut bien que ce qui que ce soit soit d'accord... or aucune des oppositions, de gauche (Nupes), de droite (PR) ou d'extrême-droite (RN) n'en veut d'une coalition en France. "ça n'est pas dans l'adn politique français", soupirent les commentateurs. Parce qu'il y a un "adn politique" national ? Foutaise : les stratégies politiques relèvent de l'arbitraire, c'est-à-dire de choix, et, si possible, du rationnel -pas d'une fatalité biologique. Et le gouvernement de coalition n'est pas moins rationnel que le gouvernement "monocolore".


Encore faudrait-il, pour qu'une coalition soit possible, que le parti qui en serait la force principale (le SPD en Allemagne, le PSOE en Espagne...)  présente à ses potentiels alliés un programme politique et fasse le nécessaire pour obtenir suffisamment de soutiens pour qu'une majorité parlementaire se dessine... mission impossible ? Impossible en France alors qu'elle est possible ailleurs ? Historiquement, les cinq républiques françaises ont été bien plus longtemps gouvernée par des coalitions de forces différentes, voire contradictoires, que par une seule force -même les gouvernements de la Ve République, sous les présidences de De Gaulle, Pompidou, Giscard, coalisaient des représentants de partis différents... comme le gouvernement de Pierre Mauroy, sous Mitterrand, alors même que le PS avait la majorité absolue à l'Assemblée...


De toute façon, même dans un système politique aussi vertical, hiérarchique, que le  français, le dernier mot finit toujours par revenir au peuple. S'il ne peut l'exercer en élisant ou en votant (faute de référendum d'initiative populaire), il le fait par la grève, l'émeute, l'insurrection... voire la révolution. Or dimanche, il n'a pas fait la révolution, le peuple français. D'ailleurs, il s'est majoritairement abstenu : la majorité des citoyen.ne.s français.e.s n'a pas usé de son droit d'élire le parlement. Et alors ? C'est aussi un droit que ne pas user d'un droit... fût-ce qu'en se préparant à user d'autres droits, que la constitution française actuelle n'accorde pas au peuple, mais que la deuxième constitution (1793) de la première République française lui accordait : "Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs"... On n'en est pas là. Plus là. Ou pas encore là. Car la grande colère de l'hiver 2018 n'est pas retombée, même si ses acteurs, les "gilets jaunes",  semblent s'être évaporés. Ils furent pourtant de ceux qui marquèrent le premier quinquennat de Macron en promenant sa tête au bout d'une pique, façon gouverneur de la Bastille le 14 juillet. Et qui ont décidé de marquer l'entrée de Macron dans son second quinquennat en dissolvant sa majorité absolue... après l'avoir réélu lui-même. L'histoire a de ces ironies...

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