Ein Geld, ein Staat, eine Bank
"Un monstre est né"
On résume : l'UBS rachète le Crédit Suisse pour trois milliards de francs en action UBS. C'est bien moins que ce qu'il valait : UBS "offre" aux actionnaires du Crédit Suisse une action UBS pour 22,48 actions CS détenues, ce qui correspond à 76 centimes par titre, moins de la moitié de la valeur de l'action CS à la clôture de vendredi (elle avait plongé à moins d'un franc septante mercredi). Pour faciliter l'opération (on n'a pas dit l'arnaque, mais on l'a pensé très fort), qu'on s'est dépêchés de lancer avant l'ouverture des banques asiatiques, à une heure du matin en Suisse, la Banque nationale la soutient par une aide en liquidités de cent milliards, la Confédération par une garantie de neuf milliards. Et tout cela avec les félicitations de l'autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, la FINMA, qui n'avait pas surveillé grand'chose des choix foireux du Crédit Suisse. Et avec en prime les félicitations de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde. Et le déni de la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter : «Ce n'est pas une opération de sauvetage par l'État, mais une reprise privée». En tout, en comptant ce qui avait déjà été accordé et ce qui pourrait encore l'être, ce sont potentiellement 250 milliards qui auront été mobilisés pour sauver le système bancaire suisse en sacrifiant l'une de ses deux têtes. C'est quatre fois le budget de la Confédération. Et tout cela sans consulter les actionnaires du Crédit Suisse ni ceux d'UBS, et en usant du "droit de nécessité" qui permet au Conseil fédéral de créer une base légale qui entre en force pour six mois sans passer par le parlement. Ni par le peuple, qui n'a rien à dire -et qui ne va pas la jouer "à la française" et descendre dans la rue face à cet équivalent suisse du "49.3"... En tout cas, on dira, comme l'appel lancé par le PS (https://www.sp-ps.ch/fr/campagne/appel-cs/) : "plus jamais ça !"
Il y a paraît-il des banques "too big to fail" ? Il y en a aussi "too big to be help"...Un cygne
            convalescent s'est goinfré un canard boîteux : UBS a absorbé
            le Crédit Suisse, avec la bénédiction de la Banque
            Nationale, de l'autorité de régulation (la FINMA) et du
            Conseil fédéral. Il y avait le feu au lac : 110 milliards de
            francs avaient été retirée de la banque au quatrième
            trimestre 2022, dix milliards par jour la semaine dernière. 
          "Jusqu'alors, les banques suisses étaient
        synonymes de risque zéro. On leur faisait confiance les yeux
        fermés. Avec les difficultés de Crédit Suisse, cette notion n'a
        plus lieu d'être, et c'est en soi un vrai tournant", résume "un
        analyste financier genevois qui préfère garder l'anonymat" (et
        qui fait bien) cité par "Le Monde". 
      
Voilà : il y avait la semaine dernière deux grandes banques "universelles" en Suisse, figurant dans les 15 principales du monde, il n'en restera bientôt (dans quelques mois, le Crédit Suisse continuant à fonctionner pendant son dépeçage) plus qu'une.."Un monstre est né", titre la NZZ. Reste à savoir de qui, et de quoi, il est né. Et comment. Et qui pourra le contrôler. Sera-t-il seulement contrôlable ? Et si ce monstre devait, à nouveau, devoir être sauvé en fonction du principe, fort contestable, qu'il serait "too big to fail", qui pourra le sauver, puisqu'il n'aura plus de concurrent suisse (la commission de la concurrence n'ayant pas plus été consultée que le parlement) ? La Banque nationale et les caisses fédérales, à nouveau ? Un investisseur étranger ? les Chinois ? la Banque Alternative ? Quand il ne restera plus qu'une seule banque suisse de taille internationale, elle représentera forcément un risque plus grand pour la Suisse que l'une ou l'autre des deux banques existant encore depuis la fusion d'UBS et de la SBS, il y a vingt-cinq ans. «Tout le système financier est malade et absurde» résume le co-président du PS, Cedric Wermuth. Et ce sont les qualificatifs les plus bienveillants qui viennent à l'esprit : plutôt que "malade", nous aurions dit "nuisible". Et plutôt qu'"absurde", peut-être "criminel".
A  droite on pleure, avant de respirer de
        soulagement : le président du parti de la place financière, le
        PLR, parle d'une «journée noire pour la place financière suisse
        et pour la Suisse dans son ensemble». Et surtout pour la
        crédibilité de ses défenseurs patentés ? Non, cela, le PLR ne le
        dit pas -et sans doute ne le pense-t-il même pas. Le Conseiller
        national PLR Olivier Feller a "honte" ? ça lui passera : lui et
        les siens, les défenseurs patentés des banques, sont finalement
        contents de la solution, qui sauve les meubles -les leurs :  «la
        meilleure des mauvaises solutions» selon le Centre, a permis,
        selon le PLR  « d’éviter un effet domino aux conséquences
        imprévisibles». L'UDC Ernst Stocker se félicite de ce qu'on soit
        allé dans le sens de la stabilité des marchés financiers et de
        la place économique". Et pas dans celui d'une nationalisation,
        qui semble avoir été envisagée. Ni à une division de la banque
        en entités différentes, pour pouvoir en laisser tomber une sans
        trop de dommages. Ni à la création d'une structure dans laquelle
        on balancerait tous les actifs "toxiques" (à risques), les faire
        racheter par la Confédération puis vendre par la Banque
        nationale. Quant aux responsabilités de cette cacade, elles
        sont, nous assure-t-on à droite, à chercher du côté du
        management, surtout pas de celui du système : "c'est le
        management qui a failli", pas besoin d'aller chercher plus loin
        : du côté de la Banque nationale et de l'autorité de régulation,
        par exemple, que les pertes de la banque depuis sept ou huit
        ans, jusqu'aux sept milliards perdus en 2022, ni ses relations
        avec la mafia bulgare (pour lesquelles elle fut la première
        grande banque suisse à être condamnée en Suisse), ni la
        corruption autour de prêts au Mozambique (qui lui a valu une
        amende de 475 millions de dollars), ni les deux milliards et
        demi de dollars d'amende à payer aux USA pour avoir incité des
        clients à frauder le fisc, n'ont pas empêcher de dormir. Ni
        d'endormir.
    
A gauche, en revanche, on tempête, et on
        s'inquiète : on rappelle d'abord que si les clients du CS sont
        protégés, tel n'est pas forcément le cas des actionnaires et des
        créanciers obligataires. Le coprésident
        du PS Cédric Wermuth s’est dit «frustré et en colère». «Rien n’a
        changé depuis 2008, rien du tout! Tout le système financier est
        malade et absurde», a-t-il dénoncé sur Twitter: «Les grands s’en
        tirent à bon compte», ajoute-t-il, critiquant «une gifle pour
        tous les citoyens», et les responsables de la débâcle de Crédit
        Suisse doivent rendre des comptes. Oui, mais qui sont-ils ? les
        dirigeants du Crédit Suisse ? Ils n'auraient rien pu (mal)faire
        sans qu'on les laisse le faire. Qui, "on" ? la Banque nationale,
        la FINMA, le Conseil fédéral. La droite essaie de circonscrire
        les responsabilités à celles de quelques managers aux décisions
        "fatales" -mais le système bancaire lui-même n'a pas à être
        remis en cause, les actionnaires du Crédit Suisse, comme la
        Banque nationale saoudienne, ne peuvent être tenus de la
        renflouer, le contrôle public des banques n'a pas à être
        renforcé...  et aucun enseignement n'a réellement été tiré de
        l'épisode de 2008, où c'est l'UBS qu'il avait fallu renflouer à
        coups de milliards de fonds publics. Le président des Verts se
        demande si l'absorption du CS par UBS ne représente pas  «un risque encore plus grand à l’avenir» pour la place
        financière helvétique. Et l'Union Syndicale Suisse, dans son
        rôle, s'inquiète des effets de l'opération sur l'emploi,
        soutient l’Association suisse des employés de banque et demande
        la mise en place rapide d’une taskforce et d'un plan social :  sur les 17'000 employés du Crédit Suisse, entre 8000
        et 10'000 verraient leur poste de travail supprimé. Et comme les
        postes de travail maintenus feraient souvent double emploi avec
        des postes de travail d'UBS, des milliers d'employés d'UBS sont
        aussi sur un siège éjectable. Et on ne compte pas les emplois
        menacés chez les fournisseurs et les sous-traitants. 
      
La fin du Crédit Suisse ne sera sans doute pas,
        hélas, celle du système bancaire suisse, non en tant que système
        bancaire mais tel qu'il a été construit, et tel qu'il a été
        soutenu, défendu, représenté par la droite libérale (aujourd'hui
        le PLR et le Centre, aujourd'hui). Le Crédit Suisse a sans doute
        été victime de ses dirigeants, mais ces dirigeants n'ont jamais
        été que ceux que cette grande banque méritait, que l'autre
        grande banque aurait mérité aussi. Elle (UBS, donc) s'est
        d'ailleurs elle aussi trouvée à deux doigts de subir ce que le
        Crédit Suisse subit aujourd'hui, et a elle aussi eu besoin d'un
        soutien massif, financier et politique pour s'en sortir -un
        soutien qu'elle a, évidemment obtenu. Il y a paraît-il des
        banques "too big to fail" ? Il y en a aussi "too big to be help"...
        
      
Après les faillites bancaires aux USA, Joe Biden a
        promis : "je suis fermement engagé à faire rendre des comptes
        aux responsables de ce foutoir". Belle promesse, à laquelle on
        n'ajoutera qu'une foi prudente -mais qu'on aurait quand même
        voulu l'entendre en Suisse de sources plus crédibles que celles
        de porte-paroles de forces politiques (le PLR, le Centre) qui,
        précisément, sont d'entre les "responsables de ce foutoir" à
        force d'entretenir des liens avec les dirigeants des grandes
        banques et d'en avoir aveuglément défendu la quasi impunité au
        nom de la "liberté économique" et de la "prospérité de la
        Suisse", lorsque les socialistes proposaient d'imposer aux
        banques "systémiques" comme le PS qu'elles aient au moins 20 %
        de vrais fonds propres et que les bonus de leurs dirigeants
        soient interdits -mais quand une banque pèse plus,
        financièrement, qu'un Etat, qui des deux croyez-vous pouvoir
        dicter sa loi à l'autre ? 
      
Au cas où ça vous aurait échappé, ce sont les mêmes qui se précipitent pour sauver à coup de dizaines de milliards une banque qui, après tout, n'a jamais fait que ce qu'ils admettent qu'une banque puisse faire, et qui expliquent qu'on ne peut ni indexer les rentes AVS, ni en verser une treizième, parce que les comptes de l'AVS risquent d'être déficitaires de deux milliards... Les bon vieux gnomes de Zurich que dénonçait Jean Ziegler il y a bientôt cinquante ans ont besoin des trolls de Berne.



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