Légalisation du Cannabis ?
Expériences pilotes en Suisse
De quoi parler en ce 22 Vendémiaire, qui se
trouve être le jour du chanvre ? De ceci : depuis le 15
septembre, et pour deux ans et demi, six produits cannabiques
avec des teneurs diverses en composants psychoactifs ou
relaxants sont proposés à la vente dans des pharmacies bâloises,
aux participants de la première expérience autorisée par la
Confédération. C'est l'un des projets, et le plus modeste par
son ampleur (370 participants majeurs, résidant à Bâle et déjà
consommateurs), de production, de distribution et de vente
contrôlées qui seront mis en œuvre en Suisse, le pays devenant
ainsi le premier d'Europe à tenter de contrôler toute la chaîne
du cannabis. En Hollande ou au Portugal, si l'achat de cannabis
est décriminalisé, sa production reste illégale. Les produits
vendus à Bâle seront fabriqués en Suisse et vendus au prix du
marché illégal, pour éviter que celui-ci les utilise pour
s'approvisionner (ce qui pourrait être le cas s'ils lui
coûtaient à l'achat moins cher que ce qu'ils en tireraient à la
vente). Les villes de Zurich, Lausanne, Saint-Gall, Berne,
Lucerne, Bienne, Olten et Genève ont également déposé des
requêtes d'autorisation d'expériences pilotes aux mêmes
conditions que celle qui a débuté à Bâle. Ces projets doivent
permettre de mesurer les possibilités et, si on l'envisage, les
conséquences d'une légalisation de la production, de la
distribution et de la consommation du cannabis.
Mettre fin à une guerre perdue. Et qu'on ne pouvait que perdre.
A l'automne 2020, le parlement fédéral avait
autorisé le lancement de projets pilotes de remise contrôlée de
cannabis dans les grandes villes (dont Genève, qui s'était
portée candidate), la loi permettant ces projets étant entrée en
vigueur en mai 2021. Ces projets doivent fournir la base
scientifique nécessaire à une éventuelle dépénalisation de
l'usage récréatif du cannabis, l'approche répressive étant
largement considérée comme un échec, comme l'interdiction du
cannabis contenant plus de 1 % de THC. L'Office
fédéral de la santé publique avait, au départ, opposé son veto à
l'Université de Berne qui envisageait d'étudier les effets sur
les consommateurs et le marché illégal d'une vente régulée de
cannabis en Ville de Berne, alors que la commission cantonale
d'éthique de la recherche avait pourtant donné son accord au
projet que le Fonds national suisse était prêt à financer à
hauteur de 720'000 francs. Cette décision de l'OFSP avait
consterné les spécialistes des addictions : elle menaçait en
effet les projets pilotes envisagés à Genève, Bâle et Zurich.
L'OFSP s'en était tenu à un argument purement juridique, fondé
sur une lecture littérale de la loi fédérale sur les
stupéfiants, qui interdit la consommation et le commerce du
cannabis pour des raisons autres que médicales. Il est malgré
tout consommé pour ces autres raisons par près d'un demi-million
de personnes en Suisse, dont 15 à 25 % développeraient une
dépendance néfaste. Ce sont ces consommateurs "à motifs
récréatif" qui vont être étudiés dans le cadre des projets
finalement retenus, comme il était prévu qu'ils le soient dans
le projet bernois, qui prévoyait qu'ils puissent acheter du
cannabis en pharmacie et être suivis médicalement. L'OFSP avait
reconnu l'intérêt "du point de vue de la politique de la santé"
d'une analyse scientifique de nouvelles formes de réglementation
de la consommation de cannabis, mais attendait une modification
de la loi, dans le sens d'une dépénalisation contrôlée du
cannabis avec un contrôle public du marché et une "protection
efficace de la santé", ce que selon un sondage Sotomo, sur
mandat de l'OFSP, une grande majorité de la population (les
deux tiers) soutenaient début 2021. Et les sympathisants de tous
les partis (même l'UDC...) sont sur la même position, quoique
avec des majorités inégales (80 % chez les Verts libéraux, 53 %
à l'UDC). C'est dans les villes candidates à des projets-pilote
de dépénalisation que cet accord avec un changement de politique
était le plus massif (plus de 80 % d'avis favorables)... sans pour autant être inconditionnel : les sondés
attendent qu'elle s'accompagne d'une protection des mineurs (la
consommation récréative de cannabis devant être réservée aux
majeurs), de campagnes de prévention, d'une interdiction de la
publicité et d'une limitation de la teneur en THC -rien, après
tout, qui diffère fondamentalement de ce qui accompagne la
non-pénalisation de l'usage récréatif de la plus répandue des
drogues dans nos sociétés : l'alcool.
Le cannabis est la drogue illégale la plus vendue
et la plus consommée en Suisse, avec au moins 255'000
consommateurs réguliers (l'alcool restant la drogue la plus
vendue et la plus consommée), et autant de consommateurs
irréguliers. Rien qu'à Lausanne, on en consomme une tonne par
année. La répression de son commerce et de son usage s'est
révélée inefficace, et encourageante au marché noir, avec les
conséquence que cela a sur le prix et la qualité des substances
vendues. Celles disponibles dans les lieux retenus pour les
expériences pilote seront d'origine contrôlée et de qualité
garantie. Et elles échapperont au contrôle des réseaux mafieux.
A Lausanne, le cannabis, de production
locale et bio, sera vendu dans un point de vente unique, à but
non lucratif, et devront être consommés hors de l'espace public.
Les participants devront habiter Lausanne, être majeurs et déjà
consommateurs. Le produit de la vente servira à payer les
charges de l'expérience (salaires, fonctionnement du lieu de
vente, loyer), et si bénéfice il y a, il sera utilisé pour
financer des actions de prévention, de réduction des risques et
de l'insécurité, en lien avec les addictions et le trafic. Les
mêmes règles s'appliqueront à Genève.
L'usage récréatif du cannabis reste pour l'heure
interdit sauf pour les participants aux expériences autorisées,
mais une certaine tolérance s'est tout de même installée,
puisque un consommateur ne fait plus l'objet de poursuite s'il
est en possession de moins de dix grammes de cannabis pour sa
consommation personnelle -il sera cependant frappé d'une amende.
Quel est l'intérêt d'une telle mesure, qui ne dissuade personne
et ne couvre même pas les frais de sa mise en application, par
ailleurs totalement aléatoire ? On a cessé, à Genève, d'arrêter
des consommateurs de cannabis pour le seul délit d'en avoir
consommé, et on a bien fait : ils ne nuisent éventuellement qu'à
eux-mêmes en consommant. Mais on continue d'arrêter et
d'incarcérer de petits dealers, sitôt remplacés à leur fonction
par d'autres lorsqu'il manquent sur le marché noir du cannabis.
Un demi-million de personnes sont en Suisse consommatrices de
cannabis, et dépensent pour cela plus d'un milliard de francs
par année. Pour le plus grand profit de ceux qui contrôlent le
marché noir. Et en faisant courir un risque accru aux
consommateurs : l'illégalité de la vente de cannabis a favorisé
la production (illégale aussi) de produits à haute teneur de
substance psychoactive (le THC) sur la plus petite surface
possible : cette production intensive était un gage de profits,
d'autant plus importants que l'illégalité de la vente fait
augmenter le prix de vente...
Tirerait-on enfin les leçons d'une expérience désastreuse ? La "guerre contre la drogue" n'a fait, comme la prohibition de l'alcool aux USA il y a un siècle, qu'accumuler les défaites face à la drogue et aux trafiquants qui profitent de la prohibition de la substance, Nombre de consommateurs de cannabis passés à des drogues plus dures ne l'aurait pas fait si la consommation de cannabis avait été dépénalisée. Et nombre de consommateurs d'héroïne ou de cocaïne qui ont basculé dans la délinquance pour s'approvisionner n'y seraient pas tombés s'ils avait pu s'en procurer légalement.
Il faut être capable de mettre fin à une guerre perdue. Surtout quand on ne pouvait que la perdre.
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