Couronnement de Charles III d'Angleterre et autres lieux

 

Le Roi des Zones

Charles III, 74 ans, a été couronné samedi Roi (et son épouse, Camilla, Reine) d'Angleterre, d'Ecosse, d'Irlande du Nord et des Etats du Commonwealth qui n'ont pas, ou pas encore (certains rêvent de République, comme autour de 40 % des Ecossais...) rompu avec la monarchie, comme l'ont fait la Barbade, veut le faire la Jamaïque, semble vouloir le faire l'Australie... Roi, il l'était déjà, mécaniquement, depuis la mort de sa mère, devenant tout aussi mécaniquement, tant qu'à faire, Chef de l'Eglise anglicane. Certes, de la démocratie la monarchie n'est pas le contraire, ni la république une condition; certes, il y a des monarchies démocratiques et des républiques qui ne le sont guère; certes  pouvoir élire un chef d'Etat rend possible l'élection d'un cinglé ou d'un crétin et mieux vaudrait, après tout, se passer carrément de chef d'Etat, comme en Suisse, et se contenter d'un chef de gouvernement annuel... mais là, samedi, à Londres, pour beaucoup de Britanniques, trop, c'était trop : Pour le couronnement (un rite dont se passent toutes les monarchies parlementaires d'Europe), le Royaume (dés)Uni a dépensé 250 millions de livres, mobilisé 4000 soldats en parade et 30'000 policiers en surveillance (voire en répression d'une manifestation républicaine de 2000 personnes à l'appel de "Republic", dont le chef, Graham Smith, a été arrêté). Quelque part dans une soupente londonienne, peut-être qu'un poète maudit ou un intellectuel républicain écrit les paroles d'un chant qu'un rescapé de la punkitude mettra en musique : "le Roi des Zones".

Les Britanniques ne choisissent pas leurs rois et leurs reines. On ne leur demande pas. On ne leur demande que de les accepter, de s'y résigner, ou de les ignorer.

On dit du monarque ou de la monarque britannique qu'il ou elle est le symbole -voir même la garantie- de l'unité du Royaume. Cette unité est-elle si menacée qu'il fasse pour la symboliser un roi ou une reine sans autre pouvoir autre que celui de nourrir les gazettes et les réseaux ? De fait, elle l'est, menacée, cette unité. Elle l'est socialement, par la crise, politiquement, par le naufrage du parti au pouvoir (qui, lors des élections locales anglaises de jeudi dernier, a perdu plus d'un millier de sièges communaux au profit des travaillistes et des libéraux), et nationalement, par la force de la revendication indépendantiste en Ecosse et républicaine en Irlande du Nord, et les succès électoraux des partis qui les portent, le SNP et Sinn Féin.

Elizabeth II était la gardienne des gloires passées et des illusions de la pérennité de l'empire. De quoi Charles III pourra-t-il être le gardien, ou la personnification ? D'un Royaume-Uni sans l'Ecosse devenue indépendante ni l'Irlande du Nord réunifiée avec la République d'Irlande (et réintégrée du même coup dans l'Union Européenne) ? D'une île coupée de l'Europe, par sa propre décision ? D'une société ravagée par les inégalités ? D'une nostalgie ? D'un folklore ?

Depuis plus d'un an, la Grande-Bretagne, déjà confrontée aux conséquences calamiteuses du Brexit, l'est à une augmentation générale des prix (10 % en un an), en particulier ceux du gaz et de l'électricité. Et les grèves se sont multipliées, pour des augmentations de salaires, en même que ce sont développés des mouvements de désobéissance sociale, comme le refus de payer les factures de leur consommation énergétique. Il y a eu des grèves dans tous les secteurs où elles étaient possibles, dont des secteurs stratégiques comme les transports et les postes.  La majorité des Britanniques sont dans la mouise. Qu'ils s'ébaudissent devant le spectacle d'un prêtre en surplus doré sur tranche posant un cache-pot de deux kilos, tout aussi doré, sur la tête d'un vieux qui fait la gueule avant d'aller se poser dans un carrosse de bois recouvert de feuilles d'or,  n'aggravera ni n'améliorera pas leur situation : c'est du cirque. Du cirque fastueux, regardé paraît-il par deux milliards de personnes à la télé ou sur leur ordinateur, mais du cirque. Prenons-le pour tel, remontons un peu vers le nord, passons le mur d'Hadrien : La Première Ministre d'Ecosse Nicolas Sturgeon a annoncé, le 15 février, sa démission : "Dans ma tête et mon coeur, je sens que le moment est venu " de laisser place à quelqu'un d'autre, car "je sais qu'avec le temps, j'aurai de moins en moins d'énergie à donner à ce travail". Et d'ajouter : "j'ai été Nicola Sturgeon, la femme politique, toute ma vie, je veux passer un peu de temps en tant que Nicola Sturgeon, la personne". C'est la différence entre un.e Premier-e ministre et un Roi ou une Reine : l'un.e peut démissionner, l'autre ne peut qu'abdiquer. Ou mourir sur son trône. Ou être renversé. Ou décapité, comme un autre Charles d'Angleterre. Mais c'est aussi la différence entre deux conceptions de la politique et du rôle qu'on peut y jouer : celle où on s'accroche au pouvoir, comme Boris Johnson, voire (mais moins longtemps) celle qui lui succéda, Liz Truss, et celle où on passe sereinement, le témoin, comme Nicola Surgeon ou son homologue néo-zélandaise Jacinda Ardern, démissionnaire parce qu'elle n'avait plus "ce qu'il fallait pour continuer". Charles III ne peut pas démissionner, il ne peut qu'abdiquer. Et il ne peut abdiquer qu'en faveur de son héritier direct, sans que personne ne puisse contester ce mécanisme -comme personne n'a pu le contester en tant qu'héritier de sa mère. Les Britanniques ne choisissent pas leurs rois et leurs reines. On ne leur demande pas. On ne leur demande que de les accepter (58 % d'entre eux soutiennent le monarchie). Ou de s'y résigner. Ou de les ignorer. Ou pour s'endormir de compter, plutôt que des moutons, leurs monarques (39 depuis Guillaume le Conquérant, premier à avoir été sacré à Westminster). C'est moins que le nombre d'empereurs du Japon. Ou de présidents de la Confédération suisse.

D'ailleurs, il y était au couronnement, le président Alain Berset. Comme celui de la République voisine, Emmanuel Macron (ont-ils parlé entre eux de réformes de retraites ?). Et d'une palanquée de rois et de princes divers et variés, de quoi étourdir Stéphane Bern et grossir les archives photo de "Point de vue-images du monde". Au fond, est-ce que cela sert à autre chose, le couronnement d'un roi ?





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