Elections cantonales genevoises : Une droite façon puzzle
A Genève, le délai de dépôt des listes pour l'élection du Grand Conseil et des candidatures à celle du Conseil d'Etat (où il n'y a plus de listes de partis mais une seule shopping liste officielle sur laquelle l'électrice et l'électeur font leurs courses) échoit au début de la semaine prochaine. Avec, pour en juger d'après ce qu'on sait aujourd'hui, un paysage politique façon puzzle à droite, contrastant avec la cohésion de l'alliance PS-Verts (qui a toutefois à compter, sans pouvoir y faire grand chose, avec le folklore de la gauche de la gauche). A ce stade, pas moins de huit partis de droite (et du "centre-droit") présentaient ou annonçaient leur intention de présenter une liste de candidates et de candidats pour le Grand Conseil et des candidatures au Conseil d'Etat: le PLR, l'UDC, le MCG, le Centre, les Verts libéraux, "Libertés et Justice sociale" (la liste de Pierre Maudet), l'Elan radical et Civis (la liste de Luc Barthassat). ça fait beaucoup de convives pour un gâteau électoral qui tourne, pour la droite, autour de 55 % des suffrages, avec un ticket d'entrée à 7 % (le quorum, qu'on doit atteindre pour obtenir des sièges). Or de ces huit partis, à notre humble avis, seuls le PLR, et le Centre sont à peu près certains d'obtenir ce ticket. A gauche, on en est à quatre listes, dont deux, celles du PS et des Verts, sont assurées d'obtenir le quorum, et deux autres (celles d'Ensemble à Gauche et de l'"Union populaire") de le rater si elles ne s'unissent pas. Sur douze listes, on pourrait donc n'en avoir que cinq (voire seulement quatre, ou même trois) a faire élire des représentants au parlement cantonal et y disposer d'un groupe (il y en a actuellement sept, il pourrait plus n'y en avoir que trois...), l'électorat de toutes les autres ayant exercé son droit de vote en vain. Or cet électorat pourrait peser tout de même entre un sixième et un tiers des suffrages exprimés (sachant que la majorité du corps électoral s'abstiendra probablement), et son éjection de la répartition des sièges accorderait aux partis ayant obtenu le quorum entre une quinzaine et une trentaine de sièges supplémentaires à ceux que leur poids électoral leur attribuerait dans un système de proportionnelle intégrale. C'est la démocratie représentative à la Genevoise. Quant à savoir qui elle représente et s'il ne serait pas temps de l'abolir, ce foutu quorum...
Le "coma" de la droite genevoise est-il déjà
dépassé ou encore réversible ?
Si on résume, sur les sept partis actuellement
représentés au Grand Conseil, après avoir passé (parfois de
justesse) la barre du quorum de 7 %, seuls quatre n'ont pas
grand chose à craindre de cette barre : le PLR, le PS, les Verts
et le Centre. Tous les autres en sont proches : en 2018, l'UDC
n'avait franchi le quorum que de peu, avec 7,32 % des suffrages
(mais elle peut cette année espérer récupérer des déçus du PLR
et des déçus du MCG). "Ensemble à Gauche" n'avait guère fait
mieux (7,82 %), mais du moins s'était-elle rassemblée sur une
liste unique (or elle est divisée en deux listes, qui risquent
fort, si elles ne fusionnent pas, de se retrouver toutes deux
éjectées du parlement). Le MCG avait obtenu 9,43 % des
suffrages, mais il n'est plus que l'ombre de lui-même, et on ne
pariera pas grand chose sur sa capacité à "passer la barre" du
quorum. Le Centre (alors PDC) semble moins menacé (il avait fait
10,71 % des suffrages), mais il est concurrencé par les Verts
libéraux (qui devraient faire bien mieux que le piètre 1,6 % de
2018). Enfin, trois listes annoncées vont grappiller des
suffrages de droite, sans pouvoir raisonnablement espérer en
grappiller assez pour atteindre 7 % du total des suffrages mais
en affaiblissant le PLR, le Centre, voire l'UDC et le MCG : la
liste de Pierre Maudet, la liste de l'Elan radical et la liste
de Luc Barthassat. Ajoutons
à cela les migrations individuelles d'un parti à un autre,
voire, déjà, d'une liste à une autre : un Morel qui passe du
PLR au MCG, une Orsini qui passe d'Ensemble à Gauche à nulle
part puis au MCG, un Mettan qui passe du PDC à nulle part puis
à l'UDC, quelques Verts qui passent aux Verts libéraux, des
candidats de la liste d'Ensemble à Gauche qui passent à celle
de l'"Union populaire"...
Finalement, le PLR semble s'être rendu à l'évidence : la "grande alliance" entre lui, l'UDC et le Centre ne se fera pas à Genève, contrairement à Fribourg et à Berne, et le PLR partira seul, en tout cas au premier tour de l'élection du Conseil d'Etat tout en priant les cieux électoraux de réserver une défaite à son vieil allié récalcitrants, de telle manière qu'ils soit contraints de se raccrocher à lui pour survivre. Sauf que la défaite menace aussi le PLR lui-même, grignoté de tous les côtés : par les Verts libéraux, la liste Maudet, la liste maudétiste sans Maudet de l'Elan radical (si elle se confirme)... sans oublier (mais peut-être l'a-t-il déjà oubliée lui-même) celle annoncée par Luc Barthassat.
Pour les sept sièges du Conseil d'Etat, on compte
une quinzaine de candidatures annoncées, dont les quatre
candidatures de l'alliance PS-Verts, qui gère assez
confortablement son image unitaire face à une droite façon
puzzle, les deux candidatures du Centre, les deux candidatures
du PLR, les deux de l'UDC, la candidature de Pierre Maudet,
celle de Philippe Morel pour le MCG : le MCG a appris par la
presse que Poggia ne se représentait pas (sauf si son parti
dépassait les 20 % des suffrages au Grand Conseil, ce à quoi
personne ne croit) et le PLR a en même temps appris que son
député Philippe Morel (qui lui était déjà arrivé du PDC) passait
au MCG pour être Conseiller d'Etat. Il aura bientôt fait le tour
de la droite, Morel.
Rompant avec la tradition (sauf erreur, et sous réserve de vérification, ce
serait la première fois depuis 1936), le PLR et le PDC
devenu le Centre ne présenteront pas de candidature commune pour le premier tour de l'élection du Conseil d'Etat
(elle reste possible pour le second tour, mais entre qui et qui
? ). Elle était alors une alliance entre libéraux, radicaux et chrétiens-sociaux,
contre les socialistes (qui pesaient 40 % des suffrages à eux
seuls...). Cette alliance, la fusion entre libéraux et radicaux
l'avait réduite à une alliance PLR-PDC, le virage centriste du
PDC et droitiste du PLR la réduirait au seul PLR. En 2019, le
PDC, pas encore devenu Le Centre, avait d'ailleurs déjà failli
lâcher le PLR, puis s'était ravisé. Le PLR
s'obstinait à proposer une alliance de "droite élargie" avec
l'UDC d'un côté, le Centre de l'autre, le Centre refusant de
s'allier avec l'UDC et proposant une alliance aux Verts
libéraux, sans forcément renoncer à sa vieille alliance presque
centenaire avec le PLR (et avant lui, les radicaux et les
libéraux), lequel PLR n'envisage pas, ou pas encore, de s'allier
aux Verts libéraux, qui, eux, seraient plutôt partants seuls, ou
éventuellement avec le Centre -mais pas avec le PLR, et surtout
pas avec l'UDC. Vous suivez ? C'est bien.
Bon, comme disait le président Mao,
il faut compter sur ses propres forces. Ou comme dit le
président Blondin (celui du Centre, pas de l'Empire du
Milieu) "il faudra faire comprendre aux électeurs que nous
pouvons travailler ensemble malgré nos divergences". Et ça ne
sera pas facile : la droite a
échoué à garder la majorité au Conseil d'Etat (le PLR n'ayant
pas soutenu la candidate du Centre après le retrait de son
propre candidat) alors qu'elle y a détenu jusqu'à sept sièges
sur sept, elle a échoué encore à récolter les signatures pour
son initiative de limitation du nombre de fonctionnaires, le PLR
a refusé le budget proposé par le Conseil d'Etat et défendu par
la magistrate PLR Nathalie Fontanet, et s'est acharné (avec
l'UDC et le MCG) sur le magistrat PDC Serge Dal Busco...
"Le Temps" d'hier titrait à la "une" : "l'Entente genevoise en coma dépassé". "Dépassé", c'est est trop dire, l'EEG de la droite n'étant pas tout à fait plat, mais reste le coma : "perte prolongée de la conscience, de la sensibilité", mais perte réversible. Et lors de la phase de réveil, qui peut durer plusieurs semaines, les patients sont à nouveau capables de rêver, de capter des moments du réel et de les intégrer dans les rêves.
Tout espoir n'est donc pas perdu pour l'Entente
Genevoise. Ni pour la gauche de la gauche, d'ailleurs.
Quant à nous, on reste réveillés.
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