Démission de Simonetta Sommaruga du Conseil fédéral : Hommages, rites et manoeuvres

On avait appris sans trop de surprise l'annonce de la démission du Conseiller fédéral UDC Ueli Maurer. On la voyait venir, sans savoir quand elle viendrait. La démission de la Conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, en revanche, a surpris tout le monde. Elle la première, sans doute : "c'est une décision abrupte qui arrive plus tôt que prévu", a-t-elle confié. Une décision prise parce que son mari, l'écrivain Lukas Hartmann, a été victime d'un AVC : "c'est un événement qui fait que je peux pas continuer comme avant. Depuis douze ans, je mène une vie où la fonction de Conseillère fédérale a toujours eu la priorité absolue. (...) C'est un engagement total de tous les instants", que l'accident de santé de son mari rend impossible.  Simonetta Sommaruga avait été élue au Conseil fédéral en 2010, à la succession de Moritz Leuenberger. A sa succession, la présidence du parti socialiste propose de présenter deux femmes en laissant au parlement fédéral le choix de l'une d'elles, et n'exclut pas que l'une des deux soit romande ou tessinoise. Si cette proposition devait être retenue par le groupe parlementaire (c'est lui, en effet, qui décide, alors que l'on pourrait fort bien admettre que ce soit un congrès ou une assemblée des délégués), elle exclurait toute candidature masculine (par exemple celle du chouchou de la droite, le Zurichois Daniel Jositsch, qui hurle à la discrimination sexiste et se pose en incarnation du mâle brimé), et ouvrirait la possibilité d'une majorité "latine" (romande et tessinoise) au gouvernement fédéral. La double candidature féminine est logique : un parti qui se définit lui-même comme un bastion du principe d'égalité des sexes et des genres ne peut envisager de n'être représenté au gouvernement que par des hommes, dès lors qu'il a décidé d'y être représenté (ce qui mérite toujours débat). S'agissant de l'hypothèse d'une majorité gouvernementale "latine", et de l'absence d'une représentation socialiste alémanique, elle ne pose pas de problème de principe mais un problème de stratégie : même si le PS est plus fort en Romandie qu'en Alémanie, les Alémaniques forment une majorité de son électorat, de ses membres -et 61 % de la population du pays (une proportion historiquement basse, soit dit en passant). Et puis, si la Constitution dit bien que les diverses régions géographiques doivent être représentées équitablement au Conseil fédéral, équitablement ne signifie pas forcément proportionnellement. Proportionnellement à quoi, d'ailleurs ? aux langues parlées dans le pays, ou aux régions ? Bâle n'est plus représentée depuis longtemps au Conseil fédéral, Zurich pourrait ne plus l'être, la Suisse centrale ne l'est pas régulièrement...

Que fait le PS au Conseil fédéral, à quoi et à qui y sert-il, et faut-il qu'il y reste ?

Comme il est généralement de coutume après une démission dont le motif n'est pas politique, celle de Simonetta Sommaruga lui a valu une avalanche d'hommages de tous les partis. Tous, sauf un : l'UDC, dont elle était devenue la cible favorite ("c'est l'élue qui a été le plus attaquée", observe la Conseillère aux Etats genevoise, et Verte, Lisa Mazzone, qui ajoute que "le fait qu'elle soit une femme de gauche n'y est pas étranger". Ah bon, comme si l'UDC était misogyne et n'aimait pas la gauche... Le Conseiller national fribourgeois Pierre-André Page, "plutôt déçu de la ligne politique qu'elle a défendue dans sa carrière" résume les griefs de l'UDC à l'égard de la socialiste, issue de l'aile droite du PS, : "elle répétait sans cesse le même discours, bible socialiste sous le bras"... et dire que de notre côté, celui qui n'a pas de bible, on lui reprochait plutôt de ne pas l'être assez, socialiste...

Avant que le parti socialiste décide de qui va remplacer Simonetta Sommaruga, ne pourrait-il pas se (re)poser la question de savoir ce qu'il y fait, à quoi (et à qui) il y sert, et donc s'il lui faut y rester ? Cette question, il se l'était posée la première fois qu'il lui était venu l'idée de présenter une candidature au Conseil fédéral. Il y avait répondu par l'affirmative : il faut y aller. Peine perdue, la droite ne le voulait pas -on était encore au surlendemain de la Grève Générale... Finalement, il y était entré en 1943, parce qu'après avoir donné l'impression (et même un peu plus que l'impression) de vouloir s'"adapter au nouvel ordre européen" -autrement dit à la suprématie nazie, quand le sort des armes sur le front de l'est avait tourné en faveur de l'Union Soviétique et sur le front sud en faveur des Alliés, la droite suisse s'était dit qu'un socialiste au gouvernement ne serait pas une mauvaise carte de visite pour l'après-guerre. Même si le candidat socialiste avait été l'un des dirigeants de la Grève Générale ' Même. C'est dire s'il y avait urgence de se refaire une tête présentable... Et donc, Ernst Nobs fut élu. Il y eu ensuite en 1959 l'épisode Max Weber (un Conseiller fédéral socialiste démissionne après le sabotage de sa réforme fiscale par la droite, et le PS reste dans l'opposition le temps de revenir au Conseil fédéral plus fort au parlement et avec un siège de plus au gouvernement). Et pendant vingt ans, la question de la participation de socialistes à un gouvernement majoritairement de droite ne fut plus posée sérieusement. Jusqu'à ce qu'une bande de gauchistes réunis à Yverdon (et forcément, on en était...) ne ponde en 1980 une plate-forme, "Changer le Parti pour changer la société", posant comme une "exigence" le retrait des socialistes du Conseil fédéral, plate-forme à laquelle allait en quelque sorte répondre, vingt ans plus tard, le "Manifeste du Gurten" de l'aile sociale-libérale du PS, dont Simonetta Sommaruga était l'une des inspiratrice.

Dans l'édito du "Courrier" commentant, jeudi dernier, la démission de la socialiste, Philippe Bach note que "plus que sa personne ou son ancrage politique, c'est bien un rapport de force politique défavorable et de plus en plus polarisé à droite qui a desservi et bloqué" les projets, forcément réformistes puisque gouvernementaux, de Simonetta Sommaruga. Et il est bien là, le problème -et il ne date pas d'elle. Ni ne se résume à répondre à la question : "qui prendra quel département" après l'élection des remplaçant.e.s de Maurer et Sommaruga. Ni même, à savoir combien de temps un.e membre du gouvernement peut y rester avant d'y être usé.e ou de sombrer dans une routine de cadre moyen.

On reprendra donc ce que, collectivement, nous écrivions il y a 42 ans dans la "plate-forme du Groupe d'Yverdon du PSS". On le reprendra non (quoique...) par nostalgie de nos jeunes années de militants socialistes mais parce que ce que nous écrivions nous paraît toujours doucement caressé au coin du bon sens politique : "Le rapport des forces dans notre pays est tel que le PSS est une force insuffisante mais indispensable à tout espoir de changement. C'est pourquoi nous luttons, dans ce Parti, afin de la transformer en un instrument efficace de la construction de l'alternative socialiste en Suisse". Et "par l'exigence du retrait des socialistes minoritaires du Conseil fédéral, nous luttons, dans l'objectif de la rupture avec le capitalisme, pour le renforcement de la démocratie à la base dans le Parti, au détriment des structures hiérarchiques et pour soumettre le parlementarisme à l'exigence de la réalisation des objectifs socialistes".

On persiste et on (re)signe.

Commentaires

Articles les plus consultés