Premier tour de l'élection présidentielle brésilienne : Deux Brésil en un

 

A en croire les sondages, le président brésilien d'extrême-droite, Jair Bolsonaro, aurait du être, dès le premier tour de l'élection présidentielle, littéralement écrasé par le candidat de la gauche (et du centre), l'ancien président (de 2003 à 2011) Lula da Silva, qui aurait même pu être élu au premier tour. Lula a bien devancé Bolsonaro, mais pas avec les quinze points d'écart envisagés : de cinq points (48,4 % contre 43,2 %). Et s'il reste favori du second tour, l'hypothèse d'une réélection du funeste président sortant n'est plus inenvisageable -d'autant que les élections parlementaires qui se tenaient en même temps que la présidentielle ont accouché d'une progression du parti bolsonariste. Les plus pauvres d'entre les Brésiliens se sont massivement abstenus (alors que le vote est obligatoire), et tous les autres ont été abreuvés, notamment sur les réseaux sociaux, de "fake news" nourrissant la peur irrationnelle d'un Lula caricaturé en bolchévik. Deux Brésil se font face : l'un, derrière Lula, semble pouvoir être majoritaire. Mais l'autre, derrière Bolsonaro, a le pouvoir. Et est prêt à tout pour le garder.

"Nous ne voulons plus de haine, de discorde. Nous voulons un pays en paix"

Pour être moins nettement qu'attendu devancé par Lula, Bolsonaro a bénéficié du soutien de l'armée, de l'industrie agroalimentaire et de celui, presque sans faillle des prédicateurs évangéliques et de leurs (multiples) églises. Son discours homophobe, raciste (anti-autochtones), sexiste, a porté. Il n'a pas de programme, son incompétence économique est notoire,  il est prêt à laisser se poursuivre, et s'accélérer, la déforestation massive  de l'Amazonie (celle des terres indigènes a triplé depuis son élection, et 40'000km2 de forêt tropicale ont été détruits, soit l'équivalent de la superficie de toute la Suisse), il s'est rendu coupable de la pire gestion possible de la pandémie covidienne (le Brésil, avec 600'000 morts, a été le pays le plus touché au monde derrière les USA), un.e Brésilien.ne sur trois est au moins en insécurité, voire en déficit, alimentaire,  33 millions de Brésilien.ne.s souffrent de la faim, le nombre de sans abri explose dans les villes, la réforme agraire (un mandat constitutionnel) est au point mort, les féminicides ont augmenté de 50 % et trois femmes sont tuées chaque jour. ... mais plus de quatre électrices et électeurs brésiliens sur dix continuent préfèrent le voir rester au pouvoir que d'y voir revenir Lula. Lui-même n'a cessé d'inciter ses partisans à se préparer à commettre des actes de violence politique, et le 31 mai 2020, il participait (à cheval...) à une manifestation en faveur d'une intervention de l'armée contre le parlement et la Cour suprême. Un appel au coup d'Etat, en somme. Dès son élection, des maisons de militants du Parti des Travailleurs avaient été incendiées, un campement de militants du Mouvement des sans-terre et des bureaux de l'agence de régulation environnementale attaqués .

En face du camp Bolsonaro, il y a le camp Lula. Qui avait terminé son deuxième mandat à la satisfaction de 80 % des sondée.s, et avait assuré sa succession avec l'élection de sa candidate, Dilma Rousseff. Lula s'appuie notamment surs les mouvements sociaux, autour du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) et du mouvement des sans-toit, qui avaient déjà avaient lancé en 2020 une campagne "Fora Bolsonaro !" (Bolsonaro, dehors !), parallèlement à une demande de révocation lancée par l'opposition politique de gauche. "Le Brésil a souffert de la pandémie de Covid-19 et il continue de souffrir de la pandémie qu'est la famine", écrit aujourd'hui le Mouvement des sans-toit, qui dénonce la politique de Bolsonaro comme une véritable "politique de la faim", et a dû ouvrir des "cuisines solidaires" pour y répondre, dans l'urgence*

"Le Brésil est passé du rêve à la dystopie", résume le politologue Gaspard Estrada : il y a dix ans, le Brésil était l'un des "champions des émergents", avec une économie fonctionnant à plein régime, une pauvreté et des inégalités en régression... et maintenant,  le président Bolsonaro, "qui revendique sa filiation avec la dictature, n'a pas de projet pour son pays, excepté celui de détruire les institutions de la nouvelle République issue de la Constitution de 1988"... toutes les institutions ? non, pas l'armée, dont le budget a été augmenté et qui est, avec les évangéliques, son principal soutien.

"Les politiques d'austérité au Brésil mettent des millions de vies en danger", dénoncent deux experts des Nations Unies, dont le rapporteur spécial de l'ONU sur l'extrême pauvreté, Philip Alston : ils constatent la surcharge du système de santé, rappellent que le taux de mortalité infantile est reparti à la hausse après vingt ans de baisse et que les deux tiers de la population vivent dans la pauvreté ou la précarité.

 Enfin, aucun bilan de quatre ans de bolsonarisme ne peut faire abstraction de la situation des peuples autochtones, que Bolsonaro qualifie de "puants", et qui, après cinq cent ans de massacres et de pandémies importées d'Europe (Covid compris) ne constituent plus que 0,4 % de la population brésilienne. La politique de Bolsonaro, entre déforestation, assassinats (En 2021, 109 Amérindiens ont été assassinés dans des conflits pour la terre) tolérance à l'orpaillage clandestin, expulsion des médecins cubains qui agissaient auprès des autochtones et encouragement à leur évangélisation par des missionnaires fondamentalistes est porteuse d'une réelle menace de leur disparition pure et simple.

"Nous ne voulons plus de haine, de discorde. Nous voulons un pays en paix", a proclamé Lula, au dernier jour de sa campagne de premier tour. Bolsonaro, lui, ne veut pas un pays en paix, il veut un pays à sa botte. Et est prêt à le mettre à feu et à sang pour rester au pouvoir. Soutenant le mouvement des sans-toit et le mouvement des sans-terre, le Solifonds résume : "l'enjeu du scrutin électoral (...) sera de savoir si la démocratie a encore une chance au Brésil" -et sa seule chance est une élection de Lula, et une défaite de Bolsonaro.

* Le Solifonds fait appel à notre soutien à ces "cuisines solidaires" du mouvement des sans-toit : on y contribue par un versement au compte CH52 0900 0000 8000 7761-7, avec mention PDC 3/22 : cuisines solidaires au Brésil

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