Après la débâcle du Crédit Suisse, quoi ?

Procrastiner, prier, espérer...

Les Chambres fédérales se réuniront en session extraordinaire du 11 au 14 avril, le Conseil des Etats en premier, pour débattre de la débâcle du Crédit Suisse. On sait déjà que tous les partis, tous les groupes, tous les camps auront quelque chose à dire et le diront -mais qu'un camp aura un peu plus de crédibilité que l'autre : la gauche, et en particulier (mais non exclusivement) le PS, puisque cela fait des lustres que dans ce camp là, de ce parti et ce groupe là, viennent des demande de régulation du secteur bancaire que la droite, jusqu'à dimanche dernier, refusait d'examiner sérieusement -la palme, le Cesar, le Quarz  du soutien aveugle aux banques revenant sans conteste au PLR. Pour autant, précisément parce qu'elle a beaucoup de positions, de décisions, de connivences à faire oublier, la droite ne sera pas en reste de discours, de protestations d'autonomie à l'égard des banques, de dénonciations des responsabilités individuelles des gestionnaires, et sans doute aussi de propositions procrastinatrices dont la fonction essentielle pourrait bien être de repousser le moment des décisions effectives, et douloureuses, le plus tard possible -autrement dit : après les élections fédérales de cet automne. En priant pour que se calment les colères et en espérant que quelques sacrifices propitiatoires y pourvoiront. Et qu'aucun autre secteur économique en difficulté ne trouve saumâtre qu'on se soit précipité pour sauver une banque et qu'on n'ait rien fait, ou pas grand'chose, pour lui.

"Tout changer pour que rien ne change"

Que propose, voire même exige, tout minoritaire qu'il soit (comme l'ensemble de la gauche) au parlement, le Parti socialiste ? Qu'on ne s'en tienne pas à la recherche de responsabilités individuelle dans la débâcle du Crédit Suisse. Il y en a, sans doute, mais si nombreuses, et si bien réparties (au Crédit Suisse, mais aussi à la FINMA, à la Banque Nationale, au Conseil fédéral, au parlement...) qu'elle finissent par dessiner une vraie responsabilité collective, et politique du fonctionnement même des deux grandes banques suisses, tel qu'elles l'ont elles-même défini, sans que ni la Banque nationale, ni l'autorité de surveillance (la FINMA), ni le Conseil fédéral n'y voient matière à intervenir. Ce fonctionnement a été celui du Crédit Suisse, mais aussi celui d'UBS. Il est celui de la place financière suisse. Il est celui d'un régulateur qui ne régule rien (et dont la présidente, le directeur et trois membres du Conseil d'administration sont des anciens... du Crédit Suisse) et d'une Banque nationale qui finit pas n'être plus que la banque des banques privées. Il est celui d'un secteur qui est le premier au monde dans la gestion de fortune -oligarques, trafiquants et mafiosi en tous genres le savent bien : UBS, c'était déjà la première banque mondiale de gestion de fortune avant d'avoir avalé le CS -elle le sera donc plus encore après l'avoir digéré -si elle y arrive.  UBS et le Crédit Suisse ensemble, ce sont 3400 milliards (de francs, de dollars, d'euros, peu importe) d'actifs sous gestion... et 5000 milliards d'actifs investis.

Le PS demande donc que les banques d'importance systémique, comme le CS et l'UBS, choisissent d'être actives comme banque de crédit ou banque d'investissement ou banque de gestion de fortune, mais pas partout et dans tout à la fois. Il demande aussi qu'un minimum de 20 % de fonds propres sont exigé des banques, que les bonus soient interdits aux directions, et plafonnés aux échelons intermédiaires et inférieurs. Ces exigences, qui après tout sont plus rooseveltiennes que socialistes (on ne demande même pas la nationalisation des banques), le PS les avait déjà formulées -mais elles avaient, évidemment, été repoussées par une majorité parlementaire aux ordres des banques. Elle avait d'ailleurs déjà, au moment où il s'était agi de sauver UBS, freiné des quatre fers pour empêcher toute régulation effective du système bancaire suisse. L'histoire se répète : à chaque fois que ce système dysfonctionne, on appelle l'Etat à la rescousse pour sauver une banque "too big to fail", puis on le congédie lorsqu'il pourrait s'agir d'un début de commencement de contrôle public. Et à la crise suivante, qui, inévitablement surviendra, sans qu'on se soit demandé pourquoi faire grossir encore une banque qu'on trouvait déjà trop grosse, on commence par expliquer qu'elle est due aux réseaux sociaux, à la guerre en Ukraine ou ailleurs, au réchauffement climatique ou à la grève de la voirie parisienne.

Quant à UBS, précisément, elle doit impérativement être redimensionnée : il n'est pas tenable qu'une banque privée ait le bilan le plus important au monde par rapport au PIB du pays supposé être le sien (celui de l'UBS+CS atteindrait le double du PIB suisse), et devienne "too big to be saved" parce que plus d'argent y est déposé que le pays ne produit de richesse en un an... A la fin du siècle défunt, plusieurs banques cantonales avaient payé par des crises, qu'elles avaient fait payer par les cantons, des pratiques aventureuses d'octroi de prêts, notamment hypothécaires : leur taille moyenne avaient permis leur sauvetage sans risque pour le sauveteur public, et la présence de représentants des collectivités publiques dans leurs conseils avait rendu possible un débat sur leur rôle, leurs responsabilités et celles de leurs dirigeants. Rien, encore, de tel ne s'annonce vraiment pour le futur mastodonte bancaire -too big to be contrelled, sans doute... mais pas trop gros pour échapper à un effondrement après l'éclatement d'une "bulle" spéculative...

D'ici là, c'est le principe de Tancrède Falconeri, le neveu du "Guépard", qui pourrait bien tenter la droite et le secteur bancaire : "tout changer pour que rien ne change". Sauf, évidemment, pour la dizaine de milliers d'employés d'UBS et du Crédit Suisse dont les postes seront supprimés, qui ne sont pour rien dans la déroute de leur entreprise mais à qui pas un centime n'est destiné des plus de 200 ou 250 milliards (on ne sait même plus) promis pour garantir l'absorption de la deuxième banque du pays par la première.


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