Bloquer la France pour bloquer la réforme de son système de retraite

La rue contre le Sénat ?

A l'appel des syndicats, soutenus (mais pas instrumentalisés) par les partis de gauche, c'est une véritable journée de blocage du pays contre la réforme Borne-Macron du système de retraites que la France devrait vivre demain, 17 Ventôse (journée de la doronie, et non de la macronie). Le projet gouvernemental, qui n'a pu ni être accepté, ni refusé, ni amendé à l'Assemblée nationale, du fait de la stratégie adoptée par l'opposition de gauche, est passé tel quel au Sénat, qui l'examine depuis quelques jours. Un terrain moins favorable que l'Assemblée nationale à l'opposition de gauche, mais pour autant, pas forcément acquis au gouvernement et au président. Même si nombre de sénateur ont déjà dépassé tant l'âge actuel de la retraite que celui proposé par l'Exécutif. De toute façon, ce n'est peut-être pas là que se jouera le sort de la réforme du système de retraite, mais plutôt dans la rue.

Le 7 mars en France, le 8 mars partout dans le monde, le 14 juin en Suisse, contre la résignation

Le moins que l'on puisse dire est que le terrain des réformes du système de retraite en France, pour ceux qui tentent de le réformer en dégradant ses prestations aux retraités, est un terrain politiquement miné : en 1995, le plan Juppé (suppression des régimes spéciaux de retraites) avait succombé aux manifestations -une défaite qui entraîna celle de la droite aux élections législatives et le retour de la gauche au gouvernement. En 2010, Nicolas Sarkozy arrivait à imposer le report de l'âge de la retraite à 62 ans, mais le payait par une défaite à la présidentielle de 2012. En 2013, son successeur, François Hollande, renonçait à revenir sur la réforme Sarkozy, sa ministre, Marisol Touraine, décidait de passer à 43 ans de cotisations pour une retraite à temps plein... et Hollande renonçait à se représenter en 2015, par certitude d'être battu. Sur quoi la gauche subissait une défaite à la présidentielle, face à Macron, puis aux législatives, et le Front National devenu Rassemblement national s'installait solidement dans le paysage politique. Aujourd'hui, il apparaît comme la principale opposition à la majorité minoritaire de Macron et de Borne, en ayant attiré à lui une part considérable de l'électorat le plus touché par les réformes successives du système de retraite -l'électorat de celles et ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt, touchent les salaires les plus bas et les retraites les plus modestes, ont connu une carrière discontinue avec des temps partiels, des interruptions, des périodes de chômage. Et devront travailler deux ans de plus pour toucher une retraite de 1200 euros par mois...

Le mouvement populaire, massif, contre la réforme française des retraites surprend, à l'étranger ("Le Monde" d'hier publie plusieurs contributions qui attestent de cette surprise), d'autant que ce mouvement est conduit, et contrôlé, par les syndicats, dans un pays où le taux de syndicalisation est plus bas qu'ailleurs, et les syndicats habituellement plus divisés. Depuis l'Espagne, où l'âge de la retraite est plus tardif (67 ans) qu'en France (62 ans) et le restera même si la réforme Macron-Borne est adoptée (64 ans), mais où la durée de cotisations pour bénéficier d'une retraite est plus courte (37 ans et demi) qu'en France (43 ans selon la réforme Macron-Borne), le politologue Guillermo Fernandez-Vasquez explique que si en France les syndicats "sont beaucoup plus enclins à déclencher des grèves et à entretenir des conflits à long terme" qu'ailleurs, c'est qu'"ils ont moins de pouvoir de négociation "institutionnelle" et, en même temps, une plus grande capacité de mobilisation dans les secteurs stratégiques" où ils sont "extrêmement puissants" alors qu'ils sont "particulièrement faibles" dans d'autres : ce dualisme de l'implantation syndicale française serait l'une des explications d'un recours plus systématique à la grève et à la mobilisation dans la rue, faute de bénéficier d'un rapport de force favorable dans des négociations collectives. A ces éléments d'analyse, Guillermo Fernandez-Vasquez en ajoute un autre : "la conviction que les détenteurs du pouvoir sont indifférents aux citoyens", et le fait que Macron ne propose pas d'"alternative" au "paradigme libéral", contrairement à ce que la gauche gouvernementale est capable de faire en Espagne et au Portugal, Macron, se contentant d'exprimer sa conviction  que "Dans l'ensemble, les gens savent qu'il faut travailler un peu plus longtemps, en moyenne, tous". "Les gens", demain, en France, seront dans la rue pour démentir le président...

En Suisse, ce sera mercredi, journée internationale des droits des femmes,  puis le 14 juin, journée de la grève féministe, qu'on pourra démentir, dans la rue, nos rues, la résignation aux contre-réformes projetées du système de retraite. Parce que toutes font des travailleuses leurs première victimes. Et que ces contre-réformes ne  sont finalement rendues effectives que si la mobilisation contre elles, dans la rue, comme en France, dans les urnes, comme en Suisse, ou mieux encore, dans la rue ET dans les urnes, est insuffisante.



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