Bonnes irrésolutions pour la nouvelle année

MMXXIII Fiat Lux ?

Le passage d'une année à l'autre a ce seul avantage de faire pause dans nos agendas. Pour le reste, il est surtout prétexte à réjouissances convenues -si convenues qu'on ne sait plus vraiment de quoi il conviendrait de se réjouir. Après tout, la scansion calendaire est parfaitement arbitraire : pourquoi commencer l'année le 1er janvier et pas le 21 mars, avec le printemps, ou le 21 septembre, avec l'automne ? Le 1er jour du calendrier républicain est bien le 1er vendémiaire, c'est-à-dire le 22 septembre... et pourquoi choisir le calendrier commun plutôt qu'un autre, et se dire en 2023 quand on pourrait tout aussi bien se dire en 5783 (calendrier juif) ou en 1444 (calendrier musulman) ? après tout, un calendrier religieux (et notre calendrier commun, grégorien en est un) en vaut bien un autre, religieux ou non... Nous sommes le 9 janvier ? Si vous voulez. Mais nous sommes aussi le 20 Nivôse (calendrier républicain). Ou le 12 Décervelage (calendrier pataphysique)... Brisons-là, et faisons comme tout le monde, ou presque : annonçons ce que nous savons de cette année grégorienne qui s'ouvre, et rappelons ce dont nous héritons des années mortes. Et prenons de bonnes résolutions. Ou de bonnes irrésolutions, ce sera plus prudent, et plus conforme à ce qui pourrait bien être une règle de vie : "Essayer encore. Rater encore. Rater mieux" (Samuel Beckett)

"Couardise est mère de cruauté" 

La "Tribune de Genève" de mardi dernier titrait, aventureusement, sur un "possible big bang politique cette année à Genève" lors des élections cantonales. Un "big bang", carrément. Certes, Genève est le centre du monde, mais peut-on rappeler à la "Julie" que le "big bang", ce n'est rien d'autre que la naissance de l'univers, le "fiat lux" initial, le premier moment de tous les moments ? On peut sans doute n’évoquer qu'un "big bang politique", mais que serait-ce ? au moins une révolution. Ou ce que furent la naissance des villes, de la démocratie, des Etats, des nations... franchement, en sera-t-on là à Genève (et en Suisse) après que tous les choix auxquels nous sommes convoqués aient été faits comme nous souhaitons qu'ils le soient ? Nos espérances immédiates sont bien plus modestes que celles de Saint-Just, de Louise Michel, de Nestor Makhno ou de Buenaventura Durruti...

Les dernières heures du 31 décembre 2022 et les premières du 1er janvier 2023, à la salle communale de Plainpalais, la Ville de Genève organisait, pour la première fois après les deux années années de covid, son réveillon de la solidarité. Dans la "Tribune" de mardi dernier, Thierry Mertenat a fait un beau compte-rendu, de cette soirée des invisibles, ouverte par Christina Kitsos, comme on ouvre un "temps de répit" dans une vie de précarité. Un répit pour celles et ceux, familles, couples, personnes seules, qui vivent cette précarité. Mais pour nous, acteurs politiques, à quelque niveau que ce soit, il ne peut y avoir de répit -il peut d'autant moins y en avoir que les actions que la commune veut mener, et celles qu'elle mène déjà, contre la précarité, la pauvreté, la condamnation à la rue, sont toujours contestées, parfois combattues, et que leur financement est  toujours remis en cause. Et qu'il faut donc une majorité pour les défendre, les renforcer, les étendre. Et là, on retombe dans nos agendas politiques, électoraux, référendaires locaux et nationaux. Et aux choix à quoi ils nous invitent

Nous aurons à étudier soigneusement, armés d'esprit critique, le crédit d'étude pour la rénovation et l'extension du MAH et la réforme de la fondation du Grand Théâtre, et la tentative de lui transférer le personnel municipal affecté à l'opéra. Nous aurons à gagner la votation municipale du 12 mars sur "Zéro Pub" en Ville de Genève, où nous avons aussi à défendre la municipalisation du secteur de la petite enfance. Nous aurons à gagner les élection cantonales du printemps, à Zurich et à Bâle campagne en février, à Genève, Lucerne et au Tessin en avril, et les élections fédérales en octobre. Nous avons à défendre le salaire minimum légal. Et nous aurons à soutenir la Grève féministe du 14 juin-

Nos agendas politiques sont pleins -et il nous faudra nous en extraire, non pour nous reposer, mais pour voir et agir au-delà. Parce que nous convoquent des enjeux qui paraissent hors d'atteinte, mais que nous devons tout de même participer à relever. Des enjeux globaux, mondiaux, pérennes : L'Iran, L'Ukraine, l'Afghanistan, la montée de l'extrême-droite, l'inflation, la crise énergétique, la Covid (eh non, elle n'a pas disparu), la crise climatique (elle est à long terme, et sa réponse doit être aussi durable qu'elle), et tout ce que ces crises provoquent, avec comme urgence supplémentaire, et non moins urgente à relever que les autres, la défense du droit d'asile, des droits des migrants, de la liberté de circulation -ne venons-nous pas de trouver, sous notre sapin, le cadeau d'une nouvelle Conseillère fédérale, socialiste et jurassienne, et de gauche, à qui ses collègues ont -sans aucune arrière pensée, bien sûr- confié le ministère de tutelle de la politique suisse d'asile et de migration ?... hors de notre portée, ces enjeux ? Si importants, si graves, qu'on se désespérerait de pouvoir les relever, et se contenterait de les évoquer, fugacement ? Or tous ont leur traduction locale, nationale.

L'année grégorienne 2023 commence comme finissait l'année grégorienne 2022 : En Ira,, on pend. En Afghanistan, on enferme. Un Ukraine, on bombarde. Et le 3 janvier, un requérant d’asile nigérian s'est donné la mort dans un centre d'hébergement collectif genevois, un mois après le suicide d’Alireza dans un autre foyer genevois après l’annonce du refus de sa demande d’asile, malgré un dossier médical attestant d’une fragilité psychologique importante. Le jeune Nigérian, lui, était arrivé début décembre, désorienté et confus, mais son état n'avait pas été jugé inquiétant. Jugé par qui, inquiétant pour qui ? Qui s'inquiète de l'état de santé d'un requérant d'asile africain ou afghan ?

"Couardise est mère de cruauté" (Montaigne)



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