Réforme du système français de retraite : Front durcis, contrefeu fumeux

 

Les syndicats espéraient en une nouvelle démonstration de force, ils l'ont obtenue : leur quatrième  journée de mobilisation contre la réforme Macron-Borne du système français de retraite, a connu un succès plus grand encore, que  celles du 19 et du 31 janvier. Le front syndical, reconstitué après douze ans de division, tient, et même se renforce : les manifestations ont été considérables dans des villes comme Roanne, Périgueux et des dizaines d'autres, qui n'en avaient parfois plus connu de telles depuis 1968 -voire n'en avaient même jamais connu, comme Chartres (40'000 habitants, 5000 manifestants samedi...). Dans toute la France, les syndicats annoncent 2 millions et demi de manifestants, le ministère de l'Intérieur un million. Pour tenter un contre-feu, la Première ministre et ses ministres se mettent à évoquer la question du travail comme valeur : "La question des retraites met en lumière des débats plus profonds, et interroge notre rapport au travail" a déclaré la première, et son ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a annoncé des tests de la semaine de quatre jours (mais pour 35 heures de travail) dans certains services publics. Cela dit, l'hypothèse d'une instauration de la semaine de 35 heures sur quatre jours (c'est encore au moins 3 heures de trop..., et ça fait des journées de travail rallongées) comme moyen de démobiliser les oppositions à la retraite à 64 ans tient un peu de l'illusion, du contre-feu fumeux, quand l'opposition se renforce encore dans la rue, que les front se durcissent et que la seule question qui se pose est : qui, du gouvernement ou des syndicats, va céder ?

"La démocratie, c'est aussi la capacité d'exprimer son opinion dans la rue"

Les syndicats français appellent à de nouvelles journées d'action contre la réforme Macron-Borne du système de retraite, les programment jusqu'au 7 mars, après les vacances scolaires, et n'hésitent plus à menacer de "bloquer la France" par des grèves reconductibles si le gouvernement ne revient pas en arrière. Pour la CFDT (et d'autres syndicats), il y a une "ligne rouge" que le gouvernement a franchie avec son projet, et qu'il doit refranchir dans l'autre sens s'il veut échapper à la confrontation avec un mouvement social massivement soutenu par l'opinion publique. Cette "ligne rouge", c'est le report de l'âge du droit de départ à la retraite (il est aujourd'hui de 62 ans, la réforme le reporterait à 64 ans, l'intention initiale de Macron étant d'aller jusqu'à 65 ans... comme en Suisse...), report auquel le gouvernement affirme urbi et orbi qu'il ne renoncera pas, mais qui pourrait lui être imposé par le parlement -si l'opposition de gauche acceptait, elle, de renoncer à la flibuste parlementaire et à sa pluie d'amendements pour pouvoir se concentrer à temps (il ne reste que cinq jours au débat à l'Assemblée Nationale)  sur ce qui importe : l'âge de la retraite, la période de cotisations exigée pour une rente à temps plein, ce qui prétériterait particulièrement les femmes dont les "carrières", et donc les périodes de cotisations, sont incomplètes, et donc les rentes réduites, à moins de travailler (de manière rémunérée) jusqu'à 67 ans...  La CFDT, favorable à une réforme du système de retraite mettant fin aux "régimes spéciaux" (il y en a 42...), ne l'est pas à celle dont a accouché le gouvernement, et c'est son passage dans l'opposition qui a permis la reconstitution de l'unité syndicale. Plus personne à gauche ne soutient la réforme Macron-Borne, du moins telle qu'elle a été soumise au parlement, où le gouvernement doit compter sur la droite démocratique (les Républicains) pour obtenir une majorité et s'éviter de recourir une fois de plus au couperet de l'article 49.3 de la Constitution, qui clôt les débats.

Sa réforme, Macron la présente comme "juste" et "équitable". Tel n'est pas l'avis de la majorité des Françaises et des Français, dont les centaines de milliers de manifestants des trois journées de mobilisation (soutenues par la même majorité de la population, si on en croit les sondages...) se font les porte-paroles.... mais peu lui chaut, à Macron : il considère que sa réforme a d'ores et déjà été validée par sa réelection à la présidentielle puisqu'elle faisait partie de son programme. Dès lors, il ne s'agirait plus que d'obtenir une ratification formelle par le parlement -et en l'absence de référendum d'initiative populaire en France, le débat serait clos... sauf que s'il n'y a pas de référendum d'initiative populaire en France, il y a tout de même, outre des grèves et des manifestations ("la démocratie, c'est aussi la capacité d'exprimer son opinion dans la rue", résume le Secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger) des élections -et que chaque réforme du même genre que celle défendue par le président et son gouvernement a coûté fort cher aux présidents et aux gouvernements qui les défendaient : En 1995, le plan Juppé (suppression des régimes spéciaux) succombe aux manifestations -une défaite qui entraîne celle de la droite aux élections législatives et le retour de la gauche au gouvernement. En 2010, Nicolas Sarkozy arrive à imposer le report de l'âge de la retraite à 62 ans, mais le paie par une défaite à la présidentielle de 2012. En 2013, son successeur, François Hollande, renonce à revenir sur la réforme Sarkozy, sa ministre, Marisol Touraine, décide de passer à 43 ans de cotisations pour une retraite à temps plein... et Hollande renonce à se représenter en 2015, par certitude d'être battu. La gauche subit une défaite à la présidentielle, face à Macron et Le Pen, et une autre défaite aux législatives, et le Front National devenu Rassemblement national s'installe solidement dans le paysage politique en ayant attiré à lui une part considérable de l'électorat le plus touché par les réformes successives du système de retraite -l'électorat de celles et ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt, touchent les salaires les plus bas et les retraites les plus modestes, ont connu une carrière discontinue avec des temps partiels, des interruptions, des périodes de chômage. 

Pour Macron, l'enjeu est à la fois symbolique et politique : s'afficher comme réformateur "quoi qu'il en coûte". Ce qui peut en coûter, c'est une impopularité assez durable pour sceller l'échec de la majorité présidentielle (qui n'est d'ailleurs pas majoritaire) aux élections présidentielle et législatives à venir, et faire courir le risque d'une victoire du Rassemblement National nourrie de colère sociale (à moins que la NUPES tienne dans la durée et soit capable de damner le pion à l'extrême-droite).

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) et son président, Pierre-Louis Bras, ont jeté un joli, mais lourd, pavé dans la mare de la réforme macronienne des retraites, en estimant que la situation financière du système français n'était pas si dramatique que le proclamait le gouvernement, pour justifier sa réforme : "les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même, à très long terme, diminueront dans trois hypothèses" sur les quatre retenues par le COR, a affirmé Bras aux députés qui l'auditionnaient, et à qui il a donc confirmé ce qu'écrivait le COR dans son rapport annuel, publié en septembre. Les hypothèses de travail sur lesquelles il se basent reposent sur celle d'un taux moyen de chômage de 4,5 %. Une hypothèse certes optimiste, mais qui se trouve être celle du gouvernement lui-même... En outre, le COR observe qu'en 2021, le système de retraite a bouclé avec un excédent de 900 millions d'euros, et en 2022 de 3,7 millions, grâce à l'apport du budget de l'Etat et de la caisse de retraite complémentaire. Autrement dit : le régime de base peut être déficitaire (de 1,7 milliard en 2021, de 500 millions en 2022), le système global ne l'est pas puisque l'Etat l'équilibre. Et qu'en France, on est déjà sorti d'un pur système de répartition puisque plus du tiers des pensions est couvert par autre chose que par les cotisations (119 milliards sur 345)... et que ce système serait mieux financé par les cotisations s'il était remédié à l'inégalité salariale entre les femmes et les hommes (à poste égal, elle est de 22 % au détriment des premières).

En Suisse, une semaine après le navrant vote populaire, très majoritairement masculin (la grande majorité des femmes ont dit "non", comme d'ailleurs les personnes ne disposant que d'un bas salaires) relevant à 65 ans l'âge de la retraite des femmes, dans la manifestation lausannoise la colère qui en France s'exprime contre Macron et Borne s'exprimait contre Alain Berset :"de la part d'un ministre socialiste, c'est une honte de soutenir une mesure antisociale", résumait une militants de la Grève féministe. Et unpromettait : nous ferons de notre rage une force pour la Grève féministe du 14 juin. La coprésidente du PS, Mattea Meyer, se veut plus positive, ou du moins en donner l'impression : "nous attendons de la droite qu'elle tienne ses promesses pour améliorer la situation des femmes qui ont 50 ans aujourd'hui, un supplément de rente est nécessaire".

Cette "convergence des luttes" franco-suisse relevée, on saluera fraternellement les "Robins des bois" syndicalistes (les électriciens et gaziers CGT) qui, illégalement et le sachant et le revendiquant,  dans le cadre de la bataille contre la réforme des retraites, rétablissent l'électricité dans les foyers où elle a été coupée parce que les abonnés ne pouvaient plus la payer,  mettent les compteurs des boulangeries en tarif réduit pour les soustraire à l'explosion des tarifs et offrent gratuitement l'électricité à des crèches, des lycées, des hôpitaux, des piscines, des bibliothèques et d'autres établissements publics étranglés par la hausse des prix, et entendent poursuivre cette action méritoire (qui fait, ici, un peu envie). Le Shérif de Nottingham (Bruno Le Maire) est furax contre les Robins de Bois ? C'est logique. Chacun son rôle. En tout cas, à la fin, chez Walter Scott, c'est Robin qui gagne et le Shérif qui perd.

Commentaires

Articles les plus consultés