Une machine à perdre : Trump

Les élections législatives  de mi-mandat aux Etats-Unis étaient attendues sous forme d'un désastre pour Biden et les Démocrates, et d'un triomphe pour Trump et les Républicains. Elles n'ont été qu'un succès incontestable mais bien plus modeste qu'attendu, pour les uns, payé d'un recul bien plus maîtrisé que prévu pour les autres.  Les Républicains devraient certes prendre le contrôle de la Chambre des représentants, mais sans "vague rouge" (le rouge étant en ces contrées exotiques la couleur de la droite), et les Démocrates pourraient garder le contrôle du Sénat (et la présidence, qui le leur donne) et gagner des gouverneurs. Le suspense pourrait durer encore plusieurs jours avant que l'on connaisse le rapport définitif des forces parlementaires dont dépendra la marge de manœuvre de Joe Biden : nulle, ou presque (le président dispose de toute façon d'un droit de véto et de la possibilité de gouverner par décret), si les Républicains devaient contrôler les deux chambres, réduite mais tout de même réelle si les Démocrates devaient garder le Sénat.  Les Démocrates n'ont fait que résister, mais ils l'ont fait, et mieux qu'on s'y attendait. Et cette résistance semble être le fait d'une mobilisation, notamment des jeunes et des femmes, que les attaques de l'aile la plus radicale des Républicains, l'aile "trumpiste", contre la démocratie et le droit à l'avortement -qui par ailleurs a été garanti par référendum dans trois Etats, le Michigan, le Vermont et la Californie, en même temps que se déroulaient les élections parlementaires (et celles de gouverneurs). C'est  «un bon jour pour la démocratie», s’est félicité Joe Biden. Disons que ce n'est, du moins, pas le "mauvais jour" que l'on pouvait craindre. Et paradoxalement, c'est sans doute, aussi, le résultat de la campagne de Donald Trump lui-même, qui, en radicalisant son propre parti, et en reprenant ses antiennes délirantes habituelles, a fragilisé les candidates et les candidats qu'il soutenait. Il a certes réussi à mobiliser son propre électorat, mais plus encore celui qui ne rêve que de se débarrasser de lui. Pour les Républicains, le bateleur est devenu une machine à perdre.

La gauche américaine,  innocente du succès de l'extrême-droite américaine ?

Les Républicains auraient dû engranger mardi une victoire écrasante, ils devront se satisfaire d'une progression réelle, mais mesurée. Tout pourtant semblait devoir leur sourire. La popularité de Biden était tombée d'un taux de 56 % après ses cent jremiers jours de mandat à quelque chose comme 40%. Seul Trump avait fait pire... A quoi la cause de ce désamour à l'égard d'un président qui promettait de réconcilier l'Amérique, de remettre son monde politique au boulot, qui avait fait adopter des politiques aussi populaires (voire un tantinet démagogiques) comme celle consistant à adresser un chèque de 1500 dollars à presque tous les foyers et à faire adopter par le Congrès un plan d'investissements de 1200 milliards de dollars ? Sans doute aux querelles intestines de son parti (clivé entre"centristes" et "progressistes"), à la débâcle afghane (même si c'est un héritage de ses prédécesseurs, et en particulier de Trump). A la pandémie, aussi. Et à l'inflation. Et à la résilience de Trump. Car sa défaite électorale n'a pas fait disparaître Trump du paysage politique américain : il n'a pas (encore ?) renoncé reconquérir la présidence et a renforcé sa mainmise sur le parti républicain, dont la majorité des sympathisants considèrent toujours Biden comme un président illégitime, désignépar fraude et tricherie. Et en juin, 28 % d'entre eux de disaient persuadés que Trump allait revenir au pouvoir avant la fin de l'année. Pour le délai, au moins, ils se trompent. Pour le but, pas forcément. En tout cas, pas sur le but de Trump. En outre, un quart (23 %) des électeurs républicains souscrivent à la thèse délirante des complotistes de Qanon : les Etats-Unis, leur gouvernements, leurs media, leur monde financier, sont contrôlés par une secte sataniste et pédophile, et une proportion plus importante encore de républicains affirment que "les vrais patriotes" (eux, donc) devront peut-être recourir à la violence pour sauver le pays. Et ils ne sont plus qu'une minorité (43 %) à accepter qu'au sein du parti on puisse critiquer Trump (qui lui-même ne l'accepte pas) alors qu'au sein des électeurs démocrates, 68% l'acceptent à l'encontre de Biden. Et à peu près autant le font.

Cette emprise de Trump sur les Républicains a toutefois ses limites : dans la campagne des élections législatives de mi-mandat, plusieurs candidats républicains ont pris leur distance avec l'ancien président, et avec le discours "pro-life" sur l'avortement, pour ne pas perdre toute chance de séduire un électorat plus modéré que les seuls trumpistes, cet électorat indépendant étant la clef de l'élection. Des candidats autrefois partisans du retour à l'interdiction de l'avortement ont admis qu'il devait être autorisé dans certains cas (viol, inceste, mise en danger de la vie de la mère). Et plusieurs résultats des élections de mardi sonnent comme une défaite du camp intégriste et réactionnaire. Qui reste cependant, comme son Grand Leader Bien Aimé, puissant.

Fort compétent comme agitateur, comme candidat, comme meneur de foules, Trump a été dans l'exercice de son mandat d'une incompétence effarante. Au point de convertir le camp "progressiste" en camp conservateur d'une "normalité" politique (dont Biden est une sorte d'incarnation) mise à mal par un énergumène infantile, irrationnel et égocentrique vivant dans un monde parallèle. Toute une littérature à prétention analytique a été produite pour expliquer le succès de Trump par l'adhésion à ce personnage d'une population blanche, pauvre, raciste et inculte motivée par la peur de son déclassement. C'est un peu court, comme explication : les "élites"(blanches elles aussi, mais riches et cultivées) n'auraient aucune responsabilité dans l'émergence du trumpisme ? ne témoigneraient d'aucun mépris à l'égard de la plèbe adversaire ? ne tiendraient elles-mêmes aucun discours aussi outranciers que ceux de Trump et de ses disciples ? elles ne seraient coupables d'aucune indulgence envers les fauteurs des guerres sans fin du Proche et du Moyen-Orient ? La gauche américaine serait totalement innocente du succès de l'extrême-droite américaine ?

Dopé aux sondages, Trump était prêt à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2024. Il devait le faire la semaine prochaine, et promettait pour mardi une "grande annonce" en s'appuyant sur le triomphe annoncé des Républicains. Le résultat bien plus serré qu'attendu n'est sans doute pas une défaite pour le parti, mais c'en est une pour lui, qui se retrouve même avec un concurrent potentiel sérieux à la désignation comme candidat à la présidentielle : le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, triomphalement réélu. En 2024, Trump aura 77 ans, et Biden 79... De Santis n'en aura que 46, et le Démocrate californien Newsom 57 : la présidence des USA pourrait bien être autre chose, finalement, que l'antichambre que la Maison de Retraite des vieux politiciens.


Commentaires

Articles les plus consultés