De 65 ans à 67 ans pour tout le monde : Retraite de la retraite...

Le 24 septembre 2017, le peuple refusait une réforme du système de retraite qui fixait à 65 ans l'âge de la retraite des femmes, et prévoyait une hausse de la TVA pour financer l'AVS. Cinq  ans plus tard, à en croire les sondages, le même peuple accepterait les mêmes propositions, contenues dans le plan "AVS-21", la contre-réforme du système proposée par les majorités parlementaires et gouvernementale (de droite), et combattue par la gauche. Le premier projet de la réforme, le report de l'âge de la retraite des femmes serait accepté grâce au vote massif des hommes, des jeunes, des électeurs de la droite (sauf ceux de l'UDC) et de la Suisse alémanique. Les femmes, les 50-64 ans et les Romands s'y opposent. Le deuxième projet, le relèvement de la TVA, serait, lui, plus largement accepté, même les femmes ne s'y opposant pas. Les deux projets sont indissociables : si l'un des deux est refusé, l'autre tombe. "AVS 21" fait passer la TVA à 8,1 % au taux normal, 3,8 % au taux spécial et 2,6 % au taux réduit, soit des hausses de 0,3 et 0,1 %. Pour ramener 1,4 milliard de francs par an à l'AVS -mais en le prenant dans les poches des consommateurs, au moment d'un réveil de l'inflation et d'une hausse des primes d'assurance-maladie. Et en attendant la future nouvelle "réforme" rêvée par la droite : la retraite à 67 ans pour tout le monde. Ou, mieux encore, la retraite à l'âge moyen du décès... La retraite de la retraite...

L'AVS n'est ni une aumône, ni un octroi princier, ni une aide sociale : c'est un droit

"Comment des Suissesses peuvent-elles aujourd'hui croire que si on accepte, le 25 septembre, d'augmenter l'âge de l'AVS des femmes, l'égalité des salaires va suivre comme par magie ?", s'interroge la rédac'cheffe du "Matin Dimanche", Ariane Dayer. Bonne question... Quelque part, dans l'électorat féminin, quelque chose qui tiendrait de la résignation serait à l'oeuvre, après des années de tentatives de faire payer aux femmes les conséquences d'un refus obstiné de renforcer l'AVS autrement qu'en les faisant travailler plus longtemps -sans leur assurer un salaire égal à celui des hommes  ? Toute la droite semble pourtant s'être subitement convertie à l'égalité entre femmes et hommes. "Semble", seulement, et seulement dans le discours. Parce que pour le reste, elle ne renonce pas à s'opposer aux dispositifs efficaces de lutte contre les inégalités de salaire...  La réforme de l'AVS soumise au peuple à la fin septembre se fait d'abord sur le dos des femmes (qui s'y opposeraient peut-être, mais s'abstiennent plus souvent que les hommes) et des consommateurs (les consommatrices étant frappées deux fois, en tant que les unes et les autres). Avec le projet AVS 21 les femmes devront travailler plus longtemps, mais continueront à toucher des rentes vieillesses plus faibles, la TVA serait augmentée (cette augmentation serait plus nettement acceptée que le report de l'âge de la retraite des femmes), mettant à mal le pouvoir d'achat des consommateurs aux revenus les plus bas. Or une femme sur six vit déjà dans la pauvreté à l'âge de la retraite actuelle. Et l'étape suivante, après le report de l'âge de la retraite des femmes, c'est le report de l'âge de la retraite de tout le monde, à 66 ou 67 ans d'abord, (plus tard encore ensuite), sauf pour les cadres dirigeants qui pourront prendre une retraite anticipée en ayant capitalisé un Deuxième Pilier de nabab (quand un tiers des femmes n'en ont pas, de Deuxième Pilier...). Car lorsque nous parlons de l'âge de la retraite, nous ne parlons pas d'un âge couperet : on peut déjà prendre sa retraite plus tôt, et si le projet AVS 21 permettrait aux femmes de continuer à prendre leur retraite à 64 ans, ce serait en péjorant leurs rentes d'en moyenne 26'000 francs sur l'ensemble du temps de leur versement, comme si leurs rentes n'étaient pas déjà plus faibles (40 % de moins, tous piliers confondus) que celles des hommes, puisque leurs salaires, et donc leurs cotisations, le sont...  

Cela posé, si les femmes seraient les premières victimes d'AVS 21, elles n'en seraient pas les seules : repousser l'âge de la retraite des femmes, c'est aussi péjorer la retraite des couples (sauf celle des couples d'hommes).  Et si la réforme prévoit de faire porter l’essentiel de celle-ci sur le dos des femmes en relevant l’âge de leur retraite, sans compensation contrairement au relèvement de deux ans accepté par le peuple en 1995 , elle prévoit également un financement additionnel de l’AVS par une hausse de la TVA. Or tout le monde la paie, la TVA. Mais quand elle augmente, ce sont les plus modestes qui passent à la caisse, puisque ce sont chez eux que la part des dépenses de consommation, frappées par la TVA, est le plus importante, jusqu'à consumer la totalité du revenu. La TVA est un impôt régressif, un impôt indirect sur la consommation qui s’applique à tous les stades du circuit économique et à tous-tes les consommateurs-rices, quels que soient leurs revenus. Il est  invisible car compris dans le prix de vente, mais surtout inégalitaire car il s’applique de la même manière à tout le monde : riches ou pauvres. Ainsi, une coiffeuse au salaire minimum de 4 300 frs par mois paie le même taux de TVA pour le même bien de consommation acheté qu’un cadre dont le salaire moyen s’élève à 12 300 frs par mois. Dans la contre-réforme AVS21, il est prévu que la TVA passe de 2,5% à 2,6% pour les biens de consommation, et de 3,7% à 3,8% pour l’hébergement. Le gain estimé sur le dos des consommateurs-rices serait de 1,4 milliard par an. Pour un-e travailleur-euse au salaire médian l’Union Syndicale estime la perte à 1600 frs par an, à 2200 francs pour un couple avec des enfants. Une augmentation de la TVA, couplée à l’augmentation des primes de l’assurance maladie, ne ferait que creuser les inégalités entre les petits et les gros revenus, paupérisant les plus précaires.

L'AVS n'est ni une aumône, ni un octroi princier, ni une aide sociale : c'est un droit fondé sur une obligation constitutionnelle, non négociable. Cette obligation peut parfaitement être remplie sans bricolage du genre de ceux proposés par AVS 21 : la seule égalité réelle des salaires, encore à l'état de revendication, apporterait des centaines de millions de francs (près d'un milliard) chaque année à l'AVS (et au Deuxième Pilier, pour autant qu'on se résigne à ne pas le fusionner avec le premier). Le report de l'âge de la retraite des femmes, au prétexte de l'égaliser à celui des hommes (on pourrait d'ailleurs tout aussi bien procéder à cette égalisation en avançant d'un an l'âge de la retraite des hommes), est  inacceptable compte tenu de l'inégalité (au détriment des femmes) des salaires et donc des rentes. Reste en à convaincre plus de femmes encore que celles  qui déjà en sont convaincues, et le plus possible de ces hommes qui s'apprêtent à voter "oui"  en croyant que faire payer les femmes les préservera d'avoir à payer eux aussi, un peu plus tard, beaucoup plus cher...



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