"La loi climat", et après ?

 

Atteindre la "neutralité carbone" en 2050, vraiment ?

Il y a une semaine, les Suissesses et les Suisses faisant usage de leur droit de vote ont accepté à près de 60 % la "loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l'innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique", e son petit nom "loi climat" et de sa fonction celle de contre-projet indirect à l'"initiative des glaciers", plus radicale, retirée pour éviter un double rejet. On l'a dit, écrit, répété, réécrit : la "loi climat" c'est un premier pas. Seulement un premier pas. La loi fixe des objectifs intermédiaires, donne des moyens financiers, fixe un délai à 2050 (dont personne n'attend qu'il soit tenu grâce à la seule loi adoptée le 18 juin) pour atteindre la neutralité carbone. En réalité, la "loi climat" est bien en deçà du nécessaire, les moyens financiers qu'elle propose sont essentiellement destinés aux propriétaires fonciers et aux entreprises, et la droite est prête à la vider du sens qu'elle a tout de même : ne vient-elle pas d'accorder 14 milliards à l'élargissement, la prolongation et l'entretien des autoroutes, alors qu'il faudrait tout faire pour réduire le trafic automobile et son emprise sur l'espace disponible ? (le transport est le plus gros émetteur de CO2 en Suisse, et ses émissions ne baissent pas, malgré l'augmentation de la mobilité électrique (sur deux ou quatre roues), elle aussi émettrice de CO2?

"Changer radicalement nos modes de vie",

Les référendaires, dans et autour de l'UDC, n'avaient pas lésiné sur l’anxiogène dans leur campagne contre la "loi climat" finalement adoptée par le peuple: elle reviendrait "à nous interdire le mazout, le gaz, le diesel et l'essence" (pas le schnaps, heureusement), à "se chauffer et rouler en voiture (...) autrement qu'à l'électricité"... "le paysage serait recouvert d'éoliennes et de panneaux solaires" sans pour autant que nos besoins en électricité soient couverts. "L'énergie et l'électricité deviendront un luxe réservés aux riches", l'industrie réduira sa production ou la délocalisera à l'étranger, les loyers augmenteront puisque les propriétaires devront investir "massivement". La nature et le paysage seront "défigurés" par la construction de 17 centrales hydrauliques de la taille de la Grande Dixence, par 5000 éoliennes et 70 km2 de panneaux solaires(pour faire plus fort, les référendaires parlent de "70 millions de m2". Et on manquera toujours d'électricité en hiver". Et au final, le Conseil fédéral finira par interdire les voitures à essence, les voyages en avion et la consommation de viande. Diable, on l'a échappé belle ! Trêve de plaisanterie (ce catastrophisme en est une, même si 41 % du corps électoral actif semble y avoir cédé en votant "non"): la "loi climat" a été conçue pour être "économiquement supportable"). Deux enjeux vont se révéler essentiels : celui de l'approvisionnement en énergie, celui du changement des comportements individuels et collectifs.

L'approvisionnement en énergie a été le thème central de la campagne de l'UDC contre la "loi climat", accusée de le menacer. Son raisonnement arithmétique, en effet tient debout : à consommation égale, et à plus forte raison à consommation croissante, il sera difficile, pour le moins, voire impossible selon l'UDC, de remplacer toutes les sources d'énergie fossile par des sources d'énergie renouvelable, le pétrole et le gaz par de l'électricité produite par des éoliennes et des panneaux solaires, sauf (comme le souhaite précisément l'UDC, et son conseiller fédéral Albert Rösti), à renoncer à sortir du nucléaire ("renoncer à renoncer")... à moins que l'on arrive à réduire la consommation globale d'énergie. Et c'est là que le changement de nos comportements individuels et collectifs prend tout son sens. Il ne s'agit même pas d'interdire telle ou telle pratique -juste de la rendre impossible. Un peu comme on rend impossible aux bagnoles l'entrée dans une rue qu'on veut piétonne en plantant un arbre à l'entrée de cette rue. A quoi va-t-on inciter, qu'est-ce qu'on va rendre progressivement impossible ? Et les choix sont moins simples qu'il y paraît : habiter dans une villa émet plus de CO2 que prendre l'avion, avoir un chien plus que conduire un SUV, avoir un enfant plus que se goinfrer une entrecôte tous les jours, rappelle le Conseiller d'Etat Antonio Hodgers. On en déduit quoi, s'agissant de notre comportement de tous les jours ?

Nous avons à relever deux urgences : climatique et sociale. Et on ne relèvera pas l'une sans l'autre. Le changement climatique est global -il touche donc tout le monde, et tout le monde en est acteur. "Tout le monde", cela veut dire chacun, et chacune. Toute personne, toute institution, toute entreprise. Mais pas chacun et chacune au même titre, avec la même force : de la dégradation climatique, les plus riches sont plus coupables, mais ont plus de moyens d'en fuir les conséquences. Même si tous ne sont sans doute pas prêts à payer 250'000 dollars pour s'enfermer dans une boîte de conserve plongée à 4000 mètres de profondeur océanique pour imploser devant l'épave du Titanic.

Pour ne tenir même qu'une partie des objectifs posés par l'Accord de Paris et celui de Glasgow sur le climat, et par la nouvelle loi fédérale, Il va falloir non seulement développer les énergies renouvelables, décarboner l'économie, mais aussi renforcer les transports publics, réduire notre consommation d'énergie (y compris d'électricité, y compris pour les vélos et les voitures), combattre l'obsolescence programmée, construire autrement... vivre autrement, travailler autrement, "changer radicalement nos modes de vie", comme le résume Jacques Dubochet... Et en changer librement, sans y êtres contraints, sinon par la réalité.

A le mesurer à tels enjeux, le départ d'Alain Berset du Conseil fédéral et le choix des socialistes pour y succéder, franchement, on s'autorisera à se contrefoutre... 


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