L'Odyssée de l'Océan-Viking a pris fin à Toulon
Naufrage européen
Après un bras de
              fer avec l'Italie, et trois semaines d'errance du bâtiment
              de secours en mer de SOS Méditerranée "Océan-Viking", qui
              a pu accoster dans le port militaire de Toulon, les 230
              migrants qui s'y entassaient ont été accueillis en France
              après le refus italien de le laisser débarquer ses
              passagers, pourtant naufragés au sens du droit
              international maritime -ce qui impliquait l'obligation de
              les secourir. C'est cette obligation à laquelle l'Italie
              s'est soustraite et à laquelle la France a accepté de se
              soumettre à sa place -ce qui a mis le gouvernement
              français et le président Macron dans la ligne de mire de
              la droite, et surtout, évidemment, de l'extrême-droite, au
              pouvoir en Italie et dans l'opposition en France, mais
              partageant la même obsession xénophobe et raciste, en même
              temps que les mêmes calculs politiques. L'extrême-droite
              italienne a peut-être été gagnante du bras de fer avec la
              France, et l'extrême-droite française perdante, mais
              l'épisode illustre surtout l'incapacité des Européens  se
              doter d'une politique migratoire commune, à la fois
              cohérente et humainement défendable. Une impuissance qui
              nourrit l'extrême-droite dans toute l'Europe. Une
              impuissance qui est aussi un  naufrage.
            
Les bateaux qu'on accepte sont chargés de migrants -ceux qu'on refuse produisent des électeurs.
La France a, "finalement, sauvé l'honneur en acceptant que l'Ocean-Viking accoste à Toulon", écrit "Le Monde". L'honneur de qui a-t-elle sauvé ? le sien, peut-être (et encore : elle a annoncé vouloir expulser 44 des rescapés de l'Océan Viking). Celui de l'Europe, peut-être aussi, face à "l'impuissance européenne à mettre en œuvre les droits humains qui la fondent historiquement", ce qui est sans doute peindre l'histoire européenne d'un rose excessif. Il y avait 234 personnes à bord de l'Ocean-Viking, dont 57 enfants : elles se sont retrouvées otages d'un gouvernement (l'italien) mu par des calculs de politique de politique intérieure, et libérées par un autre gouvernement (le français) qui ne pouvait guère faire autrement que prendre "la bonne décision" de les accueillir. Une "bonne décision" à l'exact inverse de celle que son prédécesseur de 2018 (Macron déjà président...) qui avait refusé de laisser l'Aquarius, autre bateau de sauvetage humanitaire, accosté dans un port français, l'Espagne prenant alors la décision qu'à prise la France la semaine dernière.
Un accord migratoire avait été signé par une vingtaine de pays, dont la France et l'Italie en juin dernier. Il n'aura tenu que cinq mois. L'immigration, dans toutes ses composantes, de l'immigration économique à la demande d'asile politique, est devenue une obsession dans toute l'Europe, et dans chaque Etat européen, même ceux qui naguère étaient producteurs d'émigration (comme l'Italie, précisément....). A la fois nourrie par l'extrême-droite et la nourrissant, cette obsession pèse sur les décisions de tous les gouvernements quelle que soit leur couleur politique (au Danemark, les sociaux-démocrates y cèdent comme les autres), le gouvernement français compris, comme si l'arrivée de moins de 300 réfugiés non européens allait déstabiliser le pays, qui accueille une centaine de milliers de réfugiés ukrainiens. Avec la guerre en Ukraine, on était en effet, en Europe, dans un premier temps, passé de l'évocation de la "crise des migrants" à l'invocation de la "solidarité avec les réfugiés". Du moins avec ceux qui nous ressemblent, comme les Ukrainiens (c'était beaucoup moins évident avec les réfugiés moyen-orientaux ou africains fuyant eux aussi l'Ukraine où ils résidaient au moment du déclenchement de la guerre).
La Convention de
              Genève de 1951 accorde le statut de réfugié à toute
              personne "craignant avec raison d'être persécutée du fait
              de sa race, de sa religion, de sa nationalité (...) ou de
              ses opinions politiques". Elle est un héritage de la fin 
              de la guerre mondiale, et des trente millions d'Européens
              déplacés depuis la prise du pouvoir par les nazis
              -autrement dit : avant, pendant et après la guerre. Les
              réfugiés à qui elle accorde un statut sont donc d'abord,
              et au départ presque exclusivement, des réfugiés européens
              dans des pays européens, et elle ne s'appliquera à tous
              les réfugiés qu'à partir des années soixante et de la
              multiplication des conflits nés de la décolonisation -mais
              aussi de celui né de la création de l'Etat d'Israël et de
              l'exil de centaines de milliers de Palestiniens. Et depuis
              une vingtaine d'années, à la seule et remarquable
              exception, pour un temps, de l'Allemagne d'Angela Merkel,
              c'est à un concours de sous-enchère dans l'accueil des
              migrants que se livrent les Etats européens -ceux qui
              n'ont pas de façade maritime méditerranéenne s'arrangeant
              fort bien de laisser l'Italie, l'Espagne, la Grèce, Malte
              ou, maintenant la France, se débrouiller seuls ou entre
              eux.  Malgré toutes les expériences accumulées depuis
              bientôt vingt ans, depuis l'afflux de réfugiés syriens en
              2014 et les années suivantes, l'Europe (ni au sens
              restreint de l'UE, ni au sens large de l'accord de Dublin
              ou du Conseil de l'Europe) n'a jamais été capable de créer
              un mécanisme commun à tous ses Etats, d'examen des
              demandes d'asile politique et de répartition des
              requérants. L'afflux de réfugiés ukrainiens a certes été
              permis par une ouverture des frontières inédite, mais pour
              ces seuls réfugiés, à qui le 3 mars, l'Union Européenne
              décidait d'accorder, dans ses 27 Etats membres, une
              protection temporaire et un droit de séjour et au travail,
              sans examen individuel des demandes. 
      
"Le Monde" son
              édito par ces mots : "alors que
              l'extrême-droite fait des migrants le bouc émissaire de
              tous les dysfonctionnements de la société et tient la mise
              au ban des étrangers comme la panacée, il faut rappeler
              que des hommes, des femmes et des enfants sont là,
              derrière les statistiques et les joutes politiques".
              Alors, on le rappelle, aussi. Avec un espoir fort ténu
              d'être entendu par d'autres que celles et ceux pour qui ce
              rappel est superfétatoire, pour qui la solidarité et
              l'accueil sont des impératifs. Les autres ? ils savent
              qu'agiter le chiffon brun de l'"invasion migratoire" peut
              rapporter des voix, ou des points de sondage : c'est le
              calcul de Meloni en Italie, d'Orban en Hongrie. 
            
Les bateaux qu'on accepte sont chargés de migrants -ceux qu'on refuse produisent des électeurs.



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