Liz Tschüss

 

Six petites semaines et s'en va

«Je ne peux accomplir le mandat pour lequel j’ai été élue» : six semaines après avoir été installée à la tête du gouvernement par le parti conservateur, la Première Ministre britannique, Liz Truss a démissionné hier.  Elle aura accompli le mandat le plus bref de l'histoire britannique moderne (44 jours). Son successeur ou sa successeurs (successoresse ?) sera désigné.e d’ici au 28 octobre, par le même parti et la même procédure qui lui ont permis d'être désignée. Des noms circulent déjà : Rishi Sunak, Jeremy Hunt, Penny Mordaunt... et même Boris Johnson... Il ou elle aura fort à faire pour réparer les dégâts commis par les gouvernements successifs du Royaume-Uni depuis le Brexit, et dont les plus récents tiennent au programme économique ultra-libéral de la dirigeante conservatrice, et à la crise politique et financière que la première tentative de le mettre en oeuvre a provoqué une crise politique et financière. Ce sont donc les 170'000 adhérents du Parti conservateur qui vont désigner le nouveau ou la nouvelle Premier.e Ministre du Royaume-Uni. Ce sont eux, déjà, qui avaient eu la brillante idée de désigner Liz Truss à la succession de Boris Johnson -qui lui, au moins, avait en quelque sorte été élu par le peuple, puisqu'il avait conduit le Parti conservateur à la victoire aux Législatives. Cela dit, la démission de Liz Truss a fait un premier heureux : le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dont la porte-parole s'est ouvertement réjouie de ce que «la Grande-Bretagne (n’ait) jamais connu un tel embarras causé par un premier ministre». En face, Joe Biden s'est contenté de "remercier" Liz Truss (mais de quoi ?) et d'assurer que l'"étroite coopération" et la "fermeté" de l'alliance des Etats-Unis avec la Grande-Bretagne "se poursuivra", ce dont personne ne doutait, cette "coopération", dite "relation spéciale", "amitié à long terme", s'apparentant depuis plus de 80 ans à un quasi-protectorat, quelle que soit la couleur politique de la majorité gouvernementale britannique.

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Liz Truss a fini, comme Boris Johnson avant elle, lâchée par de plus en plus de députés, de dirigeants de son parti, et même de ministres et d'anciens ministres, y compris de ceux qui la soutenaient auparavant : «Liz Truss doit partir dès que possible», avait prêché l’ancien ministre David Frost. Partir pourquoi ? Parce qu'elle menait une politique déplaisant au parti ? Plutôt parce qu'elle n'en menait aucune, navigant à vue, disant un jour le contraire de ce qu'elle disait la veille, sacrifiant un ministre finalement coupable d'avoir voulu appliquer le programme ultralibéral qu'elle défendait et de faire aux plus riches les cadeaux qu'elle leur avait promis : n'est pas Thatcher qui se dit sa disciple... Quant au parti conservateur, il ne songe qu'à une chose : éviter à tout prix des législatives anticipées, quand les travaillistes sont largement en tête dans tous les sondages.

Surtout, il y a ce que Truss a complètement scotomisé :  la crise économique dans laquelle est plongée la Grande-Bretagne, plus dure que celles de tous les pays de l'Union Européenne, et que les conséquences du Brexit aggravent encore : l'inflation dépasse 10 %,  les prix de l'électricité et du gaz ont doublé, des millions de Britanniques doivent choisir entre payer leur loyer (ou leurs hypothèques) ou leur consommation d'énergie, leurs frais de transports ou de communication. Les banques alimentaires voient affluer des masses de personnes qui ne peuvent plus s'approvisionner aux "prix du marché" dans les grandes surfaces, et 20 % des ménages les plus pauvres dépenses la moitié de leur maigre revenu pour se nourrir. Dans cette situation, le plan ultra-libéral de la Première ministre et de son ministre des Finances tenait du suicide politique : sa simple annonce a provoqué la chute de la Livre et la hausse brutale des taux d'intérêts des emprunts publics, ce qui faisait courir le risque d'une faillite des fonds de pension et a nécessité pour y parer une intervention urgente et massive de la Banque d'Angleterre. Ce qui n'a pas empêché le limogeage du fidèle Kwarteng. Ni la démission de l'infidèle Truss. Ni le retour en première ligne, et au plus haut de la popularité et de la crédibilité, des syndicats, dont les revendications, en écho à celle de la majorité de la population, sont largement soutenues par elle.  Les mouvements sociaux se multiplient, y compris les grèves, et la désobéissance civile (refus de payer les factures, notamment de fourniture d'énergie, les loyers et les taxes). Fondée par des syndicats et des associations, la campagne "Enough is Enough" (assez, c'est assez !) contre la "misère imposée à des millions de personnes", exige "une hausse des salaires, une réduction des factures d'énergie, des logements décents pour tous"... et "la taxation des plus riches", c'est-à-dire le contraire de ce qu'entendait faire Truss, avant d'être contrainte d'y renoncer.

La Grande Bretagne aura donc connu, et consumé, quatre Premier.e.s Ministres depuis le Brexit : Cameron, May, Johnson, Truss -seule des quatre à avoir connu deux monarques, et en avoir enterré une, avant de s'enterrer elle-même. Le parti conservateur n'était pas, sur le fond, opposé au programme de Truss (après tout, ce sont les membres du parti qui l'avaient élue, les députés préférant Rishi Sunak), mais il a été consterné par la réception calamiteuse que l'opinion publique lui a offert : les conservateurs voulaient bien d'un programme ultralibéral, mais à condition qu'il ne les fasse pas plonger dans les intentions de vote, comme celui de Truss l'a fait. Et ils n'en ont pas rendu responsable le programme lui-même, mais Truss. Elle avait pourtant tout pour lui plaire, à son parti : le virage à droite qu'elle avait opéré répondait parfaitement à celui qu'avait opéré le parti, au moment du Brexit, et auquel avait d'ailleurs répondu un virage à gauche des Travaillistes, avec Jeremy Corbyn -imposé à la tête du Labour par ses membres, comme Truss à la tête des Tories par leur base.

Les prochaines élections législatives devraient avoir lieu en 2024. Les travaillistes, qui ont trente points d'avance dans les sondages, ont beau exiger des élections anticipées, ils ne les obtiendront sans doute pas, les conservateurs n'ayant aucun intérêt à leur faire ce cadeau. Il faudra bien pourtant qu'ils paient le prix de leurs irresponsabilités successives, et de leur clanisme. La démission de Truss est peut-être le premier acompte de ce paiement  -et que l'on puisse évoquer le nom de Boris Johnson pour lui succéder dit bien en quel état est ce parti, dont la crédibilité tenait à sa prétention d'être le meilleur gestionnaire de l'économie, le meilleur garant de l'ordre et de la stabilité, le meilleur défenseur de la puissance britannique -et n'a tenu aucune de ces promesses, ou de ces prétentions. Il reste au pouvoir parce que le système lui garantit d'y rester jusqu'aux prochaines élections "normales".

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