Genève : la mort en prison, encore une fois

 

Le trou noir de la République

Samedi, un jeune Tunisien s'est pendu dans sa cellule de la prison de Favra, à Genève. Il venait d'apprendre qu'il allait être renvoyé de Suisse. C'est le troisième suicide dans une prison genevoise depuis le début de l'année. Des associations demandent la fermeture de la prison de Favra. Elles ont raison, d'autant que cette fermeture est demandée depuis 2020 par une commission fédérale -mais ce ne serait qu'une mesure d'urgence, et fermer cette prison pour la remplacer par une autre à laquelle la même fonction serait attribuée serait pérenniser un usage condamnable de la prison, comme instrument de gestion de la politique migratoire. Les immigrants illégaux n'ont rien à faire en prison. Ils n'ont pas à y être conduits vivants, ils n'ont pas à en sortir morts. La prison, c'est le trou noir de la République. Aucun des grands discours humanistes, solidaires, inclusifs, qu'on peut tenir au-dehors n'en ressort une fois qu'elle les a aspirés.

Vendredi 5 mai se tiendront à Genève des "Rencontres critiques de l'enfermement" : une journée d'étude et une table-ronde (le programme complet de la journée est disponible sur https://infoprisons.ch/wp-content/uploads/2023/04/RCE_FLYER-.pdf). La table-ronde porte comme titre :" Les prisons suisses: de la critique à l’abolition". Reste à faire de ce titre soit aussi un programme politique, au moins dans un canton qui va élire dans moins de troisième son nouveau, ou sa nouvelle, ministre des prisons, succédant à Mauro Poggia, qui avait lui-même succédé à Pierre Maudet...

La prison tue ? tuons la prison !

Que la prison serve de silo de stockage des immigrants réputés illégaux est déjà, en soi, inadmissible : ils n'ont commis d'autre délit que celui de vouloir vivre ici, dans ce paradis de la démocratie, de la prospérité et des droits humains. Ils ne menacent personne, ne sont pas même dangereux pour l'"ordre public", ils ne sont qu'indésirables. Leur détention renvoie à des pratiques anciennes, d'internement des pauvres, des vagabonds, des "femmes de mauvaise vie": ils sont en prison non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont.

Le 10 mars 2021, le Tribunal fédéral rendait un arrêt, publié le 10 avril, annulant la condamnation (et dont l'incarcération) d'un ressortissant algérien  pour rupture de ban, et ordonnait sa libération et son indemnisation, et cette décision du TF faisait jurisprudence : désormais, la rupture de ban (c'est-à-dire le choix d'une personne interdite de séjour et ne se conformant pas à cette interdiction) ne pouvait plus donner lieu à une peine de prison, sauf si le comportement de l'intéressé avait empêché l'exécution d'une procédure de renvoi ayant respecté toutes les conditions légales d'une expulsion. Or d'entre ces conditions, il y a, pour les autorités, celle d'avoir entrepris toutes les mesures raisonnables autres que la détention. Ce sont, potentiellement, des dizaines de détenus pour rupture de ban qui auraient dû être libérés, comme trois d'entre eux le furent à Genève, où, en 2020, 148 personnes avaient été condamnées pour rupture de ban (et une vingtaine dans le canton de Vaud). La prison n'aurait donc plus été  un instrument de gestion de l'immigration illégale... sauf que le naturel xénophobe et les petits calculs politiciens revenant au galop,  les Chambres fédérales ont modifié la loi sur les étrangers pour permettre la sanction, sans limitation, de l'irrespect d'une expulsion judiciaire...

Ainsi la prison est restée ce qu'elle ne devrait plus être : plus seulement l'institution foucaldienne de surveillance et de punition, mais une sorte de silo dans lequel on stocke, pour un temps, toutes les marges et toutes les précarités. Pendant ce temps, elles sortent de cette marge et de cette précarité -mais y retombent dès qu'elles remettent les pieds dehors. La prison devient une sorte de parenthèse de prise en charge entre deux précarités ou deux marginalités : celle qui y amène et celle dans laquelle on retombe quand on en sort. Quand on en sort vivant. A Genève, depuis le début de l'année, trois jeunes hommes n'en sont sortis que parce qu'ils s'y sont tués.

La prison tue ? tuons la prison !


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