Initiatives fiscales de la gauche genevoise : Faire payer ceux qui le peuvent

A Genève, la coalition "Ensemble à gauche" (Solidarités, le Parti du Travail, le DAL) lance une initiative populaire pour la taxation des "super-profits", autrement dit pour une imposition progressive des bénéfices des entreprises actives dans le canton. Une telle imposition progressive était d'ailleurs en vigueur jusqu'en 1998, lorsqu'elle avait été remplacée par une taxe fixe, une "flat tax", frappant du même taux les petites et les grandes entreprises, pour autant qu'elles produisent un bénéfice imposable (ce que les deux tiers d'entre elles ne produisent pas). L'initiative de la gauche propose de diminuer l'imposition des entreprises réalisant moins de 100'000 francs de bénéfice (les PME) et d'augmenter celle du millier d'entreprises dont le bénéfice dépasse le million, de telle sorte que l'impôt produirait 450 millions de plus par an, ce qui ne serait pas de trop pour couvrir l'accroissement des besoins de logements, de personnel du secteur public, d'écoles, de rénovation énergétique des bâtiments... Les secteurs qui seraient mis à contribution sont en outre souvent ceux qui ont profité de la crise pandémique et des conséquences de la guerre en Ukraine. Cette année, deux autres initiatives fiscales de gauche, l'une taxant les dividendes et l'autre les grosses fortunes, seront soumises au peuple genevois -auquel la gauche proposera en outre un référendum contre la réforme de droite de la fiscalité immobilière... Quelque chose nous dit qu'on va beaucoup entendre la droite, le patronat, les Chambres de commerce, d'industrie et de l'immobilier hurler à l'étranglement de l'économie.

Un quart des contribuables genevois ne payeraient pas d'impôt ? Foutaise ou mensonge !

Le compromis passé dès le début de l'après-guerre mondiale, dans toute l'Europe (y compris en Suisse)  entre la social-démocratie, la démocratie chrétienne et le radicalisme démocratique était une sorte de reprise de la (fumeuse) théorie du ruissellement : l'accumulation de la richesse par un petit nombre (de particuliers ou d'entreprises) finit par profiter au plus grand nombre (d'entreprises ou de particuliers)... Illusion dissipée dès le milieu des années septante, et dès lors, il est devenu évident que seul la redistribution collective des richesses du haut (de l'échelle des revenus et de la fortune) vers le bas, par l'impôt, peut effectivement provoquer un "ruissellement" qui ne soit pas un goutte-à-goutte. Et pour que l'impôt joue ce rôle, il faut évidemment qu'il frappe les plus riches, et pas les plus pauvres. Il faut donc qu'il soit un impôt direct et progressif (l'impôt indirect, la TVA, est un impôt régressif, qui frappe plus lourdement les plus modestes que les plus nantis), qu'il s'applique aux bénéfices des entreprises (et pas à leur chiffre d'affaire) et aux grosses fortunes, hauts revenus, dividendes, pour pouvoir financer des transferts sociaux et les services publics. C'est ce que proposent les initiatives fiscales de la gauche, comme celle que vient de lancer "Ensemble à gauche" ou celle des trois partis de l'Alternative et des syndicats, lancée en septembre 2021, et qui propose à Genève (l'initiative ayant abouti) une augmentation de l'impôt sur les fortunes de plus de trois millions de francs, dont le taux passerait de 1 à 1,5 % pour une période de dix ans. Pour ne pas pénaliser les petits propriétaires et artisans, les déductions sociales tripleraient. Une ponction fiscale  justifiée par la nécessité d'une intervention renforcée des collectivités publiques dans la santé, la formation, le social, la protection de l'environnement et la transition écologique. Les crises multiples que nous avons à affronter imposent en effet de ré-introduire (ou de maintenir et de renforcer) la collectivité publique comme actrice décisive des changements, avec comme critère le bien public, l'utilité publique des prestations qu'elle délivre. Comment les financer, ces prestations ? De quel instrument la collectivité publique dispose-t-elle pour assurer ce financement ? De l'impôt. A quoi sert l'impôt ? A financer l'action publique et, s'agissant de l'impôt direct et progressif, à redistribuer les richesses.

Le 22 février de l'année dernière, la Conseillère d'Etat PLR Nathalie Fontanet poussait dans la "Tribune de Genève" un coup de gueule contre les deux initiative de gauche visant à une imposition plus forte des hauts revenus et fortunes : "la gauche instaure un climat de défiance" à l'égard de "contribuables qui assurent la majeure partie des revenus de l'Etat (...) créent de l'emploi, font marcher l'économie locale et se montrent souvent généreux par leur soutien à de nombreux projets dans le canton". En s'attaquant à eux, la gauche "porte préjudice à la cohésion et à la prospérité " et "à l'activité entrepreneuriale dans notre canton". Et risque de "précipiter le départ" de ses "principaux contribuables". La fin des haricots, quoi... Six mois plus tard, catastrophe : le Conseil d'Etat (dont Nathalie Fontanet est toujours membre, chargée des Finances, mais qui a entretemps basculé à gauche avec l'élection de la Verte Fabienne Fischer) soutient une hausse (temporaire, certes) de l'impôt sur la fortune. Du coup, à droite, on s'alarme et on créée un machin, "la Fondation pour l'attractivité du canton de Genève" (FLAG), où on retrouve les dirigeants de Rolex, de Firmenich (qui va déplacer son siège en Argovie), de Pictet (entre autres), et l'inévitable Vincent Subilia (directeur général de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des prédictions apocalyptiques), qui dénonce l'instauration à Genève, par la gauche, d'un "climat anti-riches". Pure calomnie : les riches, on les aime, à gauche. Comme le berger aime les moutons qu'il va tondre et le vacher les vaches qu'il va traire.

Et ça tombe bien : à Genève, la masse des fortunes de plus de trois millions  a triplé en sept ans (2011-2018) pour atteindre 69 milliards de francs, possédés par moins d'un pourcent de la population genevoise, et l'impôt actuel sur la fortune a rapporté, sans augmentation de son taux, 68 % de plus en 2022 qu'en 2021, ce qui confirme que le patrimoine des contribuables fortunés (ceux qui sont concernés par l'initiative dont le principe a été approuvé par le Conseil d'Etat) s'est accru. Ils ne sont d'ailleurs pas particulièrement étranglés par le fisc (et ne le seraient toujours pas si les initiatives de gauche passaient) : pour une fortune de cinq millions, on n'est taxé à Genève que d'environ 43'000 francs. Moins de 1 %. Pas de quoi hurler au racket. 

Les riches sont devenus plus riches, les pauvres et les précaires plus nombreux. Et on ne cesse d'entendre cette antienne : un quart (22 %, plus précisément) des contribuables genevois ne payeraient pas d'impôt. Foutaise (si ceux qui nous la chantent sont sincères) ou mensonge (s'ils sont assez compétents pour savoir que ce qu'ils serinent est une contre-vérité) : à Genève comme partout ailleurs en Suisse, tout le monde paie l'impôt. Et quand on dit tout le monde, c'est vraiment tout le monde, du nouveau-né prématuré en couveuse à l'agonisant en soins palliatifs : cet impôt que tout le monde paie, et qui est celui qui rapporte le plus, est aussi le plus injuste, parce qu'il pèse d'autant plus lourd que le revenu du contribuable est bas. Parce que c'est un impôt proportionnel, à taux fixe -le même taux pour le sdf et le milliardaire. Cet impôt, c'est la TVA. Et ceux qui ne paient pas d'impôt sur le revenu parce que leur revenu est trop bas, ni d'impôt sur la fortune parce qu'ils n'ont pas de fortune (70 % des contribuables n'ont pas de fortune ou une fortune insuffisante pour être imposée), ceux-là le paient, cet impôt.

Et c'est ainsi que notre système fiscal a fini par réaliser le projet pataphysique d'Alphonse Allais : faire payer les pauvre, puisqu'ils sont plus nombreux que les riches.




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