A propos des "Uber Files" et de l'installation d'Uber à Genève

 Au début de l'année, des «Uber files» montraient comment l'application califor-nienne Uber avait implanté son modèle en violation du droit suisse et de celui de plusieurs autres pays. A Genève, l'entreprise avait perdu son autorisation d'exercer, mais Pierre Maudet, alors Conseiller d'Etat en charge du dossier, lui permettait de poursuivre ses activités, tout en faisant mine de le lui interdire. Trois dirigeants d'Uber l'avaient rencontré en mai 2015, et témoignaient de ce qu'il «se soucie peu que nous continuions». Uber s'était installée à Genève en 2014, dans un canton dont la loi sur les taxis et véhicules avec chauffeur est la plus restrictive de Suisse, et où elle se savait illégale Selon la loi, seules les centrales d'appel de taxis ou les ent-reprises de transports autorisées par le canton peuvent y opérer -or Uber n'est ni une centrale d'appel, ni une entreprise de transport, mais une entreprise de service qui propose une application à des chauffeurs qu'elle présente comme des indépendants. Elle en déduisait qu'elle n'avait pas besoin d'autorisation officielle ni de payer des cotisa-tions sociales pour ses chauffeurs. Le Secrétaire général du département de Maudet, Patrick Baud-Lavigne, lui confirme qu'elle a tort et lui demande de suspendre son service. Le directeur genevois d'Uber s'agace qu'on lui demande de respecter la loi, mais le service du commerce,  en mars 2015, interdit à Uber d'exer-cer son activité. Uber n'en décide pas moins de continuer de fonctionner et fait recours contre son interdiction pour gagner du temps. Un temps mis à profit pour négocier avec Maudet., qui, côté pile se présente comme un défenseur de la loi et côté face comme un admirateur des nouvelles formes d'entreprises genre Uber. Et va donc prendre la posture de celui qui, reconnaissant qu'Uber est dans l'illégalité, veut lui faire cesser ses activités, et de l'autre annonce qu'il prépare une nouvelle loi sur les taxis qui permettrait à Uber d'opérer légalement. Le 6 mai 2015, les dirigeants d'Uber et Maudet se rencontrent dans les bureaux du second. Dont les premiers sortent après une heure et demie, tout contents: «nous avons construit une relation de confiance» et conclu un «deal»: au prix de quelques concessions symboliques (ne plus faire travailler des chauffeurs de taxis officiels ni des chauffeurs non professionnels), Uber pourra continuer à fonctionner à Genève, et Maudet promet aux taxis qu'il fait tout ce qu'il peut pour l'arrêter... sauf que le 22 mai, la Justice genevoise met les pieds dans le plat et confirme l'interdiction d'Uber. Qui n'en a rien à secouer, puisque «Maudet n'a clairement pas envie de nous interdire». Uber va donc non seulement continuer à fonctionner (le Département de Maudet l'adoube comme «conforme à la loi sur les taxis» qui entre en vigueur en juillet 2015, et permet de ne plus avoir besoin d'une autorisation pour exploiter une centrale de taxis ou une société de transport: il suffit désormais de s'annoncer. Sauf que pour Uber et Maudet, les emmerdements vont voler en escadrille : plombé par son voyage à Abu Dabi, Maudet doit d'abord lâcher le dossier des transports, puis démissionner du Conseil d'Etat, et échoue à y revenir. Sa loi sur les taxis sombre à son tour, remplacée par un nouveau texte qui rétablit l'exigence d'une autorisation pour exploiter un service de chauffeur à Genève. Quant à Uber, l'héritier du dossier, Mauro Poggia, l'interdit à nouveau, le Tribunal fédéral confirme l'interdiction, et Uber doit cesser d'opérer à Genève, le temps de payer 35,4 millions de francs de cotisations sociales non versées (au 31 mars, elle n'a payé que 10,7 millions, soit la part employés des cotisations sociales, et doit encore payer la part employeur), et seule une minorité des chauffeurs (627 sur 1800) ont été indemnisés. C'est la première indemnisation collective de chauffeurs d'Uber en Suisse, mais elle reste insuffisante et ne couvre même pas les frais professionnels des chauffeurs qui les touchent -sans parler de ceux qui n'ont rien touché.

Fin de l'histoire ? Ben non. D'une part, si Uber a obtenu une autorisation de reprendre ses activités, le SIT considère que l'autorisation n'aurait pas dû lui en être donnée. Et le Tribunal fédéral a confirmé  que les chauffeurs d'Uber étaient bien dépendants d'Uber, et qu'Uber devait bien payer les cotisations sociales au titre d'employeur. Quant à Maudet, il s'est lui même ubérisé, et est à nouveau candidat au Conseil d'Etat mais c'est plus notre problème, c'est celui de la droite -après tout, c'est son enfant, pas le nôtre, alors qu'elle se démerde avec.

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