Retour sur les affres de la "gauche de la gauche" genevoise
"combative", certes, mais contre qui ?
Avant de reprendre le fil des choses sérieuses (le deuxième tour de l'élection du Conseil d'Etat genevois, avec un clair affrontement de toute la gauche et de toute la droite, alliée du "Centre" à l'UDC, on en termine provisoirement avec les retombées de l'élection du Grand Conseil, où la gauche ne sera plus représentée que par le PS et les Verts. Pourtant, toutes les listes de gauche étaient apparentées entre elles pour l'élection du Grand Conseil. Et quand on dit "toutes", c'était vraiment toutes. Pas seulement le PS et les Verts, mais aussi les deux listes d'Ensemble mais séparément à gauche : le canal historique (solidaritéS, DAL, Parti du Travail) et le canal dissident, dit "Liste d'unité populaire", qui se présente tout de même sous une étiquette revendiquant son appartenance à Ensemble à Gauche alors que les autres composantes d'EàG lui dénient ce droit. Donc, on était tous apparentés. Comme dans une belle famille. recomposée, d'accord, mais famille quand même. On était dans le symbole, et c'est important, les symboles, en politique. Elle s'en nourrit, de symboles, la politique. Surtout à gauche, d'ailleurs : la rose du PS, le bonnet phrygien du Parti du Travail, tout ça. Et puis, être tous apparentés à gauche, ça donnait quand même une meilleure image que la dispersion façon puzzle de la droite... Une image, rien qu'une image... Le quorum de 7 % a été fatal à une partie gauche de la gauche, dont la division, outre qu'elle lui a fermé les portes du parlement, a coûté à toute la gauche cinq des sièges qu'occupaient, ensemble, les représentants de la liste d'Ensemble à Gauche et ceux de l'"Unité populaire". Cette gauche là s'autoproclame "gauche combative" -mais qui combat-elle, sinon elle même ?
Deux ans pour se reconstruire et se rassembler, cinq ans pour résister
On s'était (difficilement) retenu d'en appeler à
un vote utile pour nous autres, sociaux-traîtres, plutôt que de
voter pour des prunes -pour des listes concurrentes l'une de
l'autre qui, en divisant leur électorat allaient rester
en-dessous du quorum : les milliers d'électrices et d'électeurs
qui ont voté pour elles ne seront pas représentés, et le système
électoral a fait cadeau de la majorité de leurs sièges aux
groupes de droite (PLR, UDC, MCG, Maudet) -et du reste au PS et
aux Verts. Pourtant, ensemble, les deux listes de la gauche de
la gauche ont fait 10 % des suffrages en Ville de Genève, et
presque passé la barre du quorum au plan cantonal...
Dans «Le Courrier» du 24 janvier, la fraction
lupiste (majoritaire dans le groupe au Grand Conseil,
minoritaire dans le groupe au Conseil municipal) proclamait que
«constituer une seule liste reste possible»... à la condition de
pouvoir à elle seule en composer la moitié (et encaisser la
moitié des indemnités fixes versées par l'Etat aux groupes du
Grand Conseil), les trois composantes d'EàG se partageant
l'autre moitié des candidatures et des indemnités. La LUP (de
son nom entier «Liste d'Unité populaire») faisait le constat
d'évidence que «seule l'unité (permet) de garantir le quorum»,
observait que «toute la gauche nous appelle à nous rassembler»
et proclamait que son objectif est de «construire une force
politique large, ouverte et démocratique, à gauche du Parti
socialiste et des Vert.es». Tout cela est bel et bon, mais quand
l'appel à l'unité est lancé par une force qui a fait scission de
celle qu'elle appelle à l'unité, il manque peut-être un peu de
crédibilité : pour atteindre le noble objectif de rester dans
une coalition de la «gauche de la gauche», il aurait mieux valu
y rester plutôt que la fractionner en créant «Résistons», qui a
accouché de la LUP.
Mais la coalition en question n'en voulait plus,
des fondateurs de la LUP, dont les «comportements indignes les
disqualifient pour prétendre représenter la gauche combative». Ensemble à Gauche refuse donc de «travailler avec des
gens qui n’ont jamais cessé leurs agressions, qui ont eux-mêmes
été les fers de lance de la division et de l’exclusion dans un
passé proche et qui forcent encore aujourd’hui les principaux
acteurices de la gauche radicale à Genève (...) à aller
jusqu’aux tribunaux pour se faire entendre et obtenir justice».
Conclusion : "Nous ne voulons plus perdre notre temps à
justifier notre souhait de travailler collectivement dans un
environnement non toxique et antisexiste".
Les deux listes s'autoproclamant de la "gauche combative" (comme si les autres forces de gauche ne l'étaient pas et que seules elles l'étaient), n'ont au moins pas nié leur échec commun, si elles ont tenté, par réflexe plus que par conviction, d'en faire porter la responsabilité au PS et aux Verts, dont "la politique institutionnelle ne semble (pas) avoir convaincu l’électorat combatif de gauche" pour reprendre les termes du communiqué d'"Ensemble à Gauche" (comme si les représentants d'EàG ou de la LUP siégeant au Grand Conseil, au Conseil municipal, dans des Conseils de fondation ou d'administration de sociétés publiques la dédaignaient, la "politique institutionnelle"...).
La gauche de la gauche genevoise n'a pas disparu
du paysage politique, si elle a disparu du Grand Conseil (ce
n'est d'ailleurs pas le première fois). Elle est toujours capable de lancer référendums et
initiatives, de manifester, de soutenir des mouvements
populaires, des revendications syndicales, des grèves du
climat et des grèves féministes -tout ce que la "droite de la
droite" abhorre. Et elle siège toujours au Conseil
municipal de la Ville de Genève (sans elle, la gauche n'y
est pas majoritaire), lequel parlement va devenir quelque
chose comme un contre-parlement face à un Grand Conseil très
droitisé. Encore lui faudra-t-il, à cette gauche de
la gauche municipale, trouver le moyen, dans deux ans, pour
les Municipales, de ne pas refaire les mêmes conneries que
celles qui l'ont conduite hors du Grand Conseil : elle pèse
encore 10 % de l'électorat actif de la Ville, c'est largement
suffisant pour continuer à siéger au Conseil municipal... si
elle se rassemble sur une seule liste. Encore lui
faudra-t-il, à cette gauche de la gauche municipale, trouver le
moyen, dans deux ans, pour les Municipales, de ne pas refaire
les mêmes conneries que celles qui l'ont conduite hors du Grand
Conseil : elle pèse encore 10 % de l'électorat actif de la
Ville, c'est largement suffisant pour continuer à siéger au
Conseil municipal... si elle se rassemble sur une seule liste.
Voilà pour l'état de la gauche de la gauche. Mais
dans l'immédiat, l'urgence est ailleurs : elle est dans le
deuxième tour de l'élection du Conseil d'Etat, avec une
clarification politique aveuglante : il y a une gauche, il y a
une droite, il n'y a plus de "centre", ni de "ni gauche, ni
droite", ou "de gauche et de droite" : il y a un bloc qui va de
l'ex-PDC, prêt à tout pour sauver un siège au Conseil d'Etat au
MCG (prêt à tout pour la même raison) et à l'UDC -qui au moins
n'a jamais perdu son temps à tenter de faire croire qu'elle
était autre chose que ce qu'elle est, et dont c'est la ligne
politique «à droite toute» qui a été ainsi ratifile par le PLR,
le Centre et le MCG. En face de ce bloc, il y a nous. Nous, la
gauche. Rien de tel qu'un adversaire commun et identifiable pour
se rassembler. Il est là, en face, l'adversaire commun et
identifiable. D'ailleurs, la Liste d'Union Populaire appelle
celles et ceux qui ont voté pour elle à voter pour Thierry
Apothéloz, Fabienne Fischer, Antonio Hodgers et Carole-Anne
Kast.
La création d'une "grande alliance" de toute la
droite et de l'extrême-droite a cet effet clarificateur :
l'adversaire, voire l'ennemi, n'est pas la liste de gauche d'à
côté, c'est une droite de la droite qui a avalé le centre" et
dissipé l'illusion du "ni de gauche, ni de droite". Pour le
reste, on n'enterrera pas la "gauche de la gauche genevoise" :
elle est constitutive du paysage politique local depuis la
scission socialiste de 1939. Et en période pascale, une
résurrection, une ascension et une pentecôte restent
possibles...
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