L'urbanisme, au service de qui ?

Le 12 mars, le corps électoral de la Ville de Genève a accepté le plan localisé de quartier "Bourgogne", aux Charmilles. Ce n'était pas pas gagné d'avance, pas plus là qu'ailleurs : refus sur référendums de projets de densification, mobilisations populaires pour un autre modèle de développement urbain, pour d'autres modes de se déplacer, pour plus d'arbres : les premières décennies du XXIe siècle ressemblent comme des soeurs aux dernières décennies du XXe siècle. Et remettent en cause les mêmes certitudes héritées des "trente glorieuses" : toujours plus de routes et d'autoroutes pour l'automobile-reine, toujours moins de transports publics (et pour ceux qui restent, des bus à la place des trams)... dans le même temps, la métropolisation du plateau suisse se poursuit à vive allure, autour de Genève, de Lausanne, de Berne, de Bâle, de Zurich, les territoires ruraux et montagnards deviennent suburbains, on créée plus d'emploi qu'on ne dispose de population active résidente... et on est rattrapés par la crise climatique. Il y a donc, dans le moment présent, largement de quoi nourrir une réflexion de fond pour un autre urbanisme. En commençant par se poser la question, précisément fondamentale : l'urbanisme est-il au service de la population ou de l'"économie" ?

Calibrer la société à la croissance ou la croissance aux besoins, aux droits et aux libertés ?

Pour la votation populaire municipale du 12 mars, une large alliance politique, du PLR à "Ensemble à Gauche" en passant par le Centre, les Verts, le PS et les Verts libéraux, appelait à approuver ce qu'elle présentait comme une "densification heureuse", relevant à la fois le défi de la construction de logements dans un contexte de pénurie, d'offre de logements d'utilité publique et celui de la création d'un parc public (plutôt que le maintien de jardins privatifs). Dans un appel à soutenir le PLQ "Bourgogne", les co-présidents de la Commission cantonale d'urbanisme, Marcellin Barthassat et Didier Prod'hom, résument l'enjeu : "Construire en ville, avec une habitabilité et un coeur de Cité où l'on devrait pouvoir se loger, se former et se distraire. Il s'agit de mettre fin à l'adage "metro, boulot, dodo" sur lequel s'est déployé une culture du "zoning" séparant ces fonctions". Ce projet, c'est aussi celui de la "ville du quart d'heure", celle où, en un quart d'heure de marche, de vélo ou de transports publics, on trouve tout ce dont on a besoin ou envie, du supermarché et de l'épicerie au cinéma, à la librairie et à la salle de concert. Et c'est enfin, par la densification (mais une densification "heureuse" et "intelligente"), l'alternative à l'extension de la ville. La densification, ce n'est pas le mal : les Eaux-Vives, Plainpalais, les Pâquis, sont denses -et vivants.

"Il y a un malaise sur le développement" de Genève, avait reconnu, sans effort (tant il est évident, ce malaise) Antonio Hodgers, avant d'ouvrir les "rencontres du développement" organisées du 24 au 28 septembre  par son Département du territoire. Un "malaise sur le développement" qui est aussi un malaise sur la mobilité, la démographie, l'économie, l'environnement. Car, évidemment, tout est lié : si la population de la Ville, du canton et, surtout de la région (la "Grande Genève") augmente, c'est parce que le développement économique provoque cet accroissement démographique, et avec lui des besoins accrus en infrastructures, en logements, en espaces publics : si on ne répond pas à ces besoins, on se condamne à repousser la population active en France ou dans le canton de Vaud : il y a à Genève 100'000 emplois de plus que de personnes résidentes capables de les occuper...   On est bien dans un choix de société : calibrer la société à la croissance (projet de droite -projet de la droite coalisée pour l'élection du gouvernement cantonal), ou la croissance aux besoins sociaux et aux droits et libertés des gens (projet de gauche -projet de la gauche unie pour la même élection) ?

"Nous devons être capables de créer ensemble des quartiers poétiques, de proposer de l'enchantement à la ville, des choses inattendues. Nous n'osons pas encore le faire" (Robert Cramer,"Interface" décembre 2020). Or cela pourrait se faire pour ainsi dire tout seul : le plus mal conçu des quartiers , quand ses habitants se l'approprient, et l'enchantent, finit par receler de la poésie, des "choses inattendues"...

"Un jour devant nos yeux
Surgira le vrai visage
de cette ville"
(Grisélidis Réal)

Commentaires

Articles les plus consultés