On votera sur l'initiative populaire "pour un canton qui marche"

 

Genève à pied (d'oeuvre)

A Genève, les Verts ont lancé et fait aboutir l'initiative populaire "pour un canton qui marche". L'initiative propose de compléter trois lois cantonales existantes de telle manière que des aménagements continus directs, confortables et sécurisés pour les piétons, soient assurés dans les quartiers et entre les quartiers. L'initiative pose le principe de l'"accessibilité universelle" : tout le monde doit pouvoir se mouvoir à pied (ou en fauteuil) partout, et pas seulement en ville : dans les villages aussi. Les initiants constatent, à raison, que la marche est "le parent pauvre des politiques de mobilité" alors que c'est le moyen de se déplacer le plus pratiqué dans le canton (39 % des déplacements), que c'est, pour celles et ceux qui peuvent la pratiquer, le plus bénéfique pour la santé, le moins coûteux, le moins polluant, le moins encombrant. L'initiative demande des trottoirs là où il n'y en a pas (dans la campagne, ils sont souvent inexistants le long des grandes voies de circulation automobile), des zones piétonnes, des accès piétons facilités aux gares et aux grands échangeurs de transports publics.

Un piéton prend 290 fois moins de place qu'une bagnole en ville...

Quel est le premier moyen de locomotion, de mobilité, dans les villes suisses, à Genève comme dans les autres ? L'automobile individuelle ? les transports publics ? les deux-roues motorisés ? les vélos (mécaniques) ? Non : la marche. La part des déplacements entièrement piétons s'élève à 39 % pour l'ensemble du canton, 48 % pour la Ville (ce qui en fait la "capitale suisse de la marche") : c'est plus que tous les autres modes de déplacement, bien plus, notamment, que la mobilité individuelle motorisée. Mais ce premier moyen de se déplacer est encore le dernier à être pris en compte dans la définition des réseaux de mobilité, et l'analyse des flux d'usage de l'espace public (on compte les voitures, les vélos, les motos, les bus et les trams... mais pas les piétons...). Pourtant, cela fait quarante ans que la loi fédérale oblige les cantons à se doter d'un réseau piéton cohérent... mais la marche reste, comme le constate le directeur du bureau d'ingénieur 6-t, "le parent pauvre de la planification de la mobilité et du territoire". Pauvre, et menacé, le parent :  tous les mois, en Suisse, trois piétons sont tués, quarante blessés grièvement 130 plus légèrement. Les piétons ont en outre dix fois plus de chances d'être heurtés par une voiture que par un vélo  (les vélos électriques ne représentent que 1 % des heurts avec un piétons en 2020). Et en ville, on ne voit pas d'autre moyen de réduire le risque d'accident pour les piétons que de réduire à la fois la vitesse de circulation des véhicules (y compris les vélos) à 20 ou 30 km/h et d'accroître les espaces et les parcours où les piétons sont au moins prioritaires (zones de rencontre), voire usagers quasi exclusifs (zones piétonnes). De ce point de vue, les conducteurs de véhicules ne sont pas les seuls responsables des accidents impliquant les piétons : cette responsabilité, ils la partagent avec les concepteurs et les aménageurs des voies de circulation, qui depuis trois quarts de siècle privilégient celles à disposition de l'automobile privée à celles utilisables par tous les autres utilisateurs -y compris d'ailleurs, jusque dans les années quatre-vingt du siècle défunt, les transports publics.

On peut  reprendre ici la distinction faite par Vincent Kaufmann entre mobilité passive et active, plutôt qu'entre mobilité dure et douce. La mobilité passive, c'est celle où celui-ou celle qui se meut est transporté, par sa voiture ou un véhicule de transport collectif et la mobilité active, celle où il ou elle se transporte, en marchant ou en pédalant (reste à savoir si la mobilité en vélo ou trottinette électrique est active ou passive. Peut-être les deux ?).  Or selon une étude de l'EPFL, c'est plutôt contraints que par plaisir qu'on utilise sa voiture pour se déplacer : la voiture est ainsi un choix fonctionnel, fait par nécessité, faute d'alternative plus séduisante. Les habitants de la périphérie des villes le font plus souvent que ceux des villes, faute précisément d'alternative. Le choix de la mobilité douce n'est pas non plus forcément motivé par des motivations éthiques, idéologiques, environnementales, mais souvent, comme le choix de l'automobile, par des critères de facilité, d'autonomie, de coût. Si la Ville de Genève est de toutes les principales villes de Suisse celle où la part de la mobilité piétonne est la plus importante, c'est aussi parce qu'elle est la plus dense, et que les distances y sont donc plus courtes qu'ailleurs : 95 % des déplacements de moins de 500 mètres s'y font à pied, et 80 % de ceux de moins d'un kilomètre. Et si cette part n'est plus que de 34 % pour les déplacements de 1,5 à 4 kilomètres, elle est encore supérieure à celle de tous les autres modes de déplacement en ville (21 % pour la voiture individuelle, 20 % pour les transports en commun, 11 % pour le vélo). En moyenne cantonale, Genevois et Genevoises parcourent 2,3 kilomètres par jour à pied, celles et ceux de la Ville 2,6 km. Mais dans quelles conditions ? Marcher, quand on le peut, c'est pourtant bien meilleur pour l'environnement, la santé et le porte-monnaie (et même pour les budgets publics) que tout autre moyen de se déplacer. C'est même bénéfique à l'économie locale, pour peu qu'elle soit de proximité.

Tous aménagements compris (parkings, rues, garages, trottoirs, passages piétons, rampes et ascenseurs pour personnes à mobilité réduite), en ville, un piéton prend 290 fois moins de place,  et une personne en fauteuil roulant une centaine de fois moins,  qu'une bagnole... Si on ne tient compte que de la personne et de la voiture , un marcheur prend encore 37,5 fois moins de place qu'une voiture. Que les piétons puissent se réapproprier l'espace public urbain, suburbain et rural, cela ne relèverait-il pas, après tout, d'une sorte de restitution, voire de justice réparatrice ?


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