Pour des multinationales responsables : Tenez vos promesses, ô ministres intègres !
Il y a deux ans, le peuple suisse acceptait à 50,7 % l'initiative populaire "pour des multinationales responsables" -mais dans une majorité de cantons, dont les plus petits, une majorité de refus se dessinait. L'initiative ne passait donc pas l'obstacle de la double majorité, les multinationales, la droite et le Conseil fédéral pouvaient respirer, et remercier la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter d'avoir réussi à convaincre un nombre suffisant d'électrices et d'électeurs dans un nombre suffisant de cantons qu'il fallait repousser l'initiative pour pouvoir ensuite coordonner une loi suisse au niveau international, notamment avec l'Union européenne, afin que les multinationales en Suisse et dans l'UE soient mises sur "pied d'égalité". Deux ans plus tard, le moment est venu de tenir cet engagement : l'Union Européenne s'apprête à adopter une loi sur la responsabilité des entreprises qui va plus loin que l'initiative suisse. Et la Suisse sera bientôt le dernier pays d'Europe à ne pas tenir les multinationales comme responsables de leurs actes et à leur faire payer leur insouciance des droits humains et des normes environnementales. La coalition pour des multinationales responsables a donc lancé il y a dix jours une pétition nationale pour "rappeler au Conseil fédéral que sa promesse doit aujourd'hui être suivie d'effet". Il faut à cette pétition au moins 100'000 signatures. Alors, signez là, ici : https://responsabilite-multinationales.ch/
Croire en la parole de son
gouvernement, prendre au sérieux les promesses d'une
Conseillère fédérale
L'initiative populaire pour des multinationales
responsables (et, bien plus prudemment, le contre-projet
indirect qui s'y est substitué, et n'avait été lancé que pour la
faire capoter -mission remplie) s'inscrivait dans un processus
international entamé à la fin du siècle dernier lors de
l'adoption du Pacte international défini pour les entreprises
par les Nations Unies et par l'adoption en 2011 par des
principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits
humains, puis par l'adoption par plusieurs Etats (dont la France
et l'Italie) de textes impliquant un devoir de diligence des
sociétés transnationales, et le lancement par l'Union Européenne
de discussions sur un cadre imposé aux entreprises. Ce
dont une loi, un traité, visant à
encadrer les activités des
multinationales a besoin, c'est de
leur imposer un devoir de diligence.
Et de permettre des procédures de
droit civil dans les pays où sont
installés les sièges des
multinationales. Ce que la loi
française de 2017 permet (des lois
comparables ont été adoptées en
Allemagne et en Norvège) et que la
future loi européenne permettra. Le
directeur d'une PME, Hugo van Buel, de Cla-Val Europe, qui
soutenait l'initiative, le rappelait dans "PME Magazine", avant
la votation de novembre, que "notre pays est en retard" et que
"dans cinq ou dix ans, de nouvelles normes internationales
seront appliquées dans le domaine de la responsabilité des
entreprises, il faudra être prêt à y répondre", comme il a bien
fallu le faire "avec les fonds en déshérence et les pressions
américaines" : "les lois suisses étaient obsolètes et le pays a
perdu jusqu'à son secret bancaire".
L'initiative a échoué face à l'exigence de la
majorité des cantons, mais, obtenant une majorité des votantes
et des votants, a exercé, dit le démocrate-chrétien
fribourgeois Dominique de Buman, "pour le moins une pression en
vue d'adapter la loi suisse à l'évolution future du droit
européen en la matière". Or il y a urgence : la future loi
européenne sur la responsabilité des entreprises devrait
contenir une disposition comparable à celle qui faisait hurler
les multinationales et la droite en Suisse : les entreprises
devraient s'assurer de la conformité de leurs filiales et de
leurs fournisseurs avec les objectifs (sociaux et
environnementaux, notamment) de développement durable fixés par
l'ONU... la loi européenne ira même plus loin que l'initiative :
elle étendra la responsabilité civile des multinationales non
seulement à leurs filiales, mais aussi à leurs fournisseurs, et
instaurera une autorité de surveillance habilitée à prononcer
des sanctions contre les multinationales ne respectant pas le
devoir de diligence qui leur est imposé en matière de respect
des droits humains et des standards environnementaux.
Deux ans après la demi-victoire de l'initiative pour des multinationales responsables, la coalition qui l'avait lancée lance une pétition pour "rappeler clairement au Conseil fédéral sa promesse" d'introduire "une loi suisse "coordonnée au niveau international" -et plus précisément à la loi que l'Union Européenne s'apprête à adopter. Au fond, en lançant sa pétition, le coalition ne fait que tout ce que bon citoyen et bonne citoyenne suisses doivent faire : croire en la parole de leur gouvernement, prendre au sérieux les promesses d'une Conseillère fédérale. Et même, les protestations de bonne pratique des multinationales elles-mêmes : avec une loi suisse au niveau de la loi européenne, les multinationales devraient répondre des dommages qu'elles causent, et indemniser leurs victimes. Rien de plus, en somme, que ce que la loi prévoit pour des dommages causés par des personnes à d'autres personnes : répondre de leurs actes.
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