Genève : on vote trois semaines avant d'élire

Décider plutôt que déléguer...

A Genève, on vote ce week-end et on élira dans trois semaines. On vote lors de scrutins communaux et d'un scrutin cantonal, on élira le Grand Conseil et le Conseil d'Etat de la République. Et cette proximité de votations et d'élections permet de distinguer les deux modes de prononcements populaires : sur des propositions (de lois, d'articles constitutionnels, de règlements, de plans localisés de quartier) et pour des candidatures (de députés, de Conseillers d'Etat. Cette distinction est importante -essentielle, même, parce qu'elle est la distinction entre la démocratie représentative et la démocratie directe -c'est la conjonction des deux qui fait de la démocratie dans ce pays une démocratie "semi-directe", représentative puisqu'on y élit des parlements et des gouvernements, directe puisque le peuple prend lui-même des décisions que les parlementaires et les gouvernants ne seront là que pour les exécuter. Le vote est une décision, l'élection une délégation. Et la décision vaut plus que la délégation. Commencez donc par voter, si vous ne l'avez pas encore fait (il ne vous reste que dimanche matin, au local de vote, pour le faire). Et dimanche, ce sera facile, vous pourrez être d'une positivité réjouissante : on vous recommande de répondre "oui" à tous les projets qui vous sont proposés... Ainsi en aurez-vous décidé vous-même, de ces projets...

Un pouvoir politique ne se délègue qu'en se perdant

Toute prétention de certains d'être l"représentant du peuple" (ou de la nation) est exorbitante : aucun.e élu.e ne peut (surtout dans une élection à la proportionnelle) prétendre représenter plus que celles et ceux qui l'ont élu.e et qui, à Genève, sont minoritaires : la majorité du corps électoral s'abstiendra dimanche et le 2 avril, et la majorité de la population du canton ne dispose  ni du droit de vote, ni du droit d'élire. Et on peut donc en revenir à notre vieux camarade (et Citoyen de Genève) Jean-Jacques, qui écrivait "La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même ou elle est autre : il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle; ce n'est pas une loi". Et c'est toute la légitimité du droit de référendum populaire (de référendum d'initiative populaire, comme disent nos voisins français, qui nous le jalousent quelque peu) que de donner la possibilité aux citoyennes et citoyennes actifs (ceux qui disposent des droits politiques et consentent à s'en servir) de rappeler à celles et ceux qu'ils ont élus (dans les conseils et les exécutifs municipaux, les parlements et les gouvernements cantonaux et dans le parlement  fédéral) qu'ils ne sont là que pour faire ce que le corps électoral (notre bon vieux Conseil général...) accepte qu'ils fassent.

Au surplus, cette soumission des décisions des parlements à la censure possible du peuple oblige les partis politiques, les camps politiques, les acteurs politiques, à les expliquer, ces décisions. A en rendre compte. A les justifier. Et le plus idiot des référendums (celui de l'UDC contre la réglementation d'accès aux piscines municipales genevoises, par exemple), ou le plus inutile (celui de la droite municipale genevoise contre la mise en œuvre de l'initiative "Zéro Pub") donnera donc toujours au résultat de la votation cette légitimité excédant celle d'une élection : la légitimité d'une décision démocratique prise par les citoyennes et les citoyens, et non la délégation de la capacité de décider. Comment pourrions-nous d'ailleurs reprocher à nos adversaires politiques d'user d'un droit dont nous usons nous-même sans autre restriction que celle de nos moyens, parce que nous le savons fondateur de la démocratie, au sens étymologique autant que politique du terme ?

Reste que ce droit, pour être réellement ce qu'il peut être, la manifestation de la "souveraineté du peuple", doit être élargi. Parce qu'il est un droit populaire, il doit être un droit de la majorité du peuple. C'est le cas dans les communes genevoises, puisque les étrangers et les étrangères y disposent du droit de vote (et d'élection), du droit de signer des référendums et des initiatives. Mais tel n'est pas le cas au niveau cantonal : le droit de vote, d'élection, de référendum, d'initiative, est lié à la nationalité suisse. Résultat : la majorité du peuple genevois est privée des droits politiques, si on admet que le peuple n'est pas une catégorie juridique mais une catégorie politique, sociale, démographique -qu'il est l'ensemble de celles et ceux qui, précisément, sont "ici" mais sans forcément être "d'ici". Et dont la majorité pourra voter (ou s'abstenir) dans sa commune dimanche, mais pas dans son canton.

De sorte que celles et ceux qui, au soir de l'élection du Grand Conseil, se draperont dans la toge de représentants du peuple après avoir été élus au Grand Conseil (et nous courons le risque d'être de ceux là), ne seront que les représentants de la minorité (leurs électeurs) d'une minorité (le corps électoral actif) d'une minorité (le corps électoral). 

C'est déjà ça. Mais ce n'est que cela.


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