Initiative "Zéro Pub" : rendez-vous le 12 mars

Ni un souk, ni Pyongyang

Le Conseil d'Etat ayant confirmé l'aboutissement du référendum contre la délibération du Conseil municipal de la Ville de Genève adoptant le règlement relatif à la mise en œuvre de l'initiative populaire municipale IN-6 "Genève zéro pub – libérons nos rues de la publicité commerciale!", on votera le 12 mars (seule la Ville de Genève votera), en pleine campagne électorale  cantonale  pour le renouvellement du Grand Conseil et du Conseil d'Etat -ça l'égaiera... On votera sur le règlement d'application, et non sur l'initiative, parce que le cadre constitutionnel et légal genevois est tel qu'une fois qu'une initiative a été acceptée par le Conseil municipal, elle n'a plus besoin d'être soumise au peuple. C'est curieux, il faudra y remédier -mais on n'y peut encore rien. Le règlement proposé est fidèle à l'initiative et à la décision de la Chambre constitutionnelle de la Cour de Justice (confirmée par le Tribunal fédéral), se prononçant sur la validité de l'initiative. Il précise que l'interdiction de l'affichage publicitaire ne concerne que l'affichage "papier" sur le domaine public ou le domaine privé visible du domaine public de la Ville, et confirme que l'affichage culturel n'est pas concerné par l'interdiction, ni la promotion ou le sponsoring de manifestations culturelles, sportives, événementielles ou récréatives. Genève ne sera pas Pyongyang. Mais Genève ne sera plus non plus un souk. Juste une ville un peu moins colonisée par le spectacle de la marchandise.

Récupérer un peu du temps de cerveau disponible parasité par la publicité commerciale

Dans "Le Monde" du 6 novembre, l'économiste Mathilde Dupré et le politologue Renaud Fiossard lançaient cet appel : "Régulons enfin la publicité", en dénonçaient son rôle dans la surconsommation, et la vision simpliste entretenue "depuis plus d'un siècle" par la théorie économique dominante, d'une publicité qui serait  "un simple vecteur d’information pour les consommateurs : à l’échelle d’un secteur éco­nomique, les campagnes publicitaires ne fe­raient que modifier la répartition des parts de marché entre les entreprises, dans un jeu à somme nulle. Un outil purement informatif et concurrentiel qui ne soulèverait donc pas de vrais enjeux politiques, et donnerait ainsi aux pouvoirs publics peu de raisons d’intervenir". Or de toute évidence, "la publicité revêt une dimension persuasive, et (...) accroît également la demande agrégée". Ainsi, en France (et on ne voit pas pourquoi il serait fondamentalement autre à Genève),"au cours des trente dernières années, les dépenses de publi­cité et marketing ont conduit à une augmenta­tion cumulée de la consommation des ména­ges de 5,3 %, et à un renforcement du poids de la consommation au sein du produit intérieur brut. En cause, la forte pression publicitaire, qui conduit les individus à se sentir frustrés de leur niveau présent de consommation et à re­nouveler toujours plus rapidement des pro­duits qui fonctionnent encore», ce qu’on ap­pelle l’« obsolescence marketing »", petite sœur de l’obsolescence programmée par les fabricants. "Pour finan­cer cette consommation additionnelle, les Français ont travaillé plus, au détriment de leur temps libre et au prix d’une légère baisse de leur salaire moyen". A cet effet social délétère s'ajoute un effet climatique qui l'est tout autant, et auquel s'ajoute encore un effet de santé publique : dans nos pays riches, "la consommation des ménages constitue une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. La publicité a donc un impact écologi­que qui est d’autant plus fort que les dépenses en la matière se concentrent massivement sur une poignée de produits et de services polluants, tels que la voiture individuelle (en par­ticulier les SUV), le fast­food ou les sodas (deux types de nourriture qui, outre l’accumu­lation de déchets, plastiques notamment, po­sent aussi des enjeux majeurs de santé publi­que)". Les deux auteurs estiment que "pour prévenir efficacement les incitations à l’obsolescence marketing et le « greenwashing », il est temps de confier la ré­gulation des contenus publicitaires à une autorité indépendante et non aux organis­mes contrôlés par la profession elle-­même". Quand une ville interdit l'affichage publicitaire sur son propre espace public, elle procède, précisément, dans les limites de ses compétences, à une telle régulation. En outre, elle contribue, toujours dans les limites de ses compétences, à réduire l'impact de la publicité "pour une poignée de produits qui sont particulièrement polluants ou néfastes pour la santé publique (voitures individuelles à moteur thermique, voyages en avion ou produits alimentaires de Nutriscore D ou E), à l’instar des règles qui existent dans de nombreux pays sur le tabac ou à Singapour pour les boissons sucrées". Et même, à l'instar de ce que le gouvernement suisse propose  huit mois après l'acceptation par le peuple et les cantons de l'initiative populaire pour l'interdiction de la promotion du tabac auprès des jeunes, en mettant en consultation un avant-projet de loi qui interdit quasi totalement toute publicité pour le tabac. Ce qui, évidemment, fait hurler l'industrie du tabac : un porte-parole de Philip Morris accuse le Conseil fédéral de "violer la liberté économique et commerciale garantie par la Constitution". Pour sa part, le Conseil fédéral estime que seule une interdiction totale de la publicité pour le tabac dans les journaux et sur internet permet d'en protéger les jeunes, dès lors que ce qui est accessible aux adultes dans la presse ou les réseaux l'est aussi aux jeunes.

"La lutte contre la sur­consommation et l’obsolescence marketing suppose également d’agir sur le niveau général de pression publicitaire" concluent Mathilde Dupré et Renaud Fiossard . "Zéro Pub" ne propose rien d'autre, au modeste niveau d'une commune, et le Conseil municipal de la Ville de Genève n'a rien fait d'autre qu'accepter cette proposition...

Parce que dans une ville comme Genève, une personne peut avoir 10'000 contacts publicitaires de toutes natures par jour et qu'il importe de réduire cette pression, parce que que nous sommes partisans et partisanes d'une réappropriation de l'espace public par le public, parce que nous voulons faire quelque chose pour récupérer un peu du temps de cerveau disponible parasité par la publicité commerciale, nous soutenons et appelons à soutenir, le 12 mars prochain, le règlement d'application de l'initiative "Zéro Pub" en Ville de Genève.

La campagne sera lancée samedi 26 novembre par un Festival sur la publicité dans l'espace public, de 13 à 19 heures à l'Espace, 1 ch. du 23 Août, dans l'Eco quartier de la Jonction


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