A propos des prêts de la FIFA (et d'autres) aux villes (de gauche)
Qui prête, à qui, et pourquoi ?
On a d'abord appris que la Ville (de gauche) de
Berne avait emprunté 1,8 milliards de francs à la coupole
mafieuse du foot-pognon mondial, la FIFA. On a ensuite appris
que les villes (de gauche) de Lausanne et de Genève (et le
canton de Neuchâtel) en ont fait autant, en passant par une
plate-forme en ligne, Loanbox, qui met 550 emprunteurs
(communes, villes, cantons, entreprises publiques) en relation
avec des prêteurs qui cherchent à transformer en créances leurs
liquidités dormantes, et apprécient de les accorder à des
puissances ou des entités publiques. Genève lui a emprunté 600
millions entre janvier 2018 et décembre 2022, dont 150 millions
(à 0,685 %) une semaine avant le début du Mondial que la gauche
genevoise dénonçait depuis des semaines pour les conditions dans
lesquelles la FIFA l'avait attribué au Qatar, corruption à
l'appui, et celles dans lesquelles des travailleurs immigrés
avaient été exploités, parfois jusqu'à la mort, avec la
complicité au moins passive de la FIFA, pour construire les
infrastructures nécessaires à cette «grand'messe (noire) du
sport»... qui a rempli les caisses de la FIFA grâce aux droits
de retransmission télé... que la télé publique suisse a payé
comme ses consoeurs. Certes, Genève (ni les autres villes) n'a
pas emprunté seulement à la FIFA (elle a lancé 52 appels
d'offres de prêts à court terme, remboursables en un an ou
moins, pour un total de cinq milliards et demi entre 1918 et
2022) puisque dans la liste de ses prêteurs on trouve (sans en
avoir encore obtenu les identités) sept banques (toutes propres,
bien sûr), une caisse de pension (limpide) et une société liée
au transport ferroviaire. Mais pas de raton-laveur. Ni sans
doute la Banque Alternative. Ni la Fédération internationale de
pétanque. Ni de prêts en Lémans.
Ce qui nous emm... n'est pas que la Ville ait emprunté à la FIFA. mais qu'elle l'ait remboursée
Dans un prêt, il y a deux acteurs, aussi responsables l'un que l'autre du prêt : celui qui l'a demandé et obtenu, celui qui l'a accordé. Genève avait besoin de liquidités (elle ne manque pas de ressources, sa fortune est considérable, mais il lui arrive de n'avoir pas assez de fonds rapidement disponible (les rentrées et les sorties de fonds ne coïncident pas dans le temps) : c'est pour cela, et non pour "financer sa politique sociale à crédit" comme l'en accuse un Conseiller municipal UDC, qu'elle a cherché un prêteur. Or la FIFA est riche à milliards (grâce notamment aux droits télévisés). Et comme gérer tout ce pognon lui coûte cher, que le placer à des taux négatifs aussi et qu'elle ne veut pas le laisser roupiller sur des comptes, autant le prêter à des taux très avantageux, voire à taux zéro, voire même à des taux négatifs. L'emprunteur a donc trouvé son prêteur, et le prêteur son débiteur. La morale n'y trouve pas son compte, l'éthique non plus, la cohérence entre le discours politique de la Municipalité et les pratiques de la FIFA encore moins, mais les comptables, en revanche, sont satisfaits : n'importe lequel vous dira que l'argent sans intérêts, même s'il pue, est moins cher que l'argent inodore (y'en a-t-il qui sente bon ?) mais avec intérêts.
L'éditorialiste de la «Tribune de Genève» maugrée
: «emprunter de l'argent à une banque est une chose. L'emprunter
directement à un organisme sportif connu pour son agenda
politique et ses pratiques peu recommandables en est une autre»,
surtout quand son président est sous procédure pénale en Suisse
pour incitation à l'abus d'autorité, violation du secret de
fonction et entrave à l'action pénale. Le professeur de droit
pénal Mark Pieth considère qu'emprunter de l'argent à la FIFA
"augmente la dépendance de la Suisse à l'égard de la FIFA", que
les autorités devraient surveiller plutôt que lui emprunter. Il faudrait alors l'emprunter plutôt à des banques ?
Mais les pratiques des banques sont-elles toujours plus
recommandables, plus transparentes, plus propres que celles de
la FIFA ? Et qui nous dit que l'argent que prêterait une banque
ne viendrait pas de celui déposé par la FIFA (ou un oligarque,
ou une multinationale du pétrole ?).
Reste que dans sa toute récente "stratégie
climat", la Ville de Genève proclame son souhait de "montrer
l'exemple et soutenir les démarches propices à une finance plus
durable en mobilisant les parties prenantes"... Et la semaine
dernière, le Conseil administratif a annoncé qu'il allait
"reconsidérer (ses) pratiques en fonction d'un certain nombre de
critères"... Elle pourrait déjà, comme La Cheffe des Finances de
Lausanne, rendre publique la liste des prêteurs (pour Lausanne,
on y trouve des banques
cantonales et la SUVA... et Genève Aéroport, qui avait
lui-même obtenu un prêt de 200 millions... du canton de Genève.
Une sorte d'économie circulaire, quoi). La Ville de Genève
devrait aussi, comme les responsables de finances de Neuchâtel
et de Lausanne l'ont fait, renoncer à emprunter à des prêteurs
aussi contestables -et contestés- que la FIFA. Ce serait
d'ailleurs la moindre des cohérences, puisque ces prêteurs sont
contestés par les délibératifs de ces villes elles-mêmes...
A Genève, au Conseil municipal, on s'apprête à entendre, mardi, tous les groupes de droite se saisir de l'objet "prêts de la FIFA", dans la posture de quelqu'un qui tombe des nues... les membres de droite de la commission des finances du Conseil municipal n'étaient donc au courant de rien -mais pourquoi ne se sont-ils pas renseignés sur la politique d'emprunt de la Ville, et n'ont-ils pas demandé d'obtenir les documents nécessaires pour pouvoir l'appréhender ? Un lourd doute plane sur l'ange qui passera sur les débats lorsqu'on s'y écharpera sur les prêts obtenus de la FIFA : ceux qui en feront des gorges chaudes sont-ils favorables à ce que la surveillance défaillante de l'Etat sur des acteurs comme la FIFA soit renforcée ? que la FIFA soit contrôlée par la FINMA comme une banque de prêt ? Que ce prêteur milliardaire qui se fait passer pour une association pour pouvoir n'être imposé qu'à une fraction du taux qui devrait lui être appliqué paie des impôts pour ce qu'il est, et pas pour ce qu'il prétend être, une sorte de philanthrope : en 2018, par exemple, année de Coupe du Monde, la FIFA a fait un résultat net de 1,8 milliards de francs, et payé 29 millions d'impôt et de taxe... soit 1,6 % de ses profits) . Qui dit mieux -ou plutôt : qui dit moins, à part la mafia et quelques oligarques russes ?
Brisons-là : "qui paie ses dettes s'enrichit", nous serine-t-on depuis qu'on a des dettes (en gros, depuis cinquante ans...). Ce n'est pas la moindre des âneries dont on nous a gratifiés pour faire de nous, sans même y réussir, de bons citoyens, contribuables et consommateurs. Voire un bon candidat au Grand Conseil. Parce que nous, ici, dans cette affaire, ce qui nous ennuie (pour user d'un euphémisme) ce n'est pas que la Ville ait emprunté à la FIFA. Non. Ce qui nous ennuie (pour abuser du même euphémisme) c'est qu'elle l'ait remboursée, et même pas en Lémans.
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