Violeta, presenta !
Inauguration à Onex du square Violeta Parra
Hier, à Onex, à l'initiative de la Municipalité, était inauguré le square Violeta Parra. Un square en honneur d'une icône de la poésie, de la chanson, de l'expression artistique populaire chiliennes, et, au-delà, latino-américaines, pourquoi ? Parce que Violeta Parra a une histoire à Genève, et que sa fille et sa petite-fille en ont une à Onex. Violeta est arrivée à Genève en 1963 avec son compagnon, Gilbert Favre. Elle s’installa chez lui, dans son gourbi du 15 de la rue Voltaire, démoli depuis, et sur le lieu duquel une plaque a été apposée en son honneur par Madame Michèle Bachelet. Son fils Angel et sa fille Isabel repartirent à Paris. Sa fille Carmen-Luisa et sa petite-fille Cristina, "Tita" restèrent à Genève. A Onex. Dans la famille de l'auteur de ces lignes. Parce que dans la «Cour des Miracles» du 15 rue Voltaire, nul autre que Gilbert et Violeta ne pouvaient vivre – et surtout pas des enfants. Angel et Isabel rentrèrent au Chili en 1964, pour y créer La Pena, qui fut l'un des berceaux de la nouvelle chanson chilienne. Violeta, Carmen-Luisa, Tita, restèrent encore quelque temps à Genève et à Onex, puis repartirent, elles aussi au Chili. Où Violeta créa La Carpa, un deuxième berceau de la nouvelle chanson chilienne.
"Yo canto la diferencia / Que hay de lo cierto a lo falso"
Un jour est donc arrivée chez nous une femme qui ne ressemblait à aucune de celles qu’on connaissait, d’un pays dont on avait à peine entendu parler. Elle s’appelait Violeta Parra. Elle venait avec son fils Angel et sa fille Isabel, confier quelque temps à nos parents sa fille Carmen-Luisa et sa petite-fille Tita (pour Cristina), qu’on appelait Titina. Comment nous était-elle arrivée, Violeta? Sans doute par les mêmes réseaux qui avaient amené chez nous des Algériens pendant la guerre d’Algérie et des Guinéens pendant la décolonisation. Des réseaux communistes, du moins à l’origine, et dont nos parents, qui avaient été membres du Parti du Travail, étaient restés proches. Il y avait, dans ces réseaux, quelque chose d'un sentiment non calculé de fraternité... Violeta Parra avait été, brièvement, en 1946, membre du PC chilien – et elle en était restée proche. Et ce n’étaient certainement pas des cercles culturels de droite qui, lorsqu’elle vint en Europe, organisaient pour elle des expositions et des concerts… Les 9, 11 et 17 mars, au Théâtre de la Cour Saint-Pierre, l’«Ensemble Violeta Parra» donnait un récital de «chants et danses du Chili et des Andes». L’Ensemble? La famille, la tribu: Violeta, Isabel, Angel, Carmen-Luisa, Tita…
Nous ignorions tout de Violeta Parra lorsque sa
fille Carmen-Luisa et sa petite fille Tita nous arrivèrent. Et
si nous ignorions tout du Chili, ce n’était pas seulement dû à
une ignorance propre à notre âge, ni à l’éloignement du Chili,
c’était que le Chili n’était dans l’agenda, dans les
préoccupations, dans les urgences de personne, ici, dans les
années soixante; il ne le deviendra que par la tragédie de la
décennie suivante. Mais quand Carmen et Tita nous vinrent, on a
regardé une carte, on a vu un interminable ruban courant le long
de l’Amérique du sud, entre l’océan et les Andes : le Chili. Et
on nous a dit que le président du Chili (Eduardo Frei) était un
peu suisse... ce qui ne nous a d'ailleurs guère bouleversé. Tout
cela ne nous disait pas grand chose du Chili – les chants de
Violeta nous dirent le reste, tout le reste. Ce qu’il fallait en
savoir. Son histoire, sa terre, les luttes de son peuple, les
rêves de ses femmes et de ses hommes : "Yo canto la
diferencia / Que hay de lo cierto a lo falso". Et ce que
les chants de Violeta ne disaient pas, ou qu’on ne comprenait
pas, ses dessins, ses peintures, ses tissages, ses sculptures,
ses jouets le montraient. Surtout, on a appris qui était
Violeta. Et que le 15 rue Voltaire pouvait bien, et pas
seulement pour les conditions de vie qui y régnaient, porter le
surnom de «Cour des Miracles». Parce qu’elle était l’un de ces
miracles, Violeta. Comme cette autre, qui fréquentait aussi le
15 rue Voltaire -et qui attend toujours sa rue, à Genève :
Grisélidis Réal... Au 15 rue Voltaire, Violeta écrivait,
chantait, dessinait, brodait, sculptait, tissait, fabriquait des
jouets. La poétesse, la musicienne, l’amoureuse, la militante,
c’était tout une : «… y el canto de ustedes que es el mismo
canto, y el canto de todos que es mi proprio canto».
En 1965, Violeta revint au Chili. Gilbert l’y
rejoignit. Et en repartit. En 1967, Violeta se donnait la mort à
cinquante ans : "sa mort choisie fut aussi un acte de
rébellion», dira Luis Sepúlveda. "No doy a nadie el derecho",
"je ne donne à personne le droit", avait écrit le frère de
Violeta, Nicanor, l'un des plus grands poètes chiliens, mort à
103 ans, il y a quatre ans. Cinquante ans après sa soeur. Qui,
elle non plus, ne donnait à personne le droit de lui dire ce
qu'il fallait dire, ou de pas dire.
Que nous en reste-t-il, soixante ans plus tard?
Quelques objets (des disques, une marionnette, l’affiche d’un
concert de Violeta, son fils, ses filles et sa petite-fille),
quelques souvenirs, ceux de la présence de Carmen Luisa et de
Tita, des mélodies, des mots… ceux de Violeta, ceux sur
Violeta. Ceux, par exemple, de Luis Sepúlveda: «Pour moi et, je
crois, pour beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, ‘la
Violeta’ est un ange laïc, une icône de rébellion, de
non-conformisme et d’amour pour son peuple». Ou, comme le chante
Violeta Parra elle-même, d'elle-même,
(Aujourd'hui son chant est une herse
qui ouvre des sillons à la vie
à la justice dans ses bases
et aux épanchements de sa voix) Que le abre surcos al vivir/ A la justicia en su raíz/ Y a los raudales de su voz
Violeta, presenta !
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