Refus de l'indexation des subventions de la Ville de Genève aux associations : La fuite devant l'urgence
Mardi, au Conseil municipal de Genève, les socialistes défendaient le traitement en urgence d'une motion (autrement dit, une demande faite à l'exécutif municipal d'agir) proposant l'indexation au taux d’inflation des aides financières accordées aux "associations culturelles, sportives ou sociales touchant une subvention de la Ville de Genève de moins de 2 millions et qui emploient au minimum une personne fixe". Une formulation qui aurait d'ailleurs pu être modifiée, adaptée, amendée... pour autant que le Conseil municipal ait accepté, pour ne pas écrire condescendu, à examiner la proposition, en urgence, sans attendre des années pour qu'elle ait suffisamment avancé dans un ordre du jour de 213 points. Las ! la droite et les Verts, formant ensemble une majorité, l'ont refusé. Pourquoi ? On ne le saura jamais avec certitude : l'absence de mise en débat de la proposition empêche de savoir pourquoi (au-delà de quelques piètres arguties) s'y opposent réellement ceux qui la refusent, et se retrouvent dans l'impossibilité d'expliquer publiquement pourquoi ils repoussent en temps de crise (près de 25 % d'augmentation des coûts de l'énergie en un an), une adaptation des subventions, non seulement aux acteurs culturels mais aussi aux associations actives auprès des victimes de la crise et des oubliés de ce temps. Il y avait urgence à le faire -il y eut fuite pour ne pas le faire...Il faudra donc rattraper les fuyards -on a un mois pour cela. Faire le choix politique du pluralisme
La proposition socialiste et d'Ensemble à Gauche que la droite et les Verts ont refusé, mardi au Conseil municipal de Genève, d'examiner et, le cas échéant d'amender, avant de se prononcer sur le budget de la Ville était d'indexer à l'inflation (3,5 % de septembre 2021 à septembre dernier) toutes les subventions à toutes les associations "culturelles, sportives et sociales". Parce que ne pas les indexer, c'est, en réalité, les réduire. Il ne s'agissait pas seulement d'indexer les subventions culturelles, mais c'étaient bien ces subventions-là que tout le monde, au Conseil municipal, avait en tête. Il y a à cela une raison évidente : le poids du budget culturel dans le budget global de la Ville, et le poids de la Ville dans la politique culturelle genevoise.
Résumé à gros traits, le
poids du budget de la culture sur le budget de la Ville de
Genève est passé en une génération de 25 à 20 % (chaque pourcent
pèse plus de douze millions, quand même), et le poids du Grand
Théâtre sur le budget de la culture a été réduit dans les mêmes
proportions. A quoi tient cette double réduction ? au
renforcement de l'action sociale de la commune et au
renforcement de son engagement dans le domaine sportif, ce qui
réduit mécaniquement le poids du budget culturel dans le budget
général, et à l'élargissement du champ des acteurs culturels
subventionnés, ce qui réduit tout aussi mécaniquement le poids
du Grand Théâtre dans le budget culturel. Cet élargissement du
nombre d'acteurs culturels subventionnés, c'est ce que la droite
et peut-être, désormais, aussi les Verts dénoncent comme une
"politique de l'arrosoir" -et c'est à cela que la gauche tient.
Parce que le choix entre cet "arrosage" que la droite feint de
détester (tout en le pratiquant quand elle le peut) et la
"priorisation", c'est le choix entre accorder des moyens au plus
grand nombre d'acteurs possibles, ou les concentrer sur
quelques-uns. Mais sur lesquels ? il y a très gros à parier que
les heureux gagnants de cette priorisation seraient ceux qui
déjà bénéficient du plus fort soutien : le Grand Théâtre, l'OSR,
la Nouvelle Comédie.
Pour Gramsci "L'art est éducatif en tant qu'art, mais non comme art éducatif". Il faut prendre ici le mot "art" comme synonyme de toute création culturelle. A laquelle Gramsci n'accorde aucune des fonctions "conscientisantes", mobilisatrices, que lui assignait Lénine et que continuèrent à lui assigner ses successeurs et ses épigones. Pierre Bourdieu ne faisait que poursuivre dans la ligne de Gramsci lorsqu'il écrivait en 2013 dans "Le Monde Diplomatique" que "la communication entre une oeuvre d'art et un spectateur est une communication des inconscients beaucoup plus qu'une communication des consciences" -sinon pourquoi fonderait-on d'émotion devant la "Naissance de Vénus" quand notre conscience dort du sommeil du Juste devant une croûte réaliste-socialiste chargée par la commission culturelle du Comité Central de la réveiller ?
La politique de l'"arrosage", pour nous, c'est la
politique du pluralisme culturel (mais aussi du pluralisme de
l'action sociale, puisqu'il s'agit aussi des subventions
accordées aux associations actives sur le terrain social -ou
sociétal, ce qui revient au même). Sans doute en accordant un
soutien financier, sinon à tous les acteurs culturels, du moins
à la plus grande part possible d'entre eux, on n'accorde à aucun
d'entre eux autant qu'ils le souhaiteraient, mais on leur
accorde à ce qui leur est nécessaire pour exister, agir, créer,
représenter. La politique de l'"arrosage", c'est l'inverse,
c'est la contradiction, de la définition d'une culture
officielle. L'"arrosage", c'est subventionner le Grand Théâtre
et la Cave12, l'OSR et PTR, la Nouvelle Comédie et le Théâtre de
l'Usine. C'est permettre à toutes les formes de création, tous
les lieux, tous les champs, tous acteurs, tous les contenus
culturels -mais aussi toutes les formes de l'action sociale, et
tous leurs acteurs, de jouer leur rôle, leur en donner les
moyens, et adapter ces moyens à l'augmentation des coûts de leur
action. C'est cela, l'arrosage : ce n'est pas refuser de
choisir, c'est choisir le pluralisme. Et c'est un choix
politique, pas un choix comptable.
Commentaires
Enregistrer un commentaire