Macron a parlé. Pour ne rien dire qu'il n'avait déjà dit.

 

L'impopulaire de rien

Lundi, la Première ministre Elisabeth Borne échappait, pour neuf voix, à une motion de censure. Mercredi, le Président Emannuel Macron parlait dans le poste. A une heure de l'après-midi, à l'heure où à peu près seule la France profonde des retraités des campagnes regarde le journal télévisé, pour l'entendre dire ce qu'on l'avait déjà entendu dire. Et aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes dans toute la France sont descendues dans la rue pour dénoncer à la fois la réforme Macron-Borne des retraites, l'usage du dispositif de l'art. 49.3 de la constitution française pour la faire passer, cette réforme, et le refus de Macron d'y renoncer après l'échec des deux motions de censure déposées à l'Assemblée Nationale, dont l'une, déposée par un petit groupe centriste dont seul les observateurs attentifs de la scène parlementaire française connaissaient l'existence, n'a été repoussée qu'à neuf voix de majorité (l'autre, déposée par le Rassemblement national, a été massivement repoussée), et avait été soutenue par toute l'opposition de gauche, d'extrême-droite et par un tiers de la droite démocratique. Elle était la réponse, constitutionnelle, à l'usage, constitutionnel, du fameux article 49.3 qui permet de faire passer un texte sans le soumettre au vote du parlement. Tout est légal, donc. Mais habile, certainement pas. Et, pour nombre de Français et de Françaises, politiquement et socialement illégitime. Macron dit assumer son impopularité -que pourrait-il faire d'autre ? Il fait même plus : son impopularité, il l'entretient, comme si, pour lui, elle était la mesure de sa stature d'homme d'Etat...

Il l'a, Macron, sa "République en marche". En marche contre lui, son gouvernement et son projet.

Macron l'affirme sur l'air de la vieille chanson de Piaf  : "Non, rien de rien, je ne regrette rien", ni l'usage du 49.3 pour faire passer le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans, ni son refus de tenir compte de l'opposition d'une majorité de l'opinion (selon les sondages) et, plus matériellement, de centaines de milliers de manifestants et de dizaines de milliers de grévistes, à cette réforme, dont il assure (imprudemment, puisque le Conseil constitutionnel a été saisi et qu'un référendum d'initiative partagée a été lancé -il doit recueillir 4,87 millions de signatures en neuf mois) qu'elle sera "appliquée avant la fin de l'année". Il refuse de dissoudre l'assemblée nationale et de procéder à de nouvelles élections législatives (il est vrai que son camp y est donné perdant), de remanier le gouvernement, de changer de Premier(e) ministre, de soumettre sa réforme au référendum. Il répète à l'envi que sa réforme était nécessaire, et ajoute que la seule chose qu'il regrette est de n'en avoir pas convaincu ceux qui n'en étaient pas déjà convaincus (comme l'est depuis longtemps la droite démocratique, laminée par les dernières élections et réduite à l'Assemblée nationale à son plus bas niveau historique, et dont une part a voté la motion de censure d'un gouvernement qui sur ce point (et quelques autres) concrétisait faisait ce qu'elle disait qu'il fallait faire...). Le gouvernement n'a plus vraiment de majorité parlementaire ? Macron annonce que désormais, ses projets ne seront plus contenus dans des lois, et ne seront donc plus soumis au parlement, mais passeront par décrets ou ordonnances. Autant dire que toutes les "grandes réformes" qu'il se faisait fort d'impulser, il ne restera plus rien, à la première alerte d'un danger de refus par le parlement.

"Entre les sondages et l'intérêt général du pays, je choisis l'intérêt général du pays", plastronne le président. Il peut être fier :  il l'a, sa "République en marche". Mais contre lui, et son gouvernement. L'intersyndicale, elle, continue à mobiliser contre le report de l'âge de la retraite, mais dans la rue, pacifiquement ou non (des affrontements ont éclaté un peu partout hier), on n'en est plus là. Ce n'est plus contre la réforme du système de retraite, et le report d'un an de l'âge y donnant pleinement droit, que se mobilisent des centaines de milliers de Français, mais contre tout ce que symbolise, manifeste, assume leur président et leur gouvernement -"leur" étant ici une facilité d'écriture, tant ce président et ce gouvernement leur sont désormais, du moins aux trois quarts d'entre elles et eux, étrangers. "Le gouvernement est d'ores et déjà mort aux yeux des Français", proclame la cheffe du groupe parlementaire de la France Insoumise, la Première ministre dénonçant, elle, l'"antiparlementarisme" des oppositions -elle doit cependant savoir que l'antiparlementarisme est bien une tradition française. Et que quand Jean-Luc Mélenchon en appelle à la "censure populaire" après l'échec de la censure parlementaire, il s'inscrit bien dans cette tradition, pourtant plutôt de droite, voire d'extrême-droite. 

En face, Macron insiste : "la rue n'a pas de légitimité face au peuple qui s'exprime, souverain, à travers ses élus". Et ne doit s'exprimer que comme cela, quand il y est convoqué.  Etrange "souverain" qu'on voudrait condamner au mutisme entre deux élections, en attendant la prochaine. Comme si le peuple français n'avait pas l'habitude de la prendre, la parole quand on ne la lui donne pas. Comme si la République ne naissait pas "de la rue"... comme si c'était, pour un président et un gouvernement, déchoir que d'en appeler au peuple dans une démocratie... et surprenant de le voir et l'entendre prendre, d'une manière ou d'une autre, la parole qu'on lui refuse...


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